Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, dès vendredi, j’ai demandé, au nom de mon groupe, une réunion du Parlement pour débattre de l’intervention militaire de notre pays en Libye.
Aujourd’hui, elle est de droit de par la Constitution, mais, une nouvelle fois, je ne peux que regretter qu’à la différence d’autres pays l’exécutif puisse décider une telle intervention avant que les représentants du peuple en soient informés et, en conséquence, sans leur accord. Au regard des très importantes conséquences à attendre d’une telle décision, le débat préalable du Parlement serait légitime et, à mon sens, très utile.
Depuis des mois, le monde arabe est en ébullition, les peuples dans de nombreux pays de la région se soulèvent contre leurs dictateurs. Si les conditions sont différentes d’un pays à l’autre, les exigences de démocratie et de justice sont partout présentes. À n’en pas douter, ces mouvements sont de grande portée.
Le moins que l’on puisse dire est que le pouvoir en France, comme d’ailleurs dans les autres pays européens, a été pris à contrepied par les révolutions tunisienne et égyptienne, lui qui a soutenu jusqu’au dernier moment l’ami Ben Ali ou qui avait fait de l’ami égyptien Moubarak le vice-président de l’Union pour la Méditerranée.
Alors, aujourd’hui, soudaine prise de conscience de la dictature libyenne, des exactions de Kadhafi contre son peuple, lui qui a été reçu ostensiblement avec tous les honneurs voilà deux ans à Paris ? Ou défense des intérêts pétroliers de Total comme de BP pour la Grande-Bretagne ? Ou opération de promotion, dont il a bien besoin, du président de la République sur la scène internationale ?
Attention danger !
Présentées aux opinions publiques comme indispensables pour protéger les populations, promouvoir la démocratie, juguler le terrorisme, repousser l’islamisme, au prix parfois de manipulations mensongères, les interventions militaires des Occidentaux, notamment en Irak et en Afghanistan, nous ont montrés, s’il en était besoin, les souffrances qui en ont découlé pour les populations, les incapacités à résoudre les problèmes des peuples concernés, a fortiori à instaurer la démocratie.
Le soulèvement populaire en Libye a besoin de soutien contre la répression sanglante déclenchée par Kadhafi. Cela, nous en sommes convaincus. Nous avons d’ailleurs constaté que les insurgés, s’ils demandent de l’aide, veulent contrôler les moyens de leur libération et ses suites. Ont-ils, en revanche, sollicité une telle intervention militaire extérieure ?
Les sénateurs communistes estiment absolument nécessaire que la communauté internationale se préoccupe de la protection des populations civiles, en Libye comme d’ailleurs partout où elles sont, hélas ! menacées. Au Yémen, à Bahreïn, en Côte d’Ivoire, et peut-être demain dans de nombreux pays qui essaient de secouer le joug qui les étouffe.
La question est : comment les aider ? Et là, il est légitime de s’interroger.
Monsieur le Premier ministre, les dispositions rendues possibles par la résolution 1970 du Conseil de sécurité le 26 février ont-elles été mises en œuvre avec détermination ? Je pense à la saisine de la Cour pénale internationale, à l’embargo sur les armes, au gel des avoirs libyens ou à l’embargo sur le pétrole. C’est une question !
Pourquoi les offres de médiations internationales ont-elles été refusées ?
Pourquoi n’a-t-on pas encouragé les efforts de l’Union africaine par une solution pacifique ?
Ces préoccupations m’ont amenée, vendredi à Matignon, à émettre des réserves sur la résolution 1973, à laquelle a poussé la France et qui a été adoptée par dix voix pour et cinq abstentions, présentée comme ayant pour seul objectif de protéger les populations civiles, sous l’égide de l’ONU, mais par tous les moyens possibles, ce qui s’est immédiatement révélé source d’interprétations diverses.
Quel est l’objectif réel ? L’instauration d’une zone d’exclusion aérienne ? Celle-ci est-elle réalisée ? Les opérations militaires engagées depuis samedi ne font qu’accroître nos interrogations. Je le déplore, mais c’est ainsi.
Des observateurs ont évoqué un véritable carnage sur la route de Benghazi à Ajdabiya. Qu’en est-il exactement ?
La France reconnaît des bombardements de quatre véhicules blindés de l’armée libyenne, autour de Benghazi, mais aussi l’envoi massif de missiles visant directement Tripoli et une résidence de Kadhafi.
Combien de morts, combien de soldats et de civils tués dans ce qui apparaît clairement être une guerre en Libye ?
Aujourd’hui, de nombreuses réserves sont exprimées. L’Union africaine a refusé de s’associer à l’opération ; la Ligue arabe, associée à l’intervention, conteste l’interprétation de la résolution 1973 ; les pays du Maghreb font part de leurs réticences ; l’Union européenne est divisée, tout comme les opinions publiques des pays européens engagés, y compris la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, certains pays demandent le transfert à l’OTAN du commandement de l’opération. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le Premier ministre, que les opérations se font sous le seul commandement américain, lequel les a d’ailleurs baptisées l’« Aube de l’Odyssée » ! Quelle est la position de la France sur cette question ?
Dans les circonstances actuelles, la transparence doit être totale pour que notre peuple et ses représentants aient la vision la plus exacte de la situation en Libye. Pouvez-vous nous fournir des éléments d’information sur le Conseil national de transition ? Quels rôles y jouent les anciens dirigeants kadhafistes ? La coordination est-elle réelle entre les démocrates de Benghazi et les forces armées qui combattent le régime libyen en ce moment même ? La résolution 1973, dans son premier point, demande un cessez-le-feu. Celui-ci doit être respecté par tous, comme le demande l’Union africaine. Comment agir pour permettre dans les faits et en toute transparence le respect de ce cessez-le-feu ?
Monsieur le Premier ministre, la France a-t-elle décidé de protéger les populations civiles, toutes les populations civiles, comme l’exige M. Moussa, dirigeant de la Ligue arabe, ou bien d’éliminer physiquement Kadhafi ?
Tout doit être mis en œuvre aujourd’hui pour faire taire les armes. La logique de guerre et le déploiement considérable de forces ne peuvent rien entraîner de bon. Quand considérerez-vous que l’objectif fixé par la résolution 1973 sera atteint ?
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, il faut stopper cette logique de guerre, qui, sous prétexte d’une aide bien tardive aux aspirations des peuples, présente tous les stigmates d’une « croisade occidentale », selon la formule employée par le ministre de l’intérieur, dans la région.
Enfin, allez-vous porter la voix d’une solution pacifique au Conseil de sécurité qui doit se tenir jeudi, alors que vous qualifiez l’intervention militaire de succès ?
Compte tenu de ces interrogations, vous comprenez, monsieur le Premier ministre, que nous continuions d’émettre des réserves sur l’action décidée par le Président de la République et votre gouvernement.