Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 22 mars 2011 à 15h15
Situation en libye — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, vos remarques ont essentiellement porté sur les enjeux de politique internationale qui ont préfiguré hier le conflit libyen, qui l’accompagnent aujourd’hui et qui en décideront demain la suite.

Les aspects militaires sont, en apparence, plus clairs. Mais je ne saurais commencer cette courte intervention sans remercier l’ensemble des intervenants qui ont salué l’effort de nos soldats engagés depuis maintenant près d’une semaine sur un théâtre particulièrement singulier et exigeant. Je remercie particulièrement ceux qui l’ont fait avec chaleur, tel Jean-Claude Gaudin, avec conviction, tels Jean-Pierre Chevènement, Jean-Louis Carrère et François Zocchetto. Quant à vous, monsieur le président, vous savez trop combien la position de la France repose in fine sur le professionnalisme, l’engagement, le sérieux, en un mot le civisme de nos soldats pour que j’aie besoin d’insister.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me dois d’attirer l’attention du Sénat sur le fait que si, en apparence, quelques dizaines de pilotes seulement sont engagés, en réalité, l’ensemble de nos forces aériennes sont mobilisées, et tout le territoire national est concerné.

Pour ce qui est du transport, sans lequel la préparation de la base de Solenzara n’aurait pas été possible, il faut citer les bases d’Orléans et d’Évreux.

Pour ce qui est du contrôle aérien, sans lequel le combat est aujourd’hui impossible, je citerai la base d’Avord, dans le Cher, où se trouvent les AWACS.

Pour ce qui est de la logistique, je citerai la base d’Istres, où se trouvent les ravitailleurs C-135, base située dans les Bouches-du-Rhône, un département cher à M. Jean-Claude Gaudin.

Je pense également à la forte implantation des avions de combat dans l’Est - en Lorraine, à Nancy, en Bourgogne, à Dijon, en Champagne-Ardenne, à Saint-Dizier. Je pense encore au Sud, singulièrement au Var, en région PACA, et au port d’attache du Charles-de-Gaulle.

Permettez-moi d’avoir également une pensée pour le travail, dont on n’imagine pas à quel point il est précis et exigeant, des états-majors de l’armée de l’air de Paris ou de Lyon-Mont Verdun.

Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la mobilisation de toutes ces femmes et de tous ces hommes, au service d’une poignée de pilotes équipés de matériels performants, qui assure la réussite de l’opération aérienne. Je tenais, en cet instant, à le rappeler.

Je traiterai uniquement deux questions sous l’angle militaire.

J’évoquerai, premier point, le sens de la résolution 1973.

De très nombreux intervenants, y compris Mme Voynet, que je remercie, ainsi que M. de Montesquiou, nous ont dit, en somme : nous voulons la résolution, toute la résolution, rien que la résolution ! Or, mesdames, messieurs les sénateurs, la signification de cette résolution découle du débat de 2005, quand le Conseil de sécurité des Nations unies a reçu capacité de commander des actions ayant pour objet de protéger des populations civiles menacées par des faits de guerre. C’est bien plus que la zone d’exclusion aérienne.

Aujourd’hui, la ZEA est réalisée. Il est vraisemblable qu’aucun aéronef, aucun hélicoptère, aucun avion de combat gouvernemental de Kadhafi ne peut voler en cet instant. La mission confiée par l’ONU dans le cadre de la résolution 1973 est-elle pour autant accomplie ? Non ! Ce sont toutes les formes de menaces pesant sur les populations civiles qui doivent être impérativement arrêtées par des moyens militaires.

Je prendrai quelques exemples concrets.

Dès samedi, nos avions ont été engagés dans des opérations de tir au sol visant des dispositifs que les moyens modernes de repérage, mais surtout d’analyse et de chaîne de commandement, permettent d’identifier et de neutraliser. Si l’étau sur Benghazi s’est desserré- on peut même dire qu’il est brisé -, c’est bien parce qu’il y a eu des tirs au sol sur des pièces d’artillerie, des chars ou des véhicules blindés.

Nous sommes donc dans une logique qui va bien au-delà de la simple interdiction de survol, une logique où toute agression caractérisée peut faire l’objet d’une frappe, certes aérienne, mais une frappe au sol.

De la même façon, il n’est pas absurde de penser que, dans un pays dont 90 % à 95 % de la population se concentre sur une bande côtière de quelques dizaines de kilomètres de large et de 1 500 kilomètres de long, la marine peut jouer un rôle important. Il s’agit donc, là encore, d’empêcher l’utilisation de la marine kadhafiste pour tourner certaines positions. Je pense à ce qui s’est passé à Misrata, il y a quelques jours, avant notre intervention à Benghazi.

Cette marine a donc vocation à rester dans ses bases, comme les avions ont vocation à rester dans leurs hangars et les chars et pièces d’artillerie dans leurs quartiers. Ceux qui méconnaîtraient cette vocation de stabilité et ne se résigneraient pas pourraient être détruits au sol.

On le voit, bien plus que d’une simple zone d’exclusion aérienne, il s’agit ici d’interdire que des armes de guerre servent à arbitrer un conflit entre citoyens d’un même pays. Telle est la mission confiée à nos soldats, et c’est celle qu’ils accomplissent.

Bien entendu, il s’agit de l’œuvre d’une coalition. Le temps viendra de « débriefer », selon le terme militaire, l’opération. Il est essentiel que se crée une culture de l’action la plus respectueuse possible de l’esprit même de la résolution de 2005, mais ce n’est pas encore acquis dans tous les pays.

Second point, nous sommes dans une guerre de réactivité immédiate. Internet ne se limite pas aux manifestations populaires, culturelles ou artistiques. La « rue arabe », pour reprendre une expression significative et largement adoptée, s’est mobilisée grâce aux nouveaux moyens de communication, le GSM et internet.

Mais les opérations militaires se mènent également en temps réel, ce qui pose en effet la question de la chaîne de commandement.

Nous avons aujourd'hui des moyens d’analyse, d’identification, de décision et de destruction qui fonctionnent en temps réel. Il convient donc que cette considération pour le temps réel soit partagée au sein de la coalition, pour ne pas paralyser, mais au contraire soutenir l’action des combattants, lesquels ont cette capacité de reconnaissance et d’identification en temps réel, afin de leur permettre ensuite de prendre eux-mêmes ou, s’il y a doute, avec un appui extérieur, la décision d’intervenir ou de ne pas intervenir.

De même, si aucun de nos soldats n’est présent au sol, conformément à la résolution 1973, des informations nous parviennent cependant du sol, par le simple fait que les télécommunications fonctionnent et que de très nombreux Libyens s’efforcent, par le biais des réseaux sociaux et d’amitié, de faire passer des messages.

Nous avons donc un besoin absolu de pouvoir procéder à des identifications, à des contrôles. Nous sommes dans un système où la chaîne de la reconnaissance, de l’analyse, de l’identification et, ensuite, de la décision de neutralisation devient extraordinairement difficile.

On nous objectera que, si le conflit se transforme en une guerre civile traditionnelle, nous aurons beau neutraliser les moyens lourds en les maintenant dans leurs quartiers ou leurs bases maritimes, nous ne pourrons rien faire.

Je répondrai que la résolution 1973 repose également sur le principe de l’embargo. Même « légers », les combattants ont besoin d’être nourris et d’être alimentés en provisions. La résolution 1973 vise à combattre une logistique destinée à des combattants agressifs, même si la superficie de la Libye, le triple de celle de la France, permet probablement une certaine porosité…

S’agissant de la chaîne de commandement, les nations de la coalition ont donc à faire preuve collectivement du plus grand réalisme. Le ministre d’État l’a évoqué, la coopération des états-majors sur le plan technique ne doit souffrir qu’une seule règle, celle de l’efficacité au service de la volonté politique.

Nous ne menons pas une guerre de barrettes, d’amour-propre ou d’ego. Nous souhaitons simplement, et je m’exprime au nom des militaires qui mettent en œuvre la politique du Gouvernement, que cette chaîne de commandement soit suffisamment pratique pour tirer totalement parti des moyens modernes dont nous disposons afin d’éviter les excès, les démarches inutiles, les retards, qui seraient tragiques pour telle ou telle population engagée dans un combat.

J’ai toute confiance dans le bon sens des États qui ont voulu cet effort, qui ont voulu cette coalition. La France et la Grande-Bretagne en ont pris l’initiative et ont su entraîner les pays arabes et les pays européens responsables.

Enfin, pour avoir siégé au sein de cette assemblée un certain temps, je sais que mes anciens collègues sénateurs me connaissent comme un homme de tradition, un peu conservateur.

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