Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre est la pire des solutions, mais elle est aujourd’hui la seule option. Les trop nombreuses victimes de la répression libyenne nous y obligent. Un immobilisme empreint de compassion aurait abouti au final, sous la pression des opinions publiques, à ajouter la guerre au déshonneur.
La France a été un catalyseur indispensable pour sensibiliser la communauté internationale. Grâce à la détermination du Président de la République et du Gouvernement, notre diplomatie a retrouvé la place qu’elle avait acquise lors du débat aux Nations unies sur l’Irak, en mettant en œuvre la mise en garde de Winston Churchill : « Si on discute indéfiniment sur le passé et le présent, on se rendra vite compte qu’on a perdu l’avenir ».
Nous avons convaincu et mobilisé les membres du Conseil de sécurité pour éviter tout vote négatif. On peut regretter que, dans le cadre de l’Union européenne, l’Allemagne, pour des motifs de politique intérieure, soit si peu allante.
En recevant le Comité national de transition de l’opposition libyenne, le Président de la République a su faire preuve à la fois de hardiesse et de clairvoyance, car la venue de cette délégation a entraîné la caution de la Ligue arabe. Or l’implication de cette dernière et de son secrétaire général, Amr Moussa, fut certainement déterminante.
Néanmoins, déjà, les interrogations affluent. La guerre, certes, mais après ? Et, tout d’abord, quels sont nos objectifs ? En effet, nous ne pouvons nous placer dans l’état d’esprit d’un Clemenceau déclarant : « Je fais la guerre, je fais la guerre, je fais la guerre ».
Dès lors, faisons-nous de l’ingérence humanitaire ? Mais où se trouve la séparation entre cette dernière et la participation à une guerre civile ? Où est la frontière entre la répression d’un peuple et une guerre civile dans laquelle s’affrontent un gouvernement hier légitime et une opposition armée s’appuyant sur les droits de l’homme ?
Hélas, les zones d’exclusion aérienne ne suffiront sans doute pas pour arrêter les affrontements interlibyens et demain, peut-être, intertribaux. Les satellites, les avions d’observation permettront-ils d’empêcher l’infiltration de petits groupes se constituant en forces opérationnelles pour lancer une guérilla urbaine dans laquelle l’aviation devient inopérante ? On en viendra à s’interroger sur les troupes au sol.
Nous devrons certainement nous limiter à la résolution 1973, mais celle-ci permettra-t-elle de stabiliser un pays à l’organisation tribale ? En effet, la Libye risque l’éclatement, avec pour cortège, tout d’abord, un flux de réfugiés que les pays de l’Union européenne se repasseront comme un fardeau dont personne ne voudra, puis le spectre d’un nouveau Somaliland, zone à très haut risque, source d’instabilité politique et économique.
Surtout, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, quand pourrons-nous déclarer la guerre finie et les objectifs atteints ? Quand pourrez-vous annoncer que l’intervention, puis l’état d’alerte auront cessé ?
Est-ce l’ONU qui le décidera ? Oui, sans doute. Ou sera-ce la réticence grandissante de la Ligue arabe ? Peut-être.
Lorsque le président Obama déclare que le colonel Kadhafi doit partir, c’est un peu court. Il faut fournir le mode d’emploi !
Confier la gestion du conflit à l’OTAN, comme certains le proposent, nous priverait du soutien de la Ligue arabe et, vraisemblablement, de la participation active, mais symbolique, de l’aviation du Qatar et des Émirats arabes unis. Pour les opinions arabes, malgré l’appui du Conseil de sécurité, nous nous trouverions dans une position comparable à celle des Américains en Irak.
Bien que ses membres s’interrogent sur leur propre avenir, la Ligue arabe ne pouvait cautionner en Libye un régime dont la brutalité répressive horrifiait le monde.
L’effondrement des régimes tunisien, égyptien et, espérons-le, libyen, les manifestations grandissantes au Yémen, à Oman et à Bahreïn, les tentatives de protestation en Syrie et en Arabie Saoudite montrent que tous ces pays, dont chacun était convaincu de la stabilité, sont en mutation.
À supposer que cette intervention se déroule le moins mal possible – en effet, les aléas sont nombreux, et, comme Talleyrand, n’oublions pas que « le pire est toujours sûr » –, quelles en seront les leçons ?
S’il y a déjà une conclusion à tirer de ce conflit, c’est que la France doit intensifier son dialogue avec la Ligue arabe pour comprendre et accompagner l’évolution des États membres. Il serait illusoire et contre-productif de vouloir plaquer sur ces pays nos critères occidentaux. Ne soyons pas péremptoires, oublions toute arrogance.
La France dispose d’un crédit certain auprès de nombreux pays qui constituent cette ligue. Si les mouvements de libération s’accentuent, nous devrons tenter d’éviter aux populations des répressions brutales.
La Ligue arabe, que certains pouvaient considérer comme un agrégat protéiforme sans axe politique majeur hormis l’hostilité à Israël, apparaît désormais comme un partenaire majeur de notre diplomatie.
Convaincre Israël de cesser son injustifiable et dramatique politique de colonisation, contraire au droit international et contraire, sur le long terme, à ses intérêts propres, serait un moyen de renforcer notre dialogue avec la Ligue arabe et la volonté de cette dernière de collaborer.
De même, nous devons entretenir un dialogue étroit avec l’Union africaine.
Ces deux regroupements sont certainement aujourd’hui à l’aube de nombreux bouleversements, dont nous devons veiller à ce qu’ils ne deviennent pas sanglants.