Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 22 mars 2011 à 15h15
Situation en libye — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’insurrection libyenne est le nouveau chapitre de l’histoire de l’émancipation des peuples arabo-musulmans. Cette vague de fond doit conduire à une réflexion approfondie et à une profonde rénovation de notre action dans cette aire géographique et culturelle.

L’intervention française en Libye au titre du volontariat opérationnel prévu par la résolution de l’ONU peut apparaître comme un tournant. Les Nations unies ont, par cette résolution, mis en avant le concept d’intervention pour la protection des populations civiles, notion plus opérationnelle et légitime que celle du « droit d’ingérence » des philosophes mondains des cafés parisiens. Elle s’inscrit dans un vaste mouvement de renouvellement de notre regard sur nos voisins du Sud.

La démocratisation à l’œuvre en Afrique du Nord, dans le Golfe et dans tant d’autres régions encore bouleverse le regard que l’Occident pouvait porter sur les peuples et civilisations de la sphère musulmane.

Depuis des années, notre vision du monde arabo-musulman a été prise en étau entre le spectre des dictatures et celui du terrorisme. Al-Qaïda s’est imposé, pour de nombreux observateurs, lors de la dernière décennie, comme le dernier horizon d’une population opprimée.

Les pays occidentaux, l’Europe, les États-Unis, la France ont joué le jeu du soutien aux régimes autoritaires pour mieux endiguer le péril du terrorisme international, mais aussi pour mieux assurer leur approvisionnement en pétrole et pour tenter de juguler les flux migratoires dans le nord de l’Afrique.

Depuis trois mois, il y a des changements. Les peuples d’Afrique du Nord et de l’arc musulman hors Méditerranée en général ont pris conscience d’une commune aspiration à la liberté.

Ces populations n’étaient pas plus ivres de servitude que les autres. Un nouvel acteur a surgi. La fameuse « rue arabe », connue pour sa virulence, tend à devenir une véritable opinion publique, gage et symbole de maturité pour les sociétés démocratiques.

Le combat du peuple libyen pour la liberté fait écho à notre propre histoire. Il nous a fallu près de deux siècles, en Europe et en France, pour nous orienter vers la démocratie. Ce chemin n’a pas été sans heurts : combien de combats n’avons-nous pas connus dans notre pays pour arriver à cela ?

Les peuples de la sphère arabo-musulmane viennent de démontrer au monde qu’ils étaient engagés sur cette voie. Ces révolutions, en sus de leur brusque déclenchement, partagent un autre point commun : ce sont des révolutions de la mondialisation, et ce à deux titres.

Premièrement, Internet, les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été des outils incontournables pour la réussite des soulèvements en Tunisie, en Égypte et ailleurs. Ces outils ont été déterminants dans le déclenchement de l’insurrection libyenne et dans la mobilisation des insurgés pendant la deuxième quinzaine du mois de février.

Deuxièmement, l’opinion publique arabe s’est levée au nom du « mieux vivre ensemble ». Les révolutions, les insurrections qui se déclenchent et que nous soutenons, notamment en Libye, ne sont pas des révolutions théocratiques ou animées par l’islamisme ; ce sont des révolutions populaires, de peuples qui veulent d’abord bien vivre.

L’engagement de nos forces aériennes en Libye était justifié par l’urgence du péril qui menaçait Benghazi. Personne ne sait quelle sera l’issue du conflit. Rien ne nous assure que le maintien d’une zone d’exclusion aérienne suffira à faire tomber le régime du colonel Kadhafi. Notre mandat issu de la résolution 1973 nous autorise seulement à protéger activement les civils. Cependant, nous savons aujourd’hui que la politique de la canonnière ne suffira plus désormais.

Nous peinons à consolider les institutions démocratiques que nous avons contribué à installer au moyen de la force en Afghanistan et en Irak. Nous peinons, car nous n’avons pas attendu le surgissement d’un espace public autonome et dynamique dans ces sociétés.

La démocratisation culturelle des peuples du sud de la Méditerranée doit nous conduire à une propre révolution culturelle. L’imposition par la voie militaire n’est plus possible. Elle peut même être contre-productive si elle met en péril la survie des populations civiles.

Ce qu’il nous faut maintenant, c’est accompagner l’épanouissement de la démocratie dans ces pays. Les formes de cet accompagnement restent à définir. Il sera principalement civil et de long terme. S’il faut saluer hardiment le courage de nos soldats, nous ne devons pas oublier que notre devoir envers nos voisins du Sud ne se limitera pas à cette intervention militaire.

Le problème immédiat qui se posera sera celui de la répartition des richesses, la question, en somme, de l’équité sociale. Les pays révoltés se ressemblent en tant qu’ils partagent la même injustice. Un cercle étroit de familiers du pouvoir accapare les richesses du territoire…

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