Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la répression de la vague démocratique libyenne par le tyran Kadhafi et l’intervention militaire de la communauté internationale qui en résulte sont des événements d’une extrême complexité ; le moment est trop grave pour que nous puissions nous en sortir avec des schémas simplifiés.
Avant d’aborder la question des opérations militaires en cours, vous me permettrez de revenir sur notre position initiale.
Le Parti de gauche s’est prononcé en faveur d’une résolution de l’ONU encadrant les conditions d’une protection de la population. Deux axes de raisonnement nous ont conduits à prendre cette position.
Premièrement, nous partons du constat qu’une véritable vague démocratique a déferlé contre le régime de Kadhafi. Il s’agit d’un soulèvement du peuple libyen contre un régime tyrannique et oligarchique, comme en Tunisie et en Égypte, mais, à l’inverse de ce qui s’est produit dans ces deux pays, en Libye, le pouvoir a décidé de briser la révolution en menant une véritable offensive armée contre son peuple, opération qui a d’ores et déjà entraîné plusieurs centaines de morts et la fuite de plus de 300 000 personnes.
Cette situation confère une responsabilité importante à la communauté internationale. Il est décisif que la vague révolutionnaire ne soit pas brisée en Libye. Il suffirait en effet que Kadhafi l’emporte pour que se propage le message selon lequel le tyran qui tire le plus longtemps et le plus durement sur son peuple pendant une révolution gagne !
Ce serait alors le signal désastreux d’une victoire de la contre-révolution, et donc la fin du « printemps arabe ».
À ce titre, nous sommes attentifs aux événements en cours au Yémen, à Bahreïn, en Jordanie, en Syrie et dans d’autres pays encore.
Le seul point positif à l’heure actuelle réside dans la nouvelle dynamique insufflée aux soulèvements arabes à la suite de cette intervention militaire. Ainsi, la flamme du « printemps arabe » ne s’est pas éteinte en Libye, comme cela aurait été le cas si Kadhafi l’avait emporté.
Deuxièmement, nous sommes partisans d’un ordre international garanti exclusivement par l’ONU. Cette clause juridico-politique est primordiale.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les relations internationales ne s’inscrivaient pas dans ce cadre. Pendant toute la période de la guerre froide, deux blocs se sont affrontés, en faisant fi de l’ONU, jusqu’à la chute du Mur de Berlin.
Après 1989, les États-Unis ont ouvert la voie à un « nouvel ordre mondial » placé sous leur seul leadership. Cette situation a entraîné de nombreuses guerres illégitimes et impérialistes, comme en Irak ou en Afghanistan.
La décision d’intervenir en Libye est complètement différente, puisqu’elle résulte de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de sa résolution 1973. C’est donc une bonne nouvelle pour les partisans d’un ordre international légitime, et c’est dans cet esprit que nous approuvons le mandat de l’ONU, s’agissant notamment de la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne qui permet tout à la fois de rééquilibrer les forces au profit de la révolution, de protéger les populations civiles et de démontrer au dictateur libyen – ainsi qu’aux autres dictateurs – la volonté de la communauté internationale de ne pas le laisser massacrer la population de son pays en toute impunité.
Cela étant dit, nous déplorons fortement que la communauté internationale pratique le « deux poids, deux mesures ». En effet, aucune décision n’est prise contre les répressions sanglantes à l’œuvre à Bahreïn et au Yémen. Et ne parlons même pas de l’attitude silencieuse de la communauté internationale lorsqu’il s’agit de Gaza ou de coups d’État en Amérique du Sud ! Ce « deux poids, deux mesures » jette un fort discrédit sur toute décision internationale.
De plus, nous ne sommes pas dupes et savons les intérêts qu’ont certains pays à intervenir, comme l’autocratie du Qatar, qui a négocié auprès des puissances occidentales une impunité pour pouvoir réprimer son peuple.
Enfin, nous avons encore en mémoire l’attitude pitoyable et scandaleuse du Gouvernement face aux révolutions tunisienne et égyptienne.