Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 9 février 2005 à 15h00
Traitement de la récidive des infractions pénales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui n'est pas le fruit du hasard. En effet, elle puise sa source dans une proposition de loi qui, déposée il y a un an à l'Assemblée nationale, inspirée par le précédent locataire de la place Beauvau et signée par MM. Christian Estrosi et Pascal Clément, tendait à instaurer des peines minimales en matière de récidive.

Pour tenter d'atténuer la cacophonie suscitée par ce texte, une mission d'information fut mise en place par M. le garde des sceaux, dont l'aboutissement est donc cette proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales. C'est pour moi l'occasion de constater que la pertinence des peines minimales fait débat au sein du Parlement, mais aussi en dehors.

La mission d'information a formulé vingt propositions ; le groupe CRC peut en approuver certaines, telles que l'abandon des peines automatiques, le souci d'éviter les sorties « sèches », ou encore le renforcement des moyens en matière d'application des peines.

Force est cependant de constater que les auteurs de l'actuelle proposition de loi, loin de retenir ces dispositions, ont privilégié des mesures dont on peut craindre qu'elles ne soient inefficaces pour lutter contre la récidive, mais très efficaces sur le plan de l'affichage politique ! Dans cette logique, le moindre fait divers pourrait justifier le dépôt de textes renforçant notre arsenal pénal !

La proposition de loi est en totale contradiction avec la réalité, c'est le moins que l'on puisse dire. Les chiffres sont là, chers collègues, et chacun sait que nos prisons explosent, que la surpopulation carcérale est alarmante et que la prison est criminogène. Pourtant, on ne nous propose ici que des mesures qui n'auront d'autre effet, il faut en être conscient, que d'accroître mécaniquement le nombre des détenus. Je pense évidemment à l'exécution automatique des peines de prison, à la limitation du nombre des sursis avec mise à l'épreuve qui pourront être prononcés à l'encontre de la même personne, à la limitation des réductions de peine ainsi qu'à la modification des conditions de la récidive.

Ces dispositions posent évidemment un problème, de ce pont de vue, mais, malheureusement, ce ne sont pas les seules.

L'article 2 prévoit d'introduire dans notre législation pénale une notion que l'on n'utilisait jusqu'à aujourd'hui qu'en criminologie : la réitération. Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix d'introduire cette notion dans le code pénal pour une raison simple : il est très difficile de savoir si un prévenu est ou non en état de récidive légale, car la mise à jour du casier judiciaire est très longue. Les juges ne sont donc pas forcément informés des antécédents judiciaires de la personne qu'ils ont à juger.

Au lieu de s'attaquer au problème de fond, le choix a été fait d'introduire une notion juridique supplémentaire, aux contours plutôt flous. Je pense au contraire qu'il faut régler les problèmes à leur source.

Il est exact que le casier judiciaire est aujourd'hui une machine qui tourne au ralenti, ce qui n'est pas satisfaisant. Il est donc indispensable de mettre en oeuvre un plan d'urgence pour que notre casier judiciaire soit performant et notre outil statistique, efficace. Si cela n'est pas fait, le problème se renouvellera inéluctablement. En effet, en ce qui concerne l'application de la notion de « réitération », la mise en place d'un fichier sera nécessaire. Sinon, où le juge pourra-t-il trouver les informations relatives au prévenu ?

Il est urgent d'arrêter de créer des fichiers en dehors du casier judiciaire, qui est le seul, selon nous, à offrir les garanties nécessaires pour une utilisation judiciaire de la notion de « réitération ».

Il faudrait donc donner au casier judiciaire et aux juridictions les moyens de travailler en temps réel, les possibilités offertes aujourd'hui par l'informatique rendant un tel schéma possible. De surcroît, l'expérience de tous les autres fichiers existant actuellement montre que non seulement leur exploitation est source de nombreuses erreurs outre les nombreuses erreurs, mais qu'ils donnent lieu à certains abus.

Concernant la limitation du nombre de sursis avec mise à l'épreuve que les juridictions pourront prononcer à l'encontre des récidivistes - deux, voire un seul pour certaines infractions -, nous pensons que cette mesure, prévue à l'article 3, va à l'encontre de l'individualisation de la peine.

Or l'individualisation de la peine est l'un des principes fondateurs de notre droit pénal. En vertu de ce principe, déjà connu du droit pénal romain, les circonstances de l'infraction et la personne de l'accusé doivent toujours être prises en compte dans le prononcé de la peine par le juge.

Je sais bien qu'il existe à l'heure actuelle une pression forte pour revenir sur ce principe et introduire dans notre droit des notions qui ont cours ailleurs, notamment là où le droit romain n'est plus d'actualité, s'il l'a jamais été, mais je persiste à penser que notre conception de la peine est meilleure. C'est d'ailleurs pourquoi l'idée même d'instaurer des peines automatiques va à l'encontre de notre philosophie juridique.

Dois-je également rappeler que la peine doit aussi permettre, outre la réparation de l'infraction, la réinsertion de son auteur ? Limiter le nombre de sursis avec mise à l'épreuve entraînera inévitablement une augmentation du recours à l'emprisonnement ferme.

Vraiment, alors que tous, dans les deux assemblées et sur toutes les travées, s'accordent pour reconnaître l'état catastrophique dans lequel se trouvent nos prisons aujourd'hui, il semble incroyable que vous souhaitiez augmenter le recours à l'emprisonnement ferme !

Le sursis avec mise à l'épreuve est un bon moyen de lutter contre la récidive, à condition qu'il soit suivi de manière stricte par les services d'insertion et de probation. Le problème tient au fait que ces derniers n'ont pas les moyens nécessaires pour assurer un réel suivi de tous les sursis avec mise à l'épreuve. Si l'on veut que le suivi de toutes les personnes condamnées à ce type de peine soit réel, monsieur les garde des sceaux, il faut renforcer considérablement les services pénitentiaires d'insertion et de probation et accroître le nombre d'éducateurs. C'est à ce niveau qu'il convient d'agir : à défaut, la mise en oeuvre de tous les dispositifs que nous votons, y compris ceux qui existent déjà, restera dérisoire.

Le problème de la surpopulation carcérale se pose également quand vous prévoyez, à l'article 4, la détention automatique de certains récidivistes si le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis.

Une fois encore, vous entendez faire voter une disposition qui est peut-être efficace en termes d'affichage, mais qui ne prend malheureusement pas en compte la réalité.

Par ailleurs, cette disposition pose un problème en cas d'appel du jugement prononcé. Quelles seront les garanties du condamné en la matière ? Rien n'est prévu dans ce texte, preuve qu'il a été rédigé un peu à la va-vite.

J'en viens maintenant aux dispositions relatives à la surveillance électronique mobile.

Je veux rappeler ici que, lors de l'examen de la proposition de loi de notre ancien collègue Guy Cabanel, texte qui consacrait, en 1997, le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines, notre groupe avait manifesté le plus grand scepticisme. Non que nous soyons par principe hostiles aux alternatives à la prison ou à des dispositifs de réduction de peines assortis de mesures de surveillance, bien au contraire, comme nous n'avons jamais manqué une occasion d'en apporter la preuve. Si nous étions sceptiques, c'était plutôt sur l'utilisation du bracelet électronique, tant il est clair que la technique ne saurait remplacer le suivi, encore moins la prévention.

D'ailleurs, quel est le bilan aujourd'hui ? On nous dit que trois cents personnes auraient été placées sous surveillance électronique : le chiffre est dérisoire si on le compare au nombre des condamnations prononcées dans la même période. Et qui sont ces trois cents personnes ? Pourquoi elles et pas d'autres ? Il serait intéressant que nous disposions d'un bilan plus « qualitatif » des placements sous surveillance électronique.

Aujourd'hui, nous doutons d'autant plus de la pertinence du dispositif proposé qu'il est complètement disproportionné, au point que, sous l'égide de la commission des lois - mais l'initiative a fait l'unanimité -, il nous sera proposé de modifier sur ce point la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale et de ne pas faire du placement sous surveillance électronique mobile une peine supplémentaire. Car, il faut le dire, il s'agit ni plus ni moins, dans le titre II de cette proposition de loi, de créer une « double peine », c'est-à-dire une peine après la fin de la peine, ce qui rappellera quelques souvenirs à ceux qui ont bien voulu, avec nous, remettre en question la fameuse « double peine » qui concernait, elle, les étrangers.

D'emblée, on peut dire que cette disposition est contraire à nos principes les plus fondamentaux, notamment à celui qui prévoit qu'une seconde peine ne peut être appliquée alors qu'une première peine vient d'être exécutée sans qu'une nouvelle décision d'une juridiction habilitée à prononcer un jugement soit intervenue.

En effet, ce placement sous « bracelet GPS » est bien une seconde peine. Une personne qui a été condamnée et qui a purgé sa peine est considérée comme ayant payé sa dette envers la société. Ici, il n'en est rien : le condamné le reste quasiment à perpétuité puisque la durée du placement sous surveillance électronique mobile peut atteindre vingt ou trente ans.

Par ailleurs, le fait que le juge prononce, dès la condamnation à une peine d'emprisonnement, le placement sous surveillance électronique avec effet à la sortie de prison signifie que le comportement du détenu durant sa détention ne sera jamais pris en compte avant le placement sous surveillance. Cela s'apparente à une peine automatique, ce qui n'est pas admissible au regard des principes qui fondent notre droit pénal.

Au-delà de son principe même, le dispositif de placement sous surveillance électronique mobile comporte également d'autres mesures contestables. Je pense tout d'abord à l'évaluation, par le juge de l'application des peines, de la dangerosité de la personne condamnée.

Cela constitue un renversement du sens de l'intervention du juge de l'application des peines. Alors que ce juge a été créé pour permettre un aménagement progressif de la peine, dans le sens d'un assouplissement, en cours ou avant la mise à exécution, il lui sera demandé de procéder à une évaluation de la dangerosité d'un individu et de mettre à exécution une mesure de sûreté venant s'ajouter à la peine en quelque sorte a priori. Voilà donc le juge de l'application des peines investi d'une double responsabilité !

Il est évident que le magistrat préférera dire, afin de ne pas voir sa responsabilité engagée en cas de récidive, ce qui est humain, qu'un condamné continue d'être dangereux même après l'exécution de sa peine. La justice n'en sortira pas grandie !

Par ailleurs, l'intervention d'une commission des mesures de sûreté chargée de donner un avis sur le placement sous surveillance électronique semble parfaitement inopportune. L'Assemblée nationale a au moins eu l'intelligence de faire disparaître la composition de cette commission du corps du texte et de renvoyer à un décret. En effet, en quoi le préfet ou encore le général commandant de la région de gendarmerie seraient-ils qualifiés pour évaluer la dangerosité d'un détenu ? Espérons cependant que nous ne reverrons pas apparaître une telle composition dans le décret d'application prévu par le nouvel article 723-35 du code de procédure pénale.

Permettez-moi une dernière remarque sur cette commission : la création d'une commission purement administrative nous paraît introduire une totale confusion entre les sphères administrative et judiciaire.

Ensuite, se pose le problème du secret médical. En effet, le juge de l'application des peines pourra demander l'avis de tout médecin ou médecin psychiatre ayant eu à connaître la personne condamnée.

Enfin, il convient de s'interroger sur l'utilité d'une localisation en permanence d'un individu et sur les problèmes d'ordre éthique que pose une telle pratique.

Comment croire que la possibilité de localiser un individu 24 heures sur 24 l'empêchera de commettre une nouvelle infraction ? On manipule l'opinion grâce à une illusion technologique. Le bracelet électronique, ou le « bracelet GPS », quel que soit son degré de fiabilité, n'est qu'un moyen technique de contrôle ; il n'est ni un éducateur ni un psychologue. Pourquoi pas, demain, le suivi psychiatrique électronique ?

Le bracelet ne permettra ni un suivi socio-éducatif ni une réinsertion dans l'intérêt de la société et des victimes. Pourquoi le suivi socio-judiciaire prévu par la loi de 1998 n'est-il pas pleinement appliqué ? Faute de moyens ? Faute de volonté ? Interrogeons-nous et donnons-nous déjà les moyens d'appliquer ce texte-là.

Il serait bien plus efficace d'améliorer l'accompagnement à la sortie dans le cadre du dispositif de libération conditionnelle ainsi que le suivi socio-judiciaire, en renforçant notamment les effectifs des psychiatres publics. Evidemment, nous n'en sommes pas là, et personne ne parle du problème bien que tout le monde constate le naufrage de la psychiatrie publique.

La mise en place du bracelet électronique engendrera sans doute des coûts considérables - nous pouvons le supposer, mais nous ne disposons d'aucun élément pour les apprécier -, des coûts qui, soit dit en passant, n'ont pas été chiffrés dans la loi de finances pour 2005. En tout cas, les sommes qu'on y consacrerait auraient été bien plus utilement dépensées en renforçant les mesures préventives que je viens d'énoncer.

Enfin, l'inscription, sans limitation de durée, des irresponsables pénaux dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles nous paraît extrêmement dangereuse puisque, par définition, un irresponsable pénal ne peut pas se rendre compte des conséquences de son acte. En revanche, prévoir un suivi médical continu permettra sans doute d'éviter la récidive. Pour cela, il faudrait que nos hôpitaux publics - mais c'est également vrai de nos juridictions judiciaires - disposent de d'avantage de moyens !

Je ne m'attarderai pas sur l'article 16, qui doit susciter la désapprobation unanime du Sénat. Il s'agit en effet de prévoir que la loi qui sera issue de nos travaux pourra être appliquée à des personnes condamnées antérieurement à son entrée en vigueur. En d'autres termes, il s'agirait d'un cas d'application rétroactive de la loi pénale. Qui, ici, pourrait voter l'application rétroactive de la loi pénale ? Que l'on puisse même le proposer est incroyable !

Monsieur le garde des sceaux, la justice souffre cruellement d'une absence de moyens, ces moyens qui lui sont indispensables pour faire exécuter les courtes peines d'emprisonnement, pour traiter les longues peines autrement que par l'incarcération « sèche » ou la sortie « sèche » et pour mettre en oeuvre des peines alternatives à l'emprisonnement. C'est bien cette carence qui est le principal facteur de récidive !

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.

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