Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les événements qui concernent le Proche-Orient nous touchent toujours, nous, Français, de très près, étant donné les sources de notre culture et le berceau historique de la foi chrétienne.
Les pays du bassin méditerranéen sont, en effet, chargés de si puissants attendus symboliques et même eschatologiques que tous nos liens historiques avec eux entrent en forte résonance quand des événements graves s'y produisent.
Notre sensibilité est affectée non pas seulement par une sympathie humaine à l'égard de ceux qui sont éprouvés dans leur chair et dans leurs biens, mais aussi par une profonde interrogation quant aux enjeux pour le destin de l'humanité.
En effet, si, dans les régions du monde où se sont développés les cultures de la raison philosophique et le très haut idéal d'une civilisation de la justice et de l'amour, les autorités politiques tant légales que dissidentes en sont réduites à de tels affrontements, le monde entier ne peut que douter des chances de la paix.
C'est sans aucun doute le pressentiment de cette menace qui avait conduit le pape Jean-Paul II à prendre l'initiative de la rencontre d'Assise, il y a très exactement vingt ans, et que Benoît XVI vient de commémorer en rappelant toujours l'actualité de la coopération des religions pour servir la paix. À ce titre, le Liban a été jusqu'ici un cas unique d'organisation politique interconfessionnelle dans cette région du monde.
Ne serait-ce pas d'ailleurs cette spécificité politique que certains voudraient détruire au profit d'une confusion entre l'État et l'appartenance à une religion ?
Je ne dirai pas grand-chose de la brutale escalade qui, depuis l'enlèvement de soldats israéliens, nous a conduits là où nous en sommes aujourd'hui, sauf pour rappeler que la question des prisonniers détenus dans des prisons tant syriennes qu'israéliennes était ressentie de manière extrêmement vive au Liban. En enlevant des militaires israéliens, la milice du Hezbollah a simultanément voulu neutraliser une partie de l'opinion publique libanaise et poussé Israël à sortir de sa patience, alors que cela faisait six ans que son armée avait quitté le Sud-Liban et deux ans qu'une résolution des Nations unies imposait le désarmement de la milice du Hezbollah.
Et, ainsi, le peuple libanais s'est trouvé piégé dans un engrenage effroyable.
Il est urgent de rétablir la paix dans cette région du monde, si douloureusement déchirée et où la prise des peuples en otage empêche que soit fondée cette paix de manière solide.
Or le Liban est en train d'essayer de recouvrer sa souveraineté. Il s'est engagé pour cela dans une démarche prometteuse de dialogue national consistant à tout mettre à plat au sein d'un dialogue constructif entre les représentants de toutes les composantes de la vie politique.
Dans un article donné à L'Homme Nouveau sous le titre « Reconstruire la paix », Annie Laurent, spécialiste de géopolitique, particulièrement experte pour cette région, note que « beaucoup de Libanais sont revenus de bien des illusions. Comprenant qu'ils avaient été les jouets d'intérêts qui n'étaient pas les leurs, ils se sont ralliés à l'idée d'un Liban qui ne ressemble à aucun autre pays dans la région : un État organisé selon une ? démocratie consensuelle ? permettant aux dix-huit communautés qui le composent une participation égale aux affaires publiques. » J'ai pu en être personnellement le témoin à l'occasion d'une rencontre avec des parlementaires libanais le 29 juin dernier, ici au Sénat.
La question du désarmement de la milice du Hezbollah venait d'être abordée au sein de ce dialogue national, alors même que douze parlementaires et deux ministres sont issus du Hezbollah.
En effet, à partir du moment où des représentants du Hezbollah sont entrés au parlement et au gouvernement libanais, une évolution importante est en marche. Le désarmement de sa milice est incontournable, car la question est devenue institutionnelle. La légitimité de l'armée libanaise comme détentrice exclusive de la force armée ne peut qu'être reconnue au niveau des principes par tout parlementaire attaché à un régime de droit.
Toutefois, une première incertitude quant à son effectivité provient du délai nécessaire à l'armer. Une seconde incertitude tient à la composition de l'armée libanaise, chiite en majorité. Le risque qu'elle se solidarise avec la milice en cas de nouvel affrontement avec Israël n'est pas négligeable. Il faut à tout prix l'éviter.
Les événements dramatiques qui viennent de se produire n'ont pas modifié la donne. Il ne peut pas y avoir d'autre solution que le désarmement de la milice au bénéfice de la montée en puissance de l'armée libanaise sous le contrôle des autorités politiques du pays, conformément à la résolution 1559 des Nations unies
On comprend bien sûr que le rôle de la FINUL soit délicat dans un tel contexte, pendant que l'armée libanaise procède au désarmement de la milice.
Une telle opération ne peut pas connaître le succès si, simultanément, la stabilisation d'un État souverain n'est pas réussie.
Ainsi s'explique une nouvelle fois la très lucide et judicieuse position de la France dans cette affaire.
Il importe donc au plus haut point de savoir comment aider le Liban de manière efficace dans cette entreprise essentielle pour son avenir, celui de la région et, vraisemblablement, celui du monde entier.
La paix dans le monde ne peut résulter que de l'organisation cohérente et équilibrée de communautés nationales vivantes et disposant des prérogatives de souveraineté indispensables à la reconnaissance par les autres peuples de la légitimité de leur existence.
Cette affirmation vaut avec la même puissance pour Israël, pour les Palestiniens et pour le Liban.
Sinon - et c'est ce qui nous menace - nous assisterons à une généralisation de conflits tantôt entre des armées nationales isolées ou coalisées, tantôt entre des organisations terroristes plus ou moins clairement identifiables, soit purement locales, soit mondialement ramifiées.
Ce qui vient de se passer au Liban donne une idée du chaos qui pourrait se généraliser.
Les Israéliens tout comme les Palestiniens et tout autant que les Libanais ont le droit de vivre en paix. La restauration de la souveraineté du Liban, qui est vraisemblablement l'objectif le plus accessible dans les circonstances actuelles, malgré la lassitude provoquée par les souffrances endurées depuis trente ans, est prioritaire aujourd'hui.
L'aide de la France comme l'aide de l'Europe et plus généralement celle des Nations unies, en lien avec les États du Moyen-Orient, doivent donc favoriser l'émergence d'une stratégie socio-économique propre à l'État libanais.
Autant dire qu'il ne faut pas concentrer exclusivement l'aide sur le Sud-Liban, mais qu'il convient de l'apporter à l'ensemble du pays.
Il est également important que les citoyens libanais puissent en être le plus directement possible les bénéficiaires, car, si des infrastructures doivent être reconstruites, il faut aussi que la conscience de l'unité nationale puisse être perçue par chaque citoyen libanais, quelle que soit sa province.
L'aide à la reconstruction doit par ailleurs porter sur la reconstitution du tissu socio-économique. Il faut favoriser les programmes visant à soutenir les services sociaux, les municipalités, les services hospitaliers, les PME et tout acteur de la vie quotidienne.
Lors de ma dernière rencontre avec des parlementaires libanais le 29 juin, nous avions envisagé une coopération d'ordre méthodologique afin de lutter contre la misère et la pauvreté de manière structurelle, sur l'ensemble du territoire libanais. Car, si le Liban ne manque pas de solidarité familiale et communale, ce sont les moyens structurels qui font défaut quand il faut reconstituer un État.
Mes interlocuteurs étaient très intéressés par le plan de cohésion sociale que vous avez mis en place en France, monsieur le Premier ministre, et examinaient les moyens de transposer chez eux notre méthodologie en ce domaine.
Il ne faut donc pas hésiter à orienter les programmes et les actions le plus directement possible vers les acteurs économiques et sociaux, autrement dit vers ceux qui n'ont pu avoir de revenus pendant deux mois essentiels à leur activité, afin que la vitalité de la société économique puisse être réactivée, que la solidarité soit déjà perçue comme anticipant l'existence d'un État libanais organisé selon cette « démocratie consensuelle » voulue par le dialogue national. Nous avons à l'accompagner.
Pour le reste - et c'est essentiel -, l'avenir est entre les mains du parti chiite.
Ainsi que le note encore Annie Laurent, « pour le parti chiite, l'heure de vérité est donc arrivée : acceptera-t-il de répondre aux attentes des autres Libanais, qui le pressent de prouver sa libanité ». Facilitons-lui son choix d'une libanité confiante en restant fidèles à la cohérence de la politique attachée au droit et à la justice qui est la nôtre.
C'est pourquoi le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en exprimant ses voeux de paix à tous les pays de cette région du Moyen-Orient, soutient les initiatives et les positions diplomatiques, militaires et de coopération de la France, telles que vous les avez arrêtées, monsieur le Premier Ministre, avec le Président de la République et les membres du Gouvernement chargés de leur mise en oeuvre.