Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 12 septembre 2006 à 16h00
Situation au proche-orient — Suite d'un débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, les débats consacrés aux questions internationales par le Parlement sont rares et souvent un peu décalés dans le temps. Nous ne découvrons pas, mes chers collègues, le triste sort fait aux parlementaires en la matière.

Notre débat intervient au lendemain de la commémoration des attentats du 11 septembre 2001, qui a donné lieu à une atroce surenchère verbale entre les dirigeants d'Al-Qaida et le président des Etats-Unis, alors même que le Fatah et le Hamas viennent de conclure, après des mois de négociations, un accord permettant la constitution d'un gouvernement d'union nationale en Palestine, accord qui comporte la reconnaissance implicite du droit à l'existence d'Israël par le Hamas.

Nous aurions tort, me semble-t-il, de n'y voir qu'un arrangement de papier destiné à faciliter la reprise de l'aide internationale.

Nous mesurons tous le défi que représente l'interminable conflit du Proche-Orient. Depuis cinquante ans, les mêmes images de ruines et d'exode, de missions onusiennes, de tournées d'émissaires spéciaux visitant tour à tour les chefs d'État de la région selon un ordre immuable, les mêmes images d'accolades ou de poignées de mains ministérielles alimentent les informations. Le conflit devient de plus en plus complexe, de plus en plus inextricable.

Nous savons tous ce que nous avons à perdre à voir grandir, aux portes de l'Europe, des générations qui ne connaissent pour tout langage que celui des armes.

Nous savons tous que nos pays sont devenus dangereusement perméables à une violence terroriste chaque jour plus imprévisible et plus radicale.

Nous savons tous que la violence ne cesse de croître dans cette région, au fur et à mesure que les rancunes s'exacerbent.

Nous refusons tous de laisser le fossé se creuser entre le monde musulman et ses voisins.

Nous savons, mais nous ne savons pas comment agir. Cet été, comme par le passé, nous sommes restés impuissants.

Il y a quelques mois, nous étions nombreux à penser que les Libanais, en dépit d'un modèle confessionnel contestable et d'une organisation politique archaïque, avaient fait l'essentiel du chemin, un an après l'assassinat de Rafic Hariri, en manifestant massivement leur volonté de retrouver leur souveraineté et de s'affranchir des luttes d'influence de leurs puissants voisins que sont la Syrie et l'Iran, en faisant en sorte que progresse l'idée d'un désarmement du Hezbollah au rythme de son inscription dans la vie démocratique du Liban.

Puis, il y a eu la guerre cet été. Aujourd'hui, les armes se sont tues. Il ne nous reste plus qu'un triste bilan à dresser : un tiers du territoire libanais est détruit ; les infrastructures du Sud-Liban, les routes, les usines, les écoles, les hôpitaux, les maisons sont à reconstruire ; la population manque de tout ; les sols sont impraticables, truffés de mines et de bombes ; les personnes réfugiées et déplacées sont légion, 1 500 000 Israéliens et Libanais sont aujourd'hui sur les routes.

Une fois de plus, faute d'une politique efficace dans la région il ne reste plus qu'à réparer, déminer le sud du pays, acheminer une aide humanitaire importante, nettoyer les côtes libanaises et syriennes souillées par la marée noire du 14 juillet dernier.

Une fois de plus, nous arrivons après la bataille pour recoller les pots cassés.

Une fois de plus, nous n'aurons pas su proposer d'alternative à la guerre.

Une fois de plus, la violence a eu raison du dialogue.

Une fois de plus, les peuples de la région sortent du conflit plus amers, plus divisés, plus humiliés, plus brisés.

N'y aurait-il donc pas d'autres solutions que d'assister en silence à la radicalisation des masses et à la montée des extrémismes ? N'y aurait-il donc aucun moyen d'enrayer l'escalade de la violence ?

Bien entendu, nous pouvons gloser à l'infini sur la responsabilité des uns et des autres en utilisant la rhétorique bien connue de la poule et de l'oeuf. Le Hezbollah a évidemment eu tort de franchir la ligne bleue pour enlever des soldats israéliens. Mais force est de reconnaître que la riposte d'Israël, destinée, selon les propres termes du chef d'état-major de l'armée israélienne, le 12 juillet dernier, à « faire revenir le Liban vingt ans en arrière », n'a rien réglé. Elle ne saurait en aucun cas être considérée comme une riposte proportionnée et adaptée à la réalité de l'affront.

Si de telles actions étaient menées pour la première fois, nous pourrions espérer qu'Israël apprenne de ses erreurs. Mais, en l'occurrence, ce n'est pas le cas : il s'agit non pas de maladresses, mais bien d'une politique pensée et assumée comme telle depuis près d'un demi-siècle.

Cette politique a pour effet de discréditer systématiquement les interlocuteurs représentatifs, en les soumettant à des injonctions paradoxales et en les privant des moyens de respecter leurs engagements. Je pense notamment à Yasser Arafat, qui a été emprisonné dans son palais de la Mouqata'a, ainsi qu'à l'arrestation de ministres, de députés et du président du Conseil législatif palestinien, Aziz Dowek. Certes, le résultat des élections en Palestine n'a réjoui aucun d'entre nous ; nous n'avions pas souhaité la victoire du Hamas. Mais, reconnaissons-le, ce scrutin s'est déroulé dans des conditions satisfaisantes, à la suite d'un processus électoral qui a peu d'équivalents dans cette partie du monde.

En outre, la politique israélienne tend à fournir des prétextes aux radicaux de deux camps pour continuer la guerre. De ce point de vue, la poursuite de l'implantation des colonies en Palestine, le refus de la souveraineté libanaise sur les fermes de Chebaa et les freins interminables à l'échange de prisonniers illustrent le caractère désastreux de cette politique, qui a pour effet de renforcer ce qu'elle prétend combattre.

À cet égard, dans une tribune récemment parue dans le journal Le Monde, qui a d'ailleurs suscité une réponse aujourd'hui, John Le Carré déclarait ceci : « Quand vous tuez cent civils innocents et un terroriste, est-ce que vous gagnez ou perdez la guerre contre le terrorisme ? ?Ah, me rétorquerez-vous, mais ce terroriste aurait pu tuer deux cents personnes, mille personnes, plus encore !? Se pose alors une autre question : si, en tuant cent personnes innocentes, vous provoquez l'émergence future de cinq nouveaux terroristes et leur procurez une base populaire qui jure de leur fournir aide et soutien, garantissez-vous un avantage aux prochaines générations de vos concitoyens, ou vous êtes-vous créé l'ennemi que vous méritez ? »

Mes chers collègues, je souhaite que les choses soient bien claires entre nous : je n'ai nullement l'intention de nier le droit à la sécurité d'Israël ou le caractère scandaleux des déclarations du président Ahmadinejad ! Au contraire, mais pensez-vous réellement que la sécurité d'Israël soit d'une quelconque manière renforcée par les choix du gouvernement israélien ? N'est-elle pas plutôt mise en péril par ceux-ci ? Ce n'est pas moi qui pose cette question, c'est le peuple israélien lui-même qui demande des comptes à son gouvernement ! Nous devons donc également nous interroger, même s'il s'agit d'un sujet difficile sur lequel personne ne se risquerait à émettre des jugements à « l'emporte-pièce ».

Il convient également d'évoquer un point qui n'a pas été abordé depuis le début de ce débat : le saccage systématique des infrastructures civiles et la mort de très nombreux civils eux-mêmes ne peuvent en aucun cas être qualifiés de « dommages collatéraux » ! En effet, selon Amnesty International, une telle politique serait délibérée et elle se serait même parfois traduite par des crimes de guerre !

Qui peut admettre la notion de « punition collective » - c'est bien de cela qu'il s'agit - quand des villages entiers, quand tout le sud du Liban, sont concernés par les bombardements ? La question est posée. En effet, loin d'affaiblir le Hezbollah, l'intervention israélienne l'a incontestablement renforcé au sein du peuple libanais. Certes, et je ne le conteste pas, des voix divergentes se font entendre au sein de la communauté chiite, que l'on nous présentait volontiers voilà quelques semaines comme unanimement animée par la volonté d'en découdre.

Dans ces conditions, comment peut-on sortir d'une telle situation ?

Nous le voyons bien, la diplomatie américaine au Proche-Orient ne constitue pas une solution. « Gendarmes du monde » à la fin du XXe siècle, les États-Unis ont beaucoup moins bien réussi leur entrée dans le deuxième millénaire. Leur croisade laborieuse contre un terrorisme insaisissable et protéiforme a écorné leur image de toute-puissance. Les tentatives répétées d'imposer le modèle démocratique par la force en Irak ou en Afghanistan ont toutes échoué. Plus grave encore, leurs manoeuvres maladroites pour préserver les approvisionnements pétroliers américains ont jeté le discrédit sur leur diplomatie au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

De surcroît, et j'insiste sur ce point, nous ne partageons pas les thèses américaines sur la « guerre des civilisations ». Nous ne prêterons donc pas la main à ce combat.

L'Amérique a dressé contre elle une bonne partie du monde arabo-musulman. Par conséquent, les États-Unis n'apparaissent pas un acteur légitime au Proche-Orient.

Et puis il y a l'Europe, le grand voisin si proche par l'histoire et par la culture. L'Europe tente de promouvoir une diplomatie fondée sur le respect de l'autre et le dialogue ; elle pourrait faire passer l'intérêt commun avant les intérêts de quelques-uns. De ce point de vue, les peuples du Proche-Orient attendaient beaucoup de nous. Nous aurions pu agir d'une seule voix et relever le premier grand défi de politique étrangère et de sécurité commune si nous avions été suffisamment patients, impartiaux et confiants pour asseoir tous les fauteurs de guerre à une table et les guider vers un accord de paix acceptable par tous.

Mais, soyons honnêtes, si l'Europe a fait défaut, c'est parce que la quasi-totalité des États membres qui étaient en situation d'entreprendre ce que je viens d'évoquer ont préféré utiliser leurs canaux traditionnels.

Certes, le Premier ministre a sans doute raison de saluer l'adoption à l'unanimité de la résolution 1701 et de rappeler le rôle important joué par la diplomatie française. Mais nous devons tout dire et ne pas nous mentir à nous-mêmes.

Faut-il omettre de rappeler qu'une telle unanimité a été acquise après des jours et des jours de tergiversations pendant lesquels Israël a pu, sinon « finir le travail », du moins intensifier les bombardements soixante-douze heures encore avant la suspension des combats et le retrait partiel des troupes ? Ferons-nous l'impasse sur l'incompréhension générale qui a suivi l'annonce par le Président de la République d'un engagement limité à 200 hommes et sur la déception que cela a suscité tant en Israël qu'au Liban ?

Quoi qu'il en soit, la résolution 1701 a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies et je m'en félicite. Je m'associe aux voeux formulés par Pierre Mauroy pour qu'elle soit suivie d'autres initiatives et d'autres pas permettant une reprise effective du dialogue. J'ajoute que j'apprécie la retenue et la lucidité dont ont fait preuve les intervenants précédents devant l'étendue et la complexité de telles questions.

Pour terminer, vous me permettrez d'aborder deux sujets dont on a peu parlé aujourd'hui.

Je voudrais d'abord évoquer le dossier des bombes à sous-munitions. Elles sont très meurtrières, très dangereuses, notamment pour les enfants, auxquels il est évidemment très difficile d'interdire de jouer à l'extérieur. Selon l'ONU, quelque 100 000 de ces bombes se trouveraient aujourd'hui encore dans le sud du Liban et dans quelques quartiers de Beyrouth.

De telles armes ont déjà provoqué la mort de treize personnes et en ont blessé plus de cinquante autres. Nous devons donc engager un véritable travail de déminage, même s'il sera évidemment ralenti par la méconnaissance des zones où se trouvent ces engins. En outre, l'Europe et la communauté internationale devraient joindre leurs efforts pour réclamer à Israël les cartes des zones concernées, ce qui permettrait d'accélérer le déminage et d'éviter de nouvelles victimes civiles. Au-delà, nous devrions surtout porter une attention plus grande à l'action de Handicap International, qui vise à interdire totalement ces bombes.

J'en viens au second sujet que je souhaitais évoquer. Je viens d'apprendre le décès de Solange Fernex, députée européenne honoraire des Verts, qui a voué sa vie au désarmement et à la paix ; beaucoup d'entre vous l'ont bien connue. À cet égard, je voudrais aborder la question nucléaire, ainsi que nombre d'entre vous l'ont fait au cours de ce débat.

Certes, la communauté internationale a raison de pointer le danger considérable que fait peser la politique d'équipement militaire de l'Iran en la matière. Pourtant, il est indispensable d'avancer non seulement vers le désarmement nucléaire militaire de l'Iran, mais également vers une dénucléarisation de toute la région. En la matière, nous ne devons pas faire deux poids, deux mesures. Une telle politique doit également concerner le nucléaire israélien.

Je suis très préoccupée par l'état agonique des négociations en révision du traité de non-prolifération des armes nucléaires. C'est pourquoi je ne peux que plaider, madame la ministre, monsieur le ministre, pour que nous ne passions pas cet espoir de dénucléarisation par pertes et profits.

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