Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par les députés Pascal Clément et Gérard Léonard, à la suite du rapport d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le traitement de la récidive des infractions pénales, a pour objectif, selon l'un de ses auteurs, de « placer la lutte contre la récidive au coeur de la politique pénale ».
Deux grandes pistes sont proposées : d'une part, réprimer plus sévèrement les récidivistes, d'autre part, prévenir plus efficacement la récidive grâce à un meilleur suivi des condamnés les plus dangereux.
Qui refuserait de souscrire à de telles intentions ?
Récemment, les affaires Fourniret, Bodein ou le procès du meurtrier d'une jeune fille qui vient de se dérouler devant les assises de la Somme, ont été l'occasion de percevoir, s'il en était encore besoin, l'extrême sensibilité de nos concitoyens au problème de la récidive. La population a notamment du mal à comprendre que l'on ait pu « relâcher dans la nature » des personnes qui s'étaient pourtant déjà tristement illustrées et dont la dangerosité était avérée.
Certes, les taux de récidive sont relativement faibles. Par exemple, comme l'indique M. le rapporteur dans son rapport, pour 2002 le taux de récidive s'établit à 5 % pour l'ensemble des crimes et délits et à 2, 6 % en matière criminelle.
Nombre de ces récidives marquent d'autant plus l'opinion qu'elles sont le fait d'anciens détenus qui ont été soit libérés avant l'exécution de la totalité de leur peine, soit libérés sans aucun suivi socio-judiciaire, alors que leur état de dangerosité restait avéré. Il convient donc de s'interroger sur ces questions et de tenter d'y apporter des réponses concrètes.
Doit-on pour autant traiter du problème de la récidive en portant atteinte à certains des grands principes du droit pénal français ? Le groupe UC-UDF y est tout à fait opposé et, de ce point de vue, le texte voté par l'Assemblée nationale ne manque pas de l'inquiéter quelque peu.
Arrêtons-nous, par exemple, sur l'article 4 de la proposition de loi. Il fait obligation au tribunal correctionnel qui vient de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre d'une personne en situation de récidive de délivrer un mandat de dépôt à l'audience, quel que soit le quantum de la peine prononcée. On peut légitimement se demander s'il n'y a pas là une remise en cause du principe de l'individualisation des peines au profit de l'automaticité de la peine et, par voie de conséquence, une remise en cause du pouvoir d'appréciation des juges.
Limiter les pouvoirs des juges, comme l'a décidé l'Assemblée nationale à travers certaines des dispositions qu'elle a votées, notamment celle que prévoit l'article 4, ne nous paraît pas être la meilleure solution. Nous ne pensons pas en effet que ce soit le bon message à adresser aux magistrats, qui, dans le contexte actuel, attendent plutôt que nous leur adressions un signe fort de confiance et de reconnaissance du rôle qu'ils jouent dans notre société.
De même, l'article 7 prévoit la possibilité pour la juridiction qui condamne une personne à une peine d'emprisonnement ferme d'une durée minimale de cinq ans de prononcer également son placement sous surveillance électronique mobile à l'issue de sa période de détention. On peut se demander si l'on ne s'engage pas ainsi dans la voie de la double peine.
La disposition prévue dans cet article permettrait en effet de condamner par avance un individu qui purgerait pourtant complètement sa peine d'emprisonnement à subir ensuite en quelque sorte une seconde peine en le soumettant à un contrôle permanent par surveillance électronique mobile. Il est difficile, nous semble-t-il, d'accepter une telle perspective.
L'article 16 prévoit, lui, la possibilité pour le tribunal de l'application des peines de prononcer, à l'encontre d'une personne qui aurait été définitivement condamnée avant l'entrée en vigueur de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui, une mesure de placement sous surveillance électronique mobile à sa sortie de prison. Il est évident que l'on porte là atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi. Je serais curieux, comme un certain nombre de mes collègues, de savoir ce que le Conseil constitutionnel penserait d'une telle disposition !
Finalement, avant de compléter le dispositif existant par certaines des mesures proposées, qui posent parfois plus de questions qu'elles n'en résolvent, ne devrait-on pas s'interroger sur la manière dont sont appliquées les dispositions actuelles du code pénal ?
Ne devrait-on pas d'abord contrôler l'effectivité de la peine ? Cela ferait peut-être réfléchir certains délinquants, qui hésiteraient à récidiver s'ils purgeaient leur peine jusqu'à son terme. Et je ne parle pas de ceux qui n'effectuent pas les peines d'emprisonnement auxquelles ils ont été condamnés, faute de place suffisante dans les établissements pénitentiaires.
Je sais que tout le monde ne partage pas cet avis. Pourtant, ne dit-on pas qu'un tiers des cent mille peines de prison qui sont prononcées en France ne sont pas exécutées. N'est-ce pas là un premier problème auquel il conviendrait de remédier, même si cela, j'en suis conscient, monsieur le garde des sceaux, demandera du temps et de l'argent ?
Ne devrait-on pas ensuite faire en sorte que ne soit accordée aucune remise de peine ou de libération conditionnelle sans qu'ait été préalablement pris en compte l'état de dangerosité du condamné ?
En ce qui concerne Pierre Bodein, les experts avaient conclu à sa dangerosité au moment de sa mise en liberté conditionnelle. Il a pourtant été relâché sans suivi particulier. On a vu ce qu'il est advenu !
Ne devrait-on pas enfin s'interroger sur les moyens qui sont consacrés au suivi et à la réinsertion des détenus ? A-t-on les moyens d'assurer en prison le suivi médical dont auraient besoin certains détenus, notamment ceux qui sont condamnés pour infractions sexuelles ? A-t-on les moyens d'éviter qu'un détenu fraîchement libéré ne soit livré à lui-même lors de sa réinsertion dans la société ?
Comme l'a dit notre collègue député Michel Hunault, au cours du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, « la vacance de 3 000 postes de psychiatres est (...) symptomatique de l'abandon d'une partie de la chaîne pénale ».
Je pense donc que, avant de vouloir étendre à grande échelle le placement sous surveillance électronique mobile ? système dont la fiabilité n'est, au demeurant, pas démontrée aujourd'hui ?, notre pays aurait intérêt à se donner les moyens d'une véritable politique d'application des peines et de suivi des détenus.
Si la commission des lois n'a pas exploré plus avant les pistes que je viens d'évoquer, elle a cependant déposé des amendements qui visent à corriger les excès du texte qui nous est soumis et à éviter les atteintes aux grands principes du droit pénal que je viens de citer.
Aussi le groupe UC-UDF se félicite-t-il du travail qui a été accompli sous la houlette du président et du rapporteur de la commission des lois, nos collègues Jean-Jacques Hyest et François Zocchetto.
Considérant que le texte issu de l'Assemblée nationale n'est pas conforme à sa conception de la justice, le groupe UC-UDF ne peut qu'approuver les amendements proposés par la commission des lois ; je citerai parmi eux : l'amendement qui tend à rendre facultative, et non plus automatique, la délivrance d'un mandat de dépôt à l'audience ; celui qui vise à supprimer l'article 16 prévoyant la rétroactivité des dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile ; celui qui a pour objet de supprimer l'article 14 étendant aux personnes reconnues pénalement irresponsables l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles.
Concernant le placement sous surveillance électronique mobile, je voudrais insister sur la nécessité de supprimer les articles s'y rapportant et saluer le dispositif de substitution proposé par M. le rapporteur : dans le système qu'il suggère, le placement sous surveillance électronique mobile ne pourrait être prononcé que dans l'hypothèse où une personne soumise aux obligations de suivi socio-judiciaire ferait l'objet d'une libération conditionnelle. Ce dispositif est plus conforme aux principes qui commandent notre droit pénal et permettra de juger de la fiabilité et des limites du procédé.
En tout état de cause, la mise sous surveillance électronique ne doit pas être utilisée comme une double peine, ainsi que le proposait l'Assemblée nationale.
Pour toutes ces raisons, le groupe UC-UDF sera très attentif, au cours de l'examen des articles, à l'adoption des amendements proposés par la commission des lois, qui, dans la mesure où ils respectent l'autorité des magistrats et les principes fondamentaux de notre droit pénal, sont conformes à sa propre conception de la justice.