Intervention de Paulette Brisepierre

Réunion du 1er octobre 2004 à 16h00
Allocution de la présidente d'âge

Photo de Paulette BrisepierrePaulette Brisepierre, présidente :

Emotion, puisque à travers ma voix résonnent non seulement celles de nos collègues et amis délégués à l'Assemblée des Français de l'étranger, mais plus généralement celles de nos deux millions et demi de compatriotes établis hors de France qui, sur les cinq continents, dans des conditions parfois difficiles, représentent une grande part du rayonnement et de l'âme de la France. C'est à eux que je pense aujourd'hui.

Bonheur, enfin, de retrouver dans notre hémicycle tant de visages d'amis que j'ai toujours trouvés auprès de moi lorsque j'ai fait appel à eux, et de voir de nouveaux visages qui deviendront, je l'espère, également des amis.

Je félicite tous nos collègues élus ou réélus, mais avec une pointe de nostalgie lorsque je pense à ceux qui nous ont quittés, soit parce qu'ils ne se sont pas représentés, soit parce que le sort des urnes ne leur a pas été favorable. Quelle que soit leur appartenance politique, ils étaient pratiquement tous des amis et ont tous fait beaucoup pour le Sénat ; nous ne les oublierons pas.

Je ne peux les citer tous, mais vous me permettrez d'avoir une pensée particulière pour mes trois collègues sénateurs représentant les Français de l'étranger qui ne se sont pas représentés : Xavier de Villepin, Guy Penne et Hubert Durand-Chastel. Tous trois ont fait un travail remarquable ; ils nous manqueront.

Et toujours en tant que sénateur représentant les Français de l'étranger, permettez-moi de nommer ceux qui les ont remplacés en faisant remarquer qu'en ce qui concerne tout au moins la parité, les Français de l'étranger sont exemplaires puisqu'ils ont élu deux femmes : Joëlle Garriaud-Maylam et Christiane Kammermann, et deux hommes, Christian Cointat, qui était sénateur sortant, et Richard Yung.

Mes chers collègues, pour les trois années à venir, nous constituerons tous ensemble l'équipe du Sénat.

Ne nous faisons pas d'illusions. Nous avons devant nous trois années qui s'annoncent intenses, difficiles, ponctuées de problèmes. Dans les jours sombres d'une actualité qui souvent nous dépasse, tout peut arriver, n'importe où, n'importe quand, et pour traverser avec succès les temps à venir nous devons être unis - solidaires - et oublier autant que possible les querelles politiciennes, comme nous l'avons fait pour nos otages Français en Irak, donnant au monde une image sans faille et exemplaire de la France.

Face aux avis de tempête qui ne manqueront pas de jalonner notre route, cet équipage du Sénat va devoir montrer sa solidarité, sa cohésion, et sa capacité à garder à chaque instant le cap de l'intérêt général.

Ce ne sera pas toujours facile. Il appartient à chacun de nous d'oeuvrer pour que notre grand vaisseau ne se transforme pas en bateau ivre, mais soit une figure de proue de la démocratie.

L'écoute, le respect mutuel et l'efficacité sont traditionnellement des valeurs reconnues du Sénat. A nous de continuer dans ce sillage...

Nous le devons à nos électeurs qui nous ont témoigné leur confiance ; nous le devons également au Sénat, ce Sénat que nous aimons et auquel nous sommes fiers d'appartenir.

Au Sénat, qui continue de rajeunir, malgré les trois années de plus de sa doyenne..)

Au Sénat qui se féminise puisque nous comptons maintenant cinquante-six femmes, soit 17 %. Qui dit mieux ?

Le Sénat se modernise également par ses activités culturelles, sociales, scientifiques et économiques et les manifestations marquantes qu'il organise sous l'impulsion de son président.

La Haute Assemblée continue inlassablement à promouvoir une meilleure connaissance du monde des entreprises, qui manquait si souvent aux responsables politiques. Ainsi, les stages d'immersion en entreprise, dont ont bénéficié près de 250 collègues depuis cinq ans, ou les rencontres sénatoriales de l'entreprise sont autant de passerelles jetées entre notre assemblée et le monde économique.

Et, surtout, le Sénat a su poursuivre son adaptation aux nécessités de la vie politique d'aujourd'hui : plus d'initiative, plus de contrôle, plus de célérité dans son travail interne.

Le Sénat incarne l'efficacité, jusque dans sa façon d'être et de travailler au quotidien, avec, reconnaissons-le, l'aide inestimable de collaborateurs d'une qualité rare, et ce à tous les échelons.

Nous sommes ainsi plus forts pour faire face aux évolutions planétaires récentes, sur lesquelles je voudrais maintenant m'attarder quelques instants.

Je citerai simplement les quatre points qui me semblent les plus importants et qui me paraissent refléter le mieux l'évolution de ces trois dernières années : la montée du terrorisme et son immixtion dans la vie politique des pays ; l'élargissement de l'Europe à vingt-cinq ; la poursuite d'une mondialisation si difficile à saisir dans sa globalité ; les vertiges de la diplomatie américaine.

Avec une intuition fulgurante, qui m'a toujours remplie d'admiration, notre grand collègue Maurice Schumann écrivait, voilà près de dix ans : « Le troisième millénaire commencera par une guerre diffuse et permanente. »

Nous y sommes... Du 11 septembre 2001 à Manhattan au 3 septembre 2004 en Ossétie - comble de l'horreur puisqu'on a osé s'en prendre à des enfants -, en passant par les attentats de Tunis, Casablanca, Bagdad ou Madrid, l'attentat contre les avions russes et l'attaque devant l'ambassade d'Australie à Djakarta, sans oublier les enlèvements, qui se multiplient, comme celui de nos journalistes, auxquels nous pensons chaque jour, le terrorisme s'invite aujourd'hui régulièrement à la une d'une terrible actualité.

Mais ce fil rouge, rouge sang, pourrais-je dire, joue selon plusieurs logiques, parfois contradictoires, qui rendent la lutte contre le terrorisme déroutante et toujours plus complexe.

Permettez-moi de citer deux exemples parmi d'autres.

L'attentat du World Trade Center avait renforcé la cohésion de la nation américaine autour de son président, élu de justesse à l'époque, en le transformant en chef de guerre tout puissant.

Plus récemment, le sanglant et monstrueux septembre noir du Caucase a affaibli la position du président russe, dont la fermeté affichée ne réussit pas à occulter le sentiment qu'il est aujourd'hui plus vulnérable.

La leçon de ces tragédies ?

Cette guerre diffuse et permanente qu'est le terrorisme bouleverse désormais autant les rapports de force de la politique intérieure des Etats que les équilibres de leur politique extérieure.

Nous devons absolument tout mettre en oeuvre pour diminuer les inégalités entre les peuples, inégalités insupportables qui engendrent la haine et la rancoeur, formidables ferments du terrorisme.

Deuxième évolution spectaculaire : l'élargissement de l'Europe.

De l'Europe des six, en 1957, à l'Europe des vingt-cinq, en 2004, que d'avancées radicales en si peu d'années !

Avec, à la clé, un glissement du centre de gravité vers l'Est, un accroissement formidable de la population et de la puissance économique de l'Union, et une refonte rendue nécessaire des mécanismes européens, à travers ce projet de constitution.

L'Europe à vingt-cinq peut-elle apporter des réponses au terrorisme ? Peut-elle modifier l'équilibre international, notamment entre les Etats-Unis et l'Europe ? L'Europe à vingt-cinq sera-t-elle plus forte, donc plus encline à servir de moteur économique et culturel, ou plus faible, parce qu'incapable de parler d'une seule voix ?

Une chose est certaine, en jouant la partition de l'élargissement, l'Europe participe à sa manière au concert de la mondialisation, troisième fait marquant de ce début de siècle.

Mais cette mondialisation, que l'air du temps a transformée en victime expiatoire, ne fait-elle pas l'objet d'un malentendu ?

Notre planète ne souffre-t-elle pas de l'inachèvement de la mondialisation plutôt que de sa prétendue omniprésence ? En effet, si elle était à ce point en marche, comment pourrait-on expliquer la marginalisation des pays du Sud, qui s'enfoncent chaque année dans leur isolement ?

Voilà un des défis majeurs.

Terrorisme, Europe à vingt-cinq, mondialisation...

Il me reste à évoquer le rôle des Etats-Unis et notre relation avec la puissance américaine.

Après une période de relations assez glaciales avec les Etats-Unis, réjouissons-nous de constater un retour à des relations normalisées.

Puissent l'épisode irakien et ces « malentendus transatlantiques » dont parlait M. Kissinger nous inciter à méditer. Si les Etats-Unis sont aujourd'hui tentés par l'unilatéralisme et l'interventionnisme, c'est sans doute davantage par réalisme politique que pour des raisons philosophiques. Si l'Amérique intervient, c'est parce qu'elle se sait puissante et qu'elle constate l'impuissance de l'Europe et des grands pays européens.

Nous devons absolument travailler à renforcer l'Europe, afin que notre relation transatlantique retrouve son équilibre, sans quoi les tentations américaines deviendront « structurelles », au-delà même de la personnalité des dirigeants des Etats-Unis.

Face aux défis du terrorisme, de l'élargissement européen, de la mondialisation et du rééquilibrage de notre relation avec les Etats-Unis, le Sénat doit faire entendre sa voix - haut et fort -, loin des querelles politiciennes, mais à travers les différents rôles qui sont les siens.

Rôle de législateur d'abord, rôle de représentant des collectivités territoriales, rôle de contrôleur de l'exécutif, bien sûr.

Mais au-delà, parce qu'il est une chambre d'écho des opinions des parlementaires - de nos opinions à tous -, le Sénat est, si j'ose dire, un « influenceur » de notre société en mal de repères. Chaque fois que l'un d'entre nous s'exprime dans les médias, le Sénat contribue à assurer une plus grande lisibilité de nos institutions et de notre vie démocratique.

Le temps me manque pour citer toutes les initiatives de notre assemblée, mais avouons que nous n'avons pas attendu pour nous mettre au diapason d'une Europe qui redécouvre les nécessités d'un rallongement de la durée du travail.

Il est peu de dire que notre travail s'est considérablement accru ces derniers temps ; le Sénat a siégé 127 jours pendant la dernière session, et l'on n'a pas compté les séances de nuit...

C'est tout à l'honneur de notre fonction, et nous pouvons nous regarder droit dans les yeux, même s'ils sont entourés de quelques cernes supplémentaires, ce qui n'est jamais agréable pour une femme !

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