Intervention de Jean-Louis Carrère

Réunion du 22 mars 2011 à 15h15
Situation en libye — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère :

Monsieur le Premier ministre, vous le savez, le débat devant la Haute Assemblée tout comme nos travaux en commission des affaires étrangères ont un but, et un seul : permettre le contrôle démocratique, par le Parlement, des choix fondamentaux que le Gouvernement est amené à faire, et qui engagent notre pays tout entier.

C’est dans cet état d’esprit que je souhaite à présent vous demander des précisions sur différents points ou faits, ainsi que des éclaircissements sur notre stratégie et nos objectifs. Car, force est de le constater, bien des choses restent floues en l’état actuel des informations dont nous disposons et nombre de points méritent d’être précisés pour éclairer nos débats et guider notre action.

Qu’en est-il, d’abord, du positionnement exact de la Ligue arabe ?

C’est une question essentielle si nous voulons éviter que les opérations militaires en cours ne soient interprétées comme un affrontement entre les peuples occidentaux et les peuples arabes, entre l’Occident et l’Orient, en un mot, comme un choc des civilisations. Non, non, non, mes chers collègues, nous ne sommes pas à l’initiative d’une nouvelle croisade !

À cet égard, il faut d’ailleurs souligner l’importance de la réunion à Paris, samedi dernier, sous la présidence conjointe de la France et du secrétaire général des Nations unies, des dirigeants de la Ligue des États arabes et de l’Union européenne et des représentants des États-Unis et du Canada.

Nous le savons, et la résolution 1973 le rappelle expressément, la Ligue arabe a elle-même demandé, le 12 mars dernier, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Mais quelle est aujourd’hui la stratégie de la Ligue arabe ?

Sa participation militaire aux opérations en cours est pour le moins modeste, mais comment pourrait-il en être autrement de la part de certains États qui peuvent, eux-mêmes, craindre d’être placés, demain, dans des situations similaires ? Le malaise n’est-il pas plus grand dès lors que seuls le Qatar et les Émirats arabes unis semblent réellement disposés à fournir une contribution militaire ?

Toujours sur le plan politique, comment interpréter, en outre, le relatif flottement dans les déclarations d’Amr Moussa ces derniers jours ?

Je formule de telles interrogations car je suis convaincu que la pleine implication de la Ligue arabe dans les opérations en cours et dans les décisions à venir conditionne en partie la réussite des processus.

Deuxième question, dans le même ordre d’idées : comment évaluer l’attitude de l’Union africaine ?

Là aussi, rien n’est simple, rien n’est évident. En effet, le comité de l’Union africaine sur la Libye a certes réclamé, le dimanche 20 mars, lors de sa réunion à Nouakchott, « la cessation immédiate de toutes les hostilités ». Mais, dans le même temps, il a aussi appelé la communauté internationale « à la retenue » pour éviter « de graves conséquences humanitaires ». Si nous ne pouvons que partager ce souci légitime, devons-nous y voir plus que de simples précautions, une prudence excessive de l’Union africaine à l’égard des opérations en cours ?

Que pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, au sujet des efforts diplomatiques destinés à consolider l’implication de la Ligue arabe et de l’Union africaine, acteurs régionaux majeurs sans lesquels il n’y aura pas de solution durable et viable aux défis que nous rencontrons ? Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, il est déterminant d’y parvenir !

La France est dans son rôle en choisissant le camp du droit international et en voulant venir en aide à un peuple en danger ! Toutefois, n’oublions pas que, au même moment, et dans un silence international assourdissant, y compris dans le monde arabe, la répression s’abat au Yémen et à Bahreïn. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit également réussir à traiter cette situation.

J’en viens à la question du positionnement de nos partenaires européens et américains.

Une nouvelle fois, monsieur le Premier ministre, l’Union européenne se montre divisée sur un sujet fondamental. Cet état de fait est apparu dès le vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité, au cours duquel nos amis allemands se sont abstenus, rejoignant le Brésil, la Chine, la Fédération de Russie et l’Inde.

Plus profondément, comment ne pas déplorer la manière dont l’Union européenne s’est comportée dans cette affaire ? Absence d’authentiques débats politiques, inadaptation des cadres de planification et d’intervention, inexistence de fait de l’Europe diplomatique et de l’Europe de la défense avec, au final, une gestion franco-britannique se substituant à une approche européenne intégrée : tel est, à ce jour, le bilan européen sur la question libyenne ! Tel est le bilan d’une Europe qui n’a pas su comprendre la profondeur, l’importance, la signification des printemps arabes, et qui n’a pas saisi ces événements historiques pour tendre la main et élaborer une nouvelle approche politique globale à l’égard de l’autre rive de la Méditerranée !

J’ajoute que les États membres de l’Union européenne n’ont pas su élaborer une approche commune sur le rôle et l’implication de l’OTAN dans les opérations libyennes. Le Luxembourg et l’Italie notamment sont allés très loin, en indiquant que l’OTAN était, pour eux, le seul cadre d’action approprié. C’est pourquoi la question de la structure de commandement reste posée.

Monsieur le Premier ministre, que pouvez-vous nous dire sur cette structure de commandement ? Comment s’articulent les prises de décision entre des opérations qui, à ce stade, sont nationales ? Quelle est la part de la France au sein de cette prise de décision qui est coordonnée, d’après ce que nous comprenons, par les quartiers généraux américains de Ramstein et Naples ?

Enfin, et surtout, pouvez-vous nous garantir de manière certaine que ni la France ni nos forces armées ne courent le risque d’être impliquées involontairement par des décisions qui auraient été prises sans notre accord plein et entier ?

En outre, se pose, mes chers collègues, la question des objectifs stratégiques que nous poursuivons. À cet égard, le Parlement doit être informé, monsieur le Premier ministre !

En engageant nos forces armées, poursuivons-nous pour seul objectif la pleine et entière mise en œuvre de la résolution 1973 ? Certes, ce serait déjà bien, mais que ferons-nous une fois les stipulations de cette résolution pleinement effectives ? La France et la coalition ont-elles d’autres buts, au-delà de l’obtention d’un cessez-le-feu protégeant les populations civiles et ouvrant la voie à de possibles négociations ? En particulier, est-il envisagé de mobiliser la communauté internationale contre Kadhafi et son régime, avec, pour objectif ultime, la chute et le changement de ce régime ? Voulons-nous renverser Kadhafi pour installer à sa place un gouvernement issu du Conseil national de transition de Benghazi ? J’ai bien entendu l’intervention de M. le Premier ministre déclarant que ce ne serait l’apanage que du peuple libyen lui-même. Mais où allons-nous, en droit ou en fait ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion