Nous nous félicitons que le Président de la République ait, le premier, pris l’initiative d’une action concertée pour mettre un terme à la tragédie libyenne.
Les efforts qu’il a déployés, ainsi que ceux de la diplomatie française, sous votre impulsion, monsieur le ministre d’État, tant auprès de l’Union européenne que de la Ligue arabe et des Nations unies, ont permis de constituer la coalition dont le but immédiat est d’obtenir un cessez-le-feu durable, la fin des exactions perpétuées par Kadhafi et ses partisans et l’établissement en Libye d’une démocratie.
Les premiers coups qui ont été infligés à ses partisans doivent leur faire ressentir qu’ils doivent renoncer à la violence s’ils ne veulent pas subir de très lourdes pertes. Mais, quoi qu’il arrive, Kadhafi et ses complices devront répondre de leurs actes devant leur peuple comme devant la juridiction pénale internationale.
Tant que le dictateur demeurera au pouvoir, le peuple libyen ne jouira d’aucune liberté, d’aucune paix et d’aucune perspective démocratique. La seule issue possible et acceptable est son départ et la fin de son régime. Il s’agit là d’un préalable, car son maintien au pouvoir consacrerait la fin des aspirations des Libyens comme l’impuissance des Nations unies devant la force brutale et l’arbitraire.
Loin d’être, comme il le prétend, un rempart contre l’islamisme, Kadhafi l’exacerbe en faisant des islamistes des martyrs qui s’identifient à la lutte contre l’oppression. Il est en outre paradoxal que celui qui fut en son temps le chef d’un État terroriste se pose en meilleur acteur de la lutte anti-terroriste.
Notre intervention était à tous égards nécessaire, justifiée et légale, mais il est indispensable d’en fixer les limites et d’en évaluer les conséquences.
Nécessaire, l’intervention de la coalition l’était parce que, sans elle, le régime de Tripoli, avec son aviation et ses armes lourdes, aurait rapidement mis fin à la résistance des combattants cyrénaïques. Il avait, au surplus, annoncé une répression sanglante de l’insurrection. C’est le seul domaine dans lequel on pouvait le croire sur parole !
Juste, le soutien que nous apportons au peuple libyen est conforme à nos valeurs comme à nos traditions. Il est fidèle aux dispositions de la Charte des Nations unies, qui proclame les droits des peuples à la liberté, la justice et la tolérance.
Légal enfin, notre concours se fonde sur la résolution 1973 de l’ONU, qui est l’aboutissement des prises de position et de décisions convergentes, que ce soit celles de la Ligue arabe, de l’Union africaine, du secrétariat général de l’Organisation islamique, de l’Union européenne, du G8 et de la résolution 1970 excluant la Libye du Conseil des droits de l’homme.
Le Conseil de la Ligue des États arabes a demandé, le 12 mars dernier, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne et la création de zones protégées pour assurer la protection des populations libyennes. Cette responsabilité de protection consacrée par la résolution explique et légitime l’action de la coalition. Elle est dans la droite ligne du chapitre VII de la Charte des Nations unies, notamment son article 42, qui prévoit le recours à la force pour le rétablissement de la paix.
D’ores et déjà, nous devons constater, pour nous en féliciter, que l’utilisation des frappes aériennes et navales autorisées par la résolution 1973 a prévenu un massacre annoncé, et brisé l’offensive de Kadhafi sur la Cyrénaïque.
Ces résultats satisfaisants ne doivent pas pour autant occulter les limites de l’action entreprise.
La résolution 1973, dans son paragraphe 4, exclut tout « déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». Il en découle que la seule disposition protectrice légale est la mise en place de la zone d’exclusion aérienne, ainsi que, le cas échéant, des frappes ciblées.
L’exemple irakien montre que le maintien de la zone de protection aérienne peut être long et coûteux, car il nécessite des moyens aériens importants. Si les États-Unis décident de limiter leur intervention dans le temps, la responsabilité du respect de cette zone incombera alors aux autres membres de la coalition et son efficacité dépendra de leur cohésion.
La navrante faiblesse de l’Union européenne et l’absence de structures militaires solides en son sein expliquent que, tout naturellement, nombre de nos partenaires se tournent vers l’OTAN quand il s’agit de s’engager dans l’opérationnel.
Nous avons récusé le patronage de l’OTAN avec raison, car il aurait été difficilement accepté par les nations arabes, mais nous sommes conscients des difficultés de la mise en œuvre d’un commandement international, particulièrement dans le cas d’un retrait américain, sans un concours logistique de l’OTAN.
Nous nous employons avec ardeur à ne nous dissocier à aucun moment des États de la Ligue arabe et à maintenir un lien permanent avec eux dans la conduite de nos interventions. Pas plus que les États membres de l’Union européenne, les États arabes ne sont unanimes sur la politique à mener vis-à-vis de la Libye. L’Algérie s’est notamment abstenue lors du vote de la résolution aux Nations unies. Pour des raisons compréhensibles, les États africains voisins de la Libye font preuve d’une grande prudence et l’engagement actif des États arabes provient plutôt des États du golfe Persique.
Mais, parce que la Libye est un État arabe, les nations arabes ne sauraient être indifférentes à son avenir et laisser aux seuls États d’Europe ou d’Amérique du Nord le soin de neutraliser le dictateur libyen ou de l’éliminer. Le devoir de protection à l’égard du peuple libyen est aussi le leur.
Enfin, il sera très difficile aux partisans du Conseil national de transition de mettre fin au régime de Kadhafi et ses soutiens sans l’aide de la communauté internationale ou des États voisins, faute de disposer des moyens militaires suffisants.
Le risque est de voir se mettre en place une partition de fait, chaque camp demeurant retranché dans la zone où il est le mieux implanté. Sans même parler des suites d’un chaos en Libye pour la sécurité de nos approvisionnements énergétiques ou de l’accentuation des flux migratoires vers l’Europe, l’affaiblissement durable de l’État libyen serait une menace grave pour la paix dans cette partie de l’Afrique en raison de sa situation stratégique.
Ce pays ne saurait devenir un nouveau havre pour les islamistes – et donner l’occasion à Al-Qaïda au Maghreb islamique d’étendre son empire – ou un nouvel espace pour tous les trafics, celui de la drogue en particulier.
La France, la première, a reconnu le Conseil national de transition.
Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, il appartient au seul peuple libyen de fixer son destin et de se doter des institutions de son choix.
Même si la résolution des Nations unies ne demande pas le départ de Kadhafi, le maintien de son pouvoir oppresseur est incompatible avec les profonds changements qui s’annoncent dans le monde arabe.
Le soutien au Conseil national de transition implique probablement un blocus total, empêchant Kadhafi d’obtenir des ressources extérieures. Mais l’embargo sur les armes et le gel des avoirs du dictateur et de ses affidés sont-ils suffisants ? Ne faudra-t-il pas recourir à des mesures plus contraignantes pour l’empêcher de trouver de nouvelles ressources ?
Quelle coopération peut-on attendre des pays voisins et de la communauté internationale dans ce domaine ? La Russie et la Chine, qui se sont abstenues lors du vote aux Nations unies, sont-elles prêtes à s’associer à un blocus ?
L’Union européenne et l’ONU ont un rôle majeur à jouer pour aider à la reconstruction des institutions et mener des actions de soutien au peuple libyen, et nous nous réjouissons que vous nous ayez annoncé un soutien important de l’Union européenne et de la France dans ce domaine.
La Libye dispose d’atouts importants : 50 % de sa population est âgée de moins de vingt ans, elle est alphabétisée à 90 % et urbanisée à 85 %. Elle peut compter sur une diaspora susceptible de jouer un rôle important dans la modernisation du pays. C’est également un pays riche de ses immenses ressources énergétiques et qui dispose de 120 milliards de dollars de réserves. Tous ces moyens peuvent être mis au service du développement de l’économie et de la démocratie.
La Libye démocratique doit donc pouvoir compter sur notre soutien.
La France, grâce à l’action du Président de la République et du Gouvernement, grâce à votre force de conviction et à votre expérience, monsieur le ministre d’État, mais aussi à notre diplomatie, grâce à l’engagement courageux de nos forces aériennes et navales, aura œuvré avec promptitude, ardeur et efficacité pour venir en aide à un peuple victime de ses dirigeants.
Comment ne pas éprouver un sentiment de fierté quand ceux à qui nous portons secours nous clament leur reconnaissance et rendent un hommage vibrant à notre action ?
Comment rester insensibles à l’espoir que les peuples arabes mettent dans un avenir plus libre et plus démocratique ? Par quelle fatalité seraient-ils condamnés pour la suite des temps à la dictature et à l’oppression ?
Pourquoi ne rêverions-nous pas d’une Méditerranée qui, loin d’être l’enjeu de conflits sanglants entre les États qui la bordent, serait un océan de paix et un espace de liberté rapprochant l’Europe, l’Asie et l’Afrique ?
Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, en nous engageant comme nous l’avons fait, nous avons pris un risque, celui d’un échec, qui laisserait la Libye demeurer une terre de malheur. Mais il y a quelque chose de pire que de prendre un risque : celui de s’exposer, par manque de courage, par indifférence ou par égoïsme, à laisser massacrer un peuple à nos portes, sans lui venir en aide.
C’est l’honneur de la France d’avoir refusé ce parti !