Intervention de François Fillon

Réunion du 22 mars 2011 à 15h15
Situation en libye — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

François Fillon, Premier ministre :

Monsieur le président, je tiens tout d’abord à m’associer au message de compassion que vous avez adressé à M. l’ambassadeur du Japon et, à travers lui, au peuple japonais.

Le Japon vit une catastrophe majeure, qui nous bouleverse tous. Nous lui avons bien sûr offert notre aide. Plusieurs opérations ont d’ores et déjà été conduites. Mais nous voudrions faire tellement plus !

J’aurai l’occasion, demain soir, à l’ambassade du Japon, devant la communauté japonaise en France, de témoigner à nouveau de l’attention, de l’affection et de la solidarité de notre pays.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, samedi 19 mars, en début d’après midi, les forces aériennes françaises sont entrées en action au-dessus de la Libye.

Conformément à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, tel qu’il résulte de la révision de 2008, j’ai l’honneur d’informer le Sénat des raisons et des conditions de cet engagement.

Depuis le début de cette année 2011, le vent de la démocratie et de la liberté souffle sur le monde arabe.

Le peuple tunisien, puis le peuple égyptien ont renvoyé leurs dirigeants et aboli les régimes autoritaires qui étaient en place depuis la décolonisation.

La Libye est entrée dans le même processus et nous avons tous espéré que l’issue en serait rapide et heureuse.

Malheureusement, le régime de Kadhafi a décidé de noyer dans le sang la révolte qui le menaçait. En deux semaines, les espoirs du peuple libyen se sont transformés en cauchemar.

Jeudi dernier, à Benghazi, ultime refuge de la liberté en Libye, les insurgés paraissaient condamnés à tomber entre les mains des troupes fidèles à Kadhafi et la révolution semblait vivre ses dernières heures.

La France a refusé cette fatalité. Le Président de la République a choisi d’agir. Il a su, avec Alain Juppé, dont je tiens à saluer la détermination, convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies de refuser l’inacceptable.

Samedi, sur l’initiative de la France, un sommet de soutien au peuple libyen s’est tenu à Paris pour assurer la mise en œuvre sans délai de la résolution 1973.

L’usage de la force armée dans un conflit interne à un pays arabe dont les structures tribales sont encore prégnantes est une décision lourde. Certains, naturellement, s’interrogent sur ses chances de succès. Le risque existe toujours. Mais les hésitations et les doutes ne seraient-ils pas plus profonds et plus dévastateurs sur le plan moral et politique si nous n’avions rien fait ? Ne seraient-ils pas empreints d’une immense culpabilité si, par prudence et par faiblesse, nous avions assisté les bras croisés à la répression d’une population désarmée ?

Le Président de la République, fidèle aux valeurs qui fondent notre nation, s’est refusé à une telle indignité. Avec le soutien déterminant du Royaume-Uni, il a su faire appel au courage de la communauté internationale et imposer à Kadhafi une épreuve de force.

Pourquoi la France s’est-elle ainsi mobilisée ? Parce que la répression du peuple libyen se nouait sous nos yeux. Parce que cette répression ne doit pas sonner la fin d’une espérance qui transcende les frontières. Toute la région est en effet parcourue par une puissante onde de choc démocratique dont la portée peut se révéler historique.

Même s’ils ont chacun leurs spécificités, ces mouvements révèlent la force des idéaux universels, ces idéaux humanistes trop souvent moqués, trop souvent accusés d’être le privilège de nos vieilles démocraties. Eh bien non ! Ces idéaux sont présents dans les cœurs de tous les peuples. Partout, ils peuvent se dresser et changer l’Histoire.

Ne pas intervenir en Libye, c’était donner un blanc-seing à Kadhafi et à ses séides. C’était signifier à tous ceux qui ont soif de démocratie et de respect des droits de l’homme que les changements en Tunisie et en Égypte n’étaient qu’un feu de paille. C’était constater que le mur de l’oppression reste finalement plus fort que le souffle de la liberté.

Nous ne pouvions accepter ce scénario.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’usage de la force ne s’est pas imposé du jour au lendemain. Il est le résultat d’une longue série d’actions diplomatiques destinées à enrayer la violence.

Dès le début de la crise en Libye, la France a pris plusieurs initiatives : celle d’exiger des sanctions contre le régime libyen aux Nations unies comme au sein de l’Union européenne ; celle d’impliquer la Cour pénale internationale, qui, pour la première fois, a été saisie au tout début d’une crise, à l’unanimité du Conseil de sécurité, pour des actes pouvant relever de crimes contre l’humanité ; celle d’acheminer une aide humanitaire massive à l’hôpital de Benghazi et à la frontière tuniso-libyenne ; celle d’aider au retour des milliers de réfugiés fuyant les combats avec la mise en place d’un pont aérien entre la Tunisie et leur patrie d’origine.

La France s’est battue sans relâche pour convaincre, dans toutes les enceintes internationales comme avec tous ses partenaires occidentaux, arabes et africains : au Conseil de sécurité des Nations unies, qui a adopté une première résolution – la résolution 1970 – dès le 26 février ; lors du Conseil européen du 11 mars, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy et de David Cameron ; lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Paris, les 14 et 15 mars.

Parallèlement, d’autres organisations régionales se sont aussi mobilisées.

L’Union africaine a souligné la légitimité des aspirations du peuple libyen à la démocratie et à la justice.

Le 12 mars, et ce fut l’un des tournants de la gestion de cette crise, le conseil des ministres de la Ligue des États arabes lançait un appel au Conseil de sécurité demandant à ce dernier d’imposer immédiatement une zone d’exclusion aérienne et d’assurer la protection des populations civiles.

Le secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique a lui-même condamné les violations graves des droits de l’homme et du droit international en Libye.

Tous ces appels pressants de la communauté internationale, tous ces avertissements, toutes ces sanctions, n’ont malheureusement pas fait fléchir la froide détermination du régime libyen. Dès lors, l’emploi de la force devenait la seule solution.

Vis-à-vis des États qui, il y a quelques jours encore, avaient des hésitations sur la nécessité d’une intervention en Libye, nous avons toujours été clairs : en rappelant que le temps et l’inaction jouaient en faveur du régime libyen ; en précisant que toute intervention en Libye devait avoir pour objectif de protéger les populations civiles ; enfin, en conditionnant toute intervention à quatre préalables:

Le premier préalable est un besoin avéré sur le terrain. Qui ne le constate ?

La deuxième est un appui des pays de la région. L’appel de la Ligue arabe nous l’apporte.

La troisième est une base juridique solide. Nous l’avons avec l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, en faveur de laquelle le Président de la République avait lancé un appel solennel la veille du vote. Et M. Alain Juppé a joué un rôle clé en se rendant à New York pour la défendre.

Le dernier préalable est la nécessité d’une action collective. Celle-ci s’est concrétisée samedi après-midi, à Paris, avec la présence de vingt-deux dirigeants de pays européens, nord-américains, arabes et d’organisations internationales et régionales, qui ont réaffirmé leur détermination à agir sur la base de la résolution 1973.

Cette résolution donne aux États souhaitant intervenir dans la crise libyenne une autorisation de recours à la force.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye : nous menons une opération de protection des populations civiles, une opération de recours légitime à la force, dans le respect de ce qui est prévu au chapitre VII de la Charte des Nations unies.

Nos objectifs sont précis et strictement conformes notamment aux paragraphes 4 et 6 de la résolution 1973.

Il s’agit de protéger la population libyenne tout en excluant explicitement l’envoi d’une force d’occupation au sol.

Il s’agit de mettre en place une zone d’interdiction aérienne.

Il s’agit de mettre en œuvre l’embargo sur les armes.

Enfin, il s’agit de compléter le régime de sanctions déjà prévu par la résolution 1970.

Le message de la communauté internationale est sans ambiguïté : c’est l’arrêt immédiat des violences ; c’est le retrait des armées libyennes de toutes les zones où elles sont entrées par la force ; c’est le retour de celles-ci dans leurs casernes ; c’est le plein accès de l’assistance humanitaire.

En privant le régime de Kadhafi de sa supériorité militaire, nous voulons offrir au peuple libyen la possibilité de reprendre courage, de définir une stratégie politique et de décider de son avenir.

En effet, il ne nous appartient en aucun cas de nous substituer à lui ! Même si nous appelons au départ de Kadhafi, c’est au peuple libyen et à lui seul qu’il revient de décider de son destin et de ses futurs dirigeants.

C’est dans ce contexte que la France tient à rendre hommage à l’action du Conseil national de transition libyen, que nous avons reconnu comme notre interlocuteur politique et avec lequel nous sommes en relation constante.

C’est dans ce contexte que les forces militaires françaises sont engagées.

Dès le 4 mars, l’armée de l’air française avait entrepris des missions de reconnaissance pour évaluer les capacités de défenses aériennes libyennes et surveiller la progression des forces de Kadhafi. Parallèlement, nos armées se sont préparées à intervenir.

Samedi 19 mars, à l’issue du sommet de Paris, le Président de la République a décidé de lancer les premières missions. Une vingtaine d’avions de combat de l’armée de l’air, accompagnés d’avions ravitailleurs et d’avions de surveillance radar et de guerre électronique, ont alors mené une opération au-dessus de la région de Benghazi avec deux objectifs : stopper l’avance des forces de Kadhafi et commencer à mettre en place la zone d’exclusion aérienne. À dix-sept heures quarante-cinq, nos avions ont détruit plusieurs véhicules blindés et brisé net la progression d’une colonne vers Benghazi.

Depuis, nous n’avons constaté aucun mouvement des forces blindées libyennes vers Benghazi, ce qui montre que cette opération a atteint son premier objectif, à savoir mettre hors de danger cette région menacée.

Quelques heures plus tard, dans la nuit du 19 au 20 mars, les forces américaines et britanniques sont entrées en action avec des missiles de croisière et des bombardiers : ils ont visé des moyens de défense aérienne, des radars, des missiles antiaériens, des avions, dont la destruction est nécessaire à la mise en place de la zone d’exclusion aérienne.

Les opérations aériennes françaises se sont ensuite poursuivies en coordination avec celles des autres pays de la coalition.

Américains, Belges, Britanniques, Canadiens, Danois et Italiens se sont déjà engagés. Dans les prochaines heures, des pays comme le Qatar et les Pays-Bas vont, eux aussi, contribuer aux opérations.

La France engage quotidiennement plus d’une vingtaine d’avions de combat, dont les missions sont planifiées en concertation avec nos alliés.

Depuis ce matin, le groupe aéronaval est opérationnel au large des côtes libyennes.

Les Rafale, Super Étendard et avions radars de la marine seront désormais engagés au plus près, depuis le porte-avions .

La zone d’exclusion aérienne est aujourd’hui en place.

Comme le prévoit la résolution 1973, l’action de nos forces aériennes a bien pour objectif la cessation totale des violences et de toutes attaques et exactions contre la population civile libyenne. J’en veux pour preuve le fait que, dimanche, nos avions de combat, n’ayant détecté aucun moyen libyen s’attaquant aux populations civiles, n’ont pas fait usage de leur armement.

Nous appliquons toute la résolution 1973 et rien que la résolution 1973 !

Je rappelle que les actions visant à la mettre en œuvre sont notifiées au préalable aux secrétaires généraux des Nations unies et de la Ligue des États arabes.

C’est le respect plein et entier de cette résolution par le régime de Kadhafi qui conditionnera la suspension des opérations militaires qui ont été engagées. Tel est le message qui a été adressé par le sommet de Paris au colonel Kadhafi.

En cet instant, au nom du Gouvernement, je veux saluer avec vous le dévouement, le professionnalisme et le courage de nos soldats qui participent aux opérations. Leur mandat est légitime et leur mission est noble.

Mesdames, messieurs les sénateurs, de Tunis au Caire, du Caire à Tripoli, nous pressentons qu’une part de l’avenir du monde méditerranéen est en train de se jouer.

La France aspire à un espace méditerranéen pacifique, solidaire, tourné vers le progrès.

Avec l’Union européenne, nous avons proposé un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée. Ce partenariat marque notre soutien à tous les pays engagés dans les processus de réformes, et il sera accompagné de moyens financiers substantiels, grâce à l’augmentation des capacités d’intervention de la Banque européenne d’investissement.

C’est dans cet esprit que nous appuyons les processus de transition engagés en Égypte et en Tunisie, avec l’objectif d’octroyer à ce pays dès cette année un « statut avancé » dans ses relations avec l’Union européenne.

C’est aussi dans cet esprit que nous avons salué le discours réformateur du roi du Maroc et que nous disons à tous les dirigeants de la région d’écouter les aspirations à la démocratie et à la justice exprimées par leur peuple, d’y répondre de façon pacifique et par le dialogue.

La France souhaite que s’ouvre demain en Méditerranée une nouvelle ère, débarrassée des vieilles scories coloniales et des postures dépassées, une nouvelle ère fondée sur les notions de respect et de dignité, qui verrait la peur et le rejet de l’autre laisser place au partage de valeurs communes.

Cette aspiration concerne aussi le conflit israélo-palestinien, qui ne doit pas être le grand oublié de la transition politique arabe en cours.

En Palestine, en Israël, la colonisation et la violence aveugle continuent d’engendrer des souffrances. Le processus de paix doit être relancé sans tarder.

La France a proposé d’accueillir en juin prochain une nouvelle conférence des donateurs en faveur de la Palestine. Dans le contexte actuel, cette conférence n’a de sens que si elle a une forte dimension politique.

Au moment où le monde arabe s’éveille à la démocratie, 2011 doit être aussi l’année de la création d’un État palestinien vivant en paix et en sécurité à côté d’Israël, dans des frontières sûres et internationalement reconnues.

À l’heure où la France s’engage militairement, à l’heure où nos militaires assument avec courage leur mission, je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que je peux compter sur votre sens de l’unité nationale.

À Benghazi, le drapeau tricolore a été levé, et ce geste nous place devant nos devoirs.

Je sais que les représentants de la nation sont soucieux de défendre une certaine idée de la France et de la liberté.

Aujourd’hui, il n’y a ni droite ni gauche, mais seulement la République ! La République qui s’engage avec cœur, avec courage, mais aussi avec lucidité et gravité. §

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