Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une dépêche, pour le moins lapidaire, de l'Agence France-presse nous est parvenue hier, alors que la commission mixte paritaire sur la loi de finances initiale venait de se réunir. Nous ne pouvons aborder le présent projet de loi de finances rectificative sans avoir en tête votre déclaration, monsieur le ministre : « Une réserve de précaution de 4 milliards d'euros sera effectuée sur le budget de l'Etat en tout début d'année 2005 afin de pouvoir maintenir la stabilité des dépenses de l'Etat d'une année sur l'autre ».
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur le sens réel de nos discussions budgétaires, qu'il s'agisse du projet de loi de finances initiale ou du projet de loi de finances rectificative dont nous abordons l'examen ce matin. En effet, la modification de la loi organique que vous avez souhaitée préconise le gel des crédits budgétaires qui ont été votés par le Parlement pour chaque ministère, même si vous nous dites maintenant qu'il s'agit d'une mesure de précaution pour faire face à des innovations.
Cela dit, le présent projet de loi de finances rectificative se situe dans la droite ligne de la loi de finances initiale : les mesures de simplification fiscale qu'il comporte concernent, de manière quasi exclusive, les revenus les plus élevés, ceux des activités non salariées, ainsi que ceux des entreprises.
Pourtant, nombreux sont ceux qui constatent la progression de la pauvreté et de l'exclusion. Tous les intervenants dans ce domaine nous alertent sur l'augmentation du nombre d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté ; je pense à l'UNICEF, au Secours populaire ou au Secours catholique, pour ne citer que quelques organisations qui tirent la sonnette d'alarme.
De fait, pour la grande majorité des habitants de notre pays, ces dernières années ont été marquées avant tout par une précarisation renforcée des conditions de vie, parce que les politiques menées en matière d'emploi ont accordé la priorité aux seules attentes des entreprises et, plus précisément, du MEDEF.
Des efforts ont été exigés du plus grand nombre, qu'il s'agisse des prélèvements sociaux, de la remise en cause des garanties collectives, ou encore de la réalité des aides publiques à la population.
C'est ainsi que le pouvoir d'achat des Français diminue. C'est si vrai, monsieur le ministre, que votre prédécesseur avait estimé nécessaire d'inviter les grandes surfaces à diminuer leurs prix. Mais, parallèlement, les charges, notamment en ce qui concerne les logements, sont en constante augmentation et un salarié payé au SMIC a de plus en plus de difficultés à faire vivre sa famille.
Non content de cela, vous avez supprimé le versement de l'aide personnalisée au logement de 24 euros à ceux qui auraient dû la percevoir, au motif que le dispositif serait trop lourd à gérer. Pourtant, ces 288 euros par an représentaient une somme non négligeable pour ces familles dont les conditions de vie sont déjà difficiles.
Quand vous parlez d'annulation de crédits, de rationalisation des dépenses, ou que vous considérez la loi organique relative aux lois de finances comme une révolution qu'il faudrait faire connaître aux Français, vous oubliez quelques détails importants.
En effet, votre souci de contenir les dépenses à l'euro près se traduit trop souvent par des conséquences regrettables : par exemple, la fermeture d'une classe en zone urbaine ou en zone rurale, la disparition d'une option ou d'une formation dans un lycée professionnel - quand ce n'est pas le lycée tout entier qui devra fermer, comme celui d'une commune dans mon département d'Indre-et-Loire -, l'insuffisance ou l'absence d'entretien de la voirie nationale, ou encore le retard pris dans la construction d'un programme de logements sociaux.
Cela se traduit aussi par un retard dans le lancement des actions sur le terrain, lesquelles doivent souvent faire l'objet d'un préfinancement par les collectivités territoriales ou les associations, avec le risque de voir le gel se transformer en annulation ou en reports de crédits pour l'année suivante.
Telle est la réalité concrète de la régulation budgétaire que vous présentez comme étant un bon outil, monsieur le ministre.
Ce projet de loi de finances rectificative confirme non seulement la remise en cause des politiques de développement de l'intermodalité des transports urbains, mais également l'abandon d'un certain nombre de projets dans le domaine ferroviaire. A cet égard, les élus de la région Centre viennent de protester contre l'abandon de la réouverture de la ligne Chartres-Orléans.
Avec ce projet de loi de finances rectificative, c'est la poursuite de la dégradation du service des transports en commun de l'Ile-de-France, c'est le retard pris dans le renouvellement des matériels roulants, dans la programmation des nouvelles dessertes, qu'il s'agisse des tramways, des autobus en site propre ou des lignes du réseau ferré.
Le Gouvernement se félicite de bien gérer les comptes et de voir le déficit global connaître une réduction de son montant. Mais, monsieur le ministre, consacrer, de manière exclusive, les plus-values fiscales à la réduction du déficit comptable ne réduit pas le déficit social de votre action politique, qui reste sourde aux attentes réelles de la population.
Vous dites régulièrement que l'Etat doit restreindre son intervention, car il n'a plus les moyens de conduire l'action publique qu'il menait jusqu'à présent, action dont on dit qu'elle est une exception française, mais qui est un héritage de la Libération et qui a donné à la France les capacités du développement qu'on lui reconnaît aujourd'hui.
La logique qui a guidé votre démarche depuis deux ans et demi, monsieur le ministre, a été de réduire à la fois l'impôt sur le revenu des ménages les plus aisés et l'impôt sur les sociétés.
Une telle démarche n'a de sens que pour les sociétés transnationales, les acteurs financiers qui poussent à la destruction des services publics avec des dividendes de l'ordre de 15 % à 20 %, et qui captent pour l'essentiel le produit de la croissance, c'est-à-dire qu'ils confisquent le produit de l'effort de tous.
De fait, dans l'inventaire infini des dispositions du projet de loi de finances rectificative pour 2004, qui est d'apparence technique, ne ressort que l'aggravation des logiques de financiarisation qui sont à l'oeuvre dans l'espace européen. C'est le cas, par exemple, de l'extension de l'exonération de retenue à la source sur des dividendes versés à des sociétés d'Etats membres de la Communauté européenne, ou de l'assouplissement des règles de transfert des déficits lors d'opérations de fusion. Une fois de plus, vous écoutez les entreprises, notamment transnationales, qui ont pourtant déjà largement profité des dernières lois de finances, en particulier celle de 2004.
Tout se passe comme si nous ne faisions qu'adapter en permanence notre législation fiscale à la seule logique des restructurations capitalistiques qui est à l'oeuvre dans notre pays et dans l'Espace économique européen.
L'amendement de la commission des finances portant sur la disparition progressive de l'imposition des plus-values de cessions d'actifs des entreprises, que le Gouvernement souhaite sous-amender, en est d'ailleurs une parfaite illustration.
Il conviendrait donc, selon certains, de laisser les détenteurs de titres jouer au Monopoly avec les emplois, les équipements, les usines et les bureaux, sans avoir de comptes à rendre à la collectivité nationale, même lorsque cela conduit à la mise en oeuvre de plans sociaux par l'acquéreur, désireux d'un retour rapide sur investissement.
Or quelle réponse apportez-vous aujourd'hui, monsieur le ministre ? Selon l'agenda 2005 du Premier ministre, on veut pousser encore plus loin la logique qui est en cours depuis deux ans et demi, en remettant en cause la réduction du temps de travail, en accroissant encore la précarité, en développant le travail le dimanche, ainsi que les formules d'emploi les plus incertaines et les plus sous-qualifiées.
Et, pour couronner le tout, M. Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui estime, par ailleurs, que la fonction publique compte « 500 corps morts » qu'il conviendrait de liquider, ne propose, après avoir gelé les rémunérations pendant plusieurs années, qu'une revalorisation allant de un demi point à huit dixièmes de point.
Comment oublier que l'inflation est prévue à 1, 8 point en 2005, selon le cadrage de la loi de finances, et qu'elle atteindra probablement les 2 % en 2004 ? C
Comment oublier que la capacité de consommation des salariés, dont les fonctionnaires font partie, est un formidable outil de la dynamique économique ?
La situation n'est évidemment pas la même pour les patrons dont les sociétés figurent au CAC 40, lesquels, quoi qu'il arrive, voient leur rémunération annuelle progresser, de manière constante, de plus de deux chiffres, si l'on en croit la presse économique, qui est parfaitement informée en la matière.
Par conséquent, on pourrait résumer ce projet de loi de finances rectificative de la manière suivante : le déficit est en baisse du fait de plus-values fiscales dont tout laisse cependant à penser qu'elles pouvaient être identifiées bien avant, et qu'il était donc tout à fait possible de les inscrire dans la loi de finances initiale ; le déficit est aussi en baisse eu égard à son exécution budgétaire, qui, une fois encore, a été marquée par le triptyque gel-annulation-validation, procédé qui est mis en oeuvre chaque année dès que le projet de loi de finances initiale est voté. Dès lors, on peut s'interroger sur la conception du Gouvernement s'agissant du budget et du rôle de nos assemblées dans l'élaboration de celui-ci.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2004 comprend, entre autres dispositions, un article tendant à valider l'annulation, au titre des dépenses ordinaires des services civils, des crédits s'élevant à 1, 6 milliard d'euros, soit près de 20 % des mesures nouvelles qui ont été votées l'automne dernier.
On notera d'ailleurs qu'en dehors de l'ajustement des crédits relatifs aux charges communes, mouvements éminemment liés à la croissance pour tout ce qui concerne le montant des charges de remboursement et dégrèvements fiscaux, la ponction atteint 484 millions d'euros au titre des crédits d'intervention publique, soit plus de 12 % des mesures nouvelles de l'exercice.
Comment ne pas souligner, là encore, que les ouvertures de crédits prévues portent essentiellement sur des dépenses qui ont été manifestement sous-évaluées à l'origine, comme celles qui sont liées à la solidarité nationale, à la compensation des charges transférées aux collectivités locales ou aux exonérations de cotisations sociales des entreprises ?
Pourquoi ment-on en permanence sur la réalité de ces dépenses, ce qui laisse peser sur leur exécution le risque d'avoir des recettes insuffisantes ?
Mais, avec votre annonce pour 2005, nous atteignons des records, monsieur le ministre !
En effet, en termes de mesures nouvelles, au titre des dépenses ordinaires, le projet de budget pour 2005 comporte des ouvertures de crédits pour un peu plus de 2 milliards d'euros. S'agissant des dépenses en capital, les crédits de paiement sont en hausse de 2, 6 milliards d'euros par rapport à 2004, même s'il faut sans doute y voir les effets des reports de crédits. Et voilà qu'à cette somme totale de 4, 6 milliards d'euros, vous mettez en regard, pour le mois de janvier, une mise en réserve de 4 milliards d'euros, par précaution.
De fait, pourquoi solliciter la représentation nationale pour discuter du projet de loi de finances initiale ou du projet de loi de finances rectificative lorsqu'on sait que les ministres, avec la bienveillance de Bercy, auront la possibilité d'agir sans l'avis des parlementaires, bloquant leur droit d'initiative et leur capacité de contrôle de l'exécution budgétaire ?
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce collectif budgétaire ne peut recueillir notre assentiment.