Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 9 février 2005 à 15h00
Traitement de la récidive des infractions pénales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Philippe GoujonPhilippe Goujon :

Plusieurs orateurs ont rappelé avant moi ces chiffres : 31 % de récidivistes et 32 % de peines inexécutées.

A elles seules, ces deux données résument les difficultés auxquelles est confronté notre appareil répressif et elles expliquent la préoccupation, voire l'exaspération parfois manifestées par nos concitoyens.

Les multirécidivistes sont insupportables aux Français, car leurs actes fragilisent le lien social : on a peur pour ses enfants, à l'école ou dans la rue ; on craint de se faire cambrioler, de se faire voler sa voiture ou son téléphone portable.

Cependant, ce qui choque le plus est la récidive des délinquants les plus dangereux, parmi lesquels les prédateurs sexuels qu'une première sanction ne calme pas.

Nous avons tous présents à l'esprit les noms des bourreaux de ces enfants, de ces adolescentes qui, en 2004, ont été les victimes innocentes de la récidive. On évoque 1, 5 % seulement de récidive à ce titre : 300 individus environ sont donc concernés, ce qui paraît peu, mais pas pour les parents des victimes !

Dès lors, comment ne pas s'interroger sur les causes des dysfonctionnements et ne pas s'inquiéter du sentiment d'impunité que ces dysfonctionnements nourrissent chez les délinquants ?

La situation est d'autant plus paradoxale que, depuis trois ans, grâce à l'action déterminée du Gouvernement, en particulier du garde des sceaux et du ministre de l'intérieur, la délinquance ne cesse de diminuer dans notre pays : on enregistre une diminution de plus de 12 % des crimes et des délits, et une diminution de 10 % de la délinquance de voie publique vient d'être annoncée pour janvier, après une hausse, il faut le rappeler, de 16 % entre 1997 et 2002 ! Souvenez-vous du temps de la naïveté...

Même pour les faits de violence, la courbe commence à s'inverser. Pour ce gouvernement, la lutte contre l'insécurité, ce ne sont pas des mots ; ce sont des actes.

Aborder la question de la récidive des infractions pénales, c'est donc manifester la volonté d'engager le second acte de la lutte contre l'insécurité en s'attaquant au « noyau dur » de la délinquance, en s'attaquant aux individus qui, en dépit de sanctions considérablement renforcées, persistent dans leurs habitudes criminelles.

Aussi, je voudrais rendre hommage à nos collègues députés qui, en créant une mission d'information, ont voulu « placer la récidive au coeur de la politique pénale », ainsi qu'à l'initiative de Christian Estrosi, sans qui nous ne débattrions peut-être pas de ce sujet aujourd'hui.

A son tour, notre commission des lois a examiné la proposition de loi, et je tiens à saluer le travail remarquable de son rapporteur, notre collègue François Zocchetto, qui, procédant à de nombreuses auditions d'un exceptionnel intérêt, a non seulement écouté mais aussi entendu les remarques de nature à permettre d'atteindre un équilibre entre prévention et répression de la récidive.

Ce nécessaire équilibre est difficilement accessible tant le sujet que nous traitons est par nature délicat. Aussi serais-je tenté de dire qu'il convient, en la matière, de ne pas brûler les étapes. C'est la raison pour laquelle je considère, moi aussi, que les modifications proposées par la commission, notamment pour le placement sous surveillance électronique mobile, doivent nous inciter à engager une réflexion, profonde et globale, sur les remises de peines automatiques et sur les libérations conditionnelles au regard de la dangerosité des condamnés.

Le recours au placement sous surveillance électronique mobile tel que l'ont prévu nos collègues de l'Assemblée nationale mérite en effet un complément d'investigation : l'expérience de Floride, même si elle a, semble-t-il, réduit la récidive de 2 %, relève d'une autre culture et l'évaluation de l'expérience de Manchester est encore en cours.

Des psychiatres nous affirment que la surveillance électronique mobile constitue une pression psychologique telle qu'elle dissuadera la plupart des délinquants de récidiver : la certitude d'être repris et condamné une nouvelle fois sera plus forte que la tentation de récidiver.

D'autres thèses sont néanmoins développées et, en tout état de cause, ce dispositif ne saurait, par exemple, remplacer l'administration d'un traitement médical efficace, car ce n'est pas parce que l'on a purgé sa peine que l'on est moins dangereux.

A cet égard, nous ne pouvons qu'approuver la proposition qui vise à permettre au médecin traitant, dans le cadre de l'injonction de soins, de prescrire des médicaments tendant à diminuer la libido.

En ce qui concerne le placement sous surveillance électronique mobile, il me paraît donc tout à fait opportun d'attendre les conclusions de la mission récemment confiée à Georges Fenech.

Cela n'enlève rien, bien sûr, à l'intérêt qui doit s'attacher au placement sous surveillance électronique actuellement en usage et qu'il faut encore développer, et je sais que le garde des sceaux se donne, notamment dans le budget de 2005, les moyens de le faire.

Cela étant, nous savons tous qu'il n'est pas de dispositif plus désastreux en matière de récidive que le système, aujourd'hui quasi généralisé, de la sortie sèche.

C'est pourquoi, en particulier en tant que rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire, j'approuve pleinement la proposition de recourir, dans le cadre de la libération conditionnelle, au placement sous surveillance électronique. Une telle mesure a beaucoup d'avantages : accessoirement, elle est économe des deniers publics et, surtout, elle est plus efficace en matière de réinsertion.

Une politique pénale efficace ne consiste pas forcément à multiplier par sept, à l'exemple des Etats-Unis, le nombre des détenus ; elle vise à garantir l'exécution de la peine et à assurer le suivi des sortants de prison.

Dans cet esprit, il importe de développer les mesures de suivi socio-judiciaire, notamment en favorisant la constitution d'une approche pluridisciplinaire pour le traitement de la délinquance sexuelle.

Tous reconnaissent l'efficacité de la mesure prévoyant de faire appel aux psychologues en attendant que le projet de loi sur la psychiatrie, annoncé récemment, permette sans doute de compléter le dispositif.

Actuellement, seuls 8 % des délinquants sexuels bénéficient d'un suivi socio-judiciaire alors que la délinquance sexuelle est la première cause d'incarcération en France : la part des délinquants sexuels au sein de la population des condamnés a augmenté de 105 % entre 1995 et 2003.

Aussi, sur un plan plus général, je me suis félicité de la création de 200 emplois de personnels d'insertion et de probation dans le budget de l'administration pénitentiaire pour 2005, ce qui constitue un début de rattrapage. Faut-il rappeler que les services pénitentiaires d'insertion et de probation comptaient 1 500 personnes en 2002 ? Les effectifs s'élèvent à plus de 2 000 aujourd'hui.

Voilà qui permettra à ces services de mieux réaliser le travail de préparation à la sortie et de réinsertion des condamnés. Il ne s'agit là que de contribuer à ce que nous voulons tous : une lutte plus efficace contre la récidive.

Les travaux de la commission « santé-justice », présidée par M. Jean-François Burgelin, permettront, on l'a dit, de mieux appréhender les moyens nécessaires à la prévention du risque de récidive des personnes reconnues irresponsables sur le fondement de l'article 122-1 du code pénal.

Il n'est pas possible d'en douter : l'enjeu aujourd'hui est celui de l'application des peines, alors même que la loi du 9 mars 2004 a étendu le recours aux mesures alternatives à la détention.

A ce stade, tout en comprenant l'argumentation du rapporteur en faveur du maintien de l'automaticité des réductions de peines au motif que les peines sont déjà doublées pour les récidivistes, j'estime néanmoins à la fois incohérent et insuffisant de ne pas appliquer, là aussi, le principe de l'individualisation de la peine.

Si l'on refuse les « peines plancher », il ne me paraît pas logique d'admettre le principe des remises de peines automatiques.

Lors de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 6 juillet dernier, le ministre de l'intérieur, M. de Villepin, ne déclarait-il pas : « De même, l'octroi automatique des réductions de peines doit être réduit, que ce soit par la prise en compte de la dangerosité des délinquants en matière de libération conditionnelle ou de confusion des peines, par l'exclusion, acceptée, des faits de violence grave de la grâce présidentielle ou par l'impossibilité de réduction des peines pour les cas les plus dangereux » ?

Dès lors, ne faudrait-il pas au moins envisager de supprimer l'automaticité des remises de peines dans le cas des délinquants récidivistes coupables de crimes ?

S'agissant du prononcé des peines, l'enjeu n'est pas moindre, et c'est là tout l'intérêt de l'article 3 de la proposition de loi.

Ainsi le juge ne pourra-t-il pas prononcer de sursis avec mise à l'épreuve pour un crime, un délit de violences volontaires, un délit d'agressions ou d'atteintes sexuelles ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences lorsque cette infraction aura été commise dans les conditions de la récidive par une personne ayant déjà fait l'objet d'une condamnation assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve.

Même si des questions demeurent sans réponse, la présente proposition de loi aboutit à faire converger tous les efforts pour qu'il y ait le moins possible de victimes, surtout lorsque ces victimes s'incarnent dans ce qu'il y a de plus vulnérable : les enfants.

Nous devons être guidés, avant tout, par le souci des victimes. Pour ce faire, il faut rétablir l'effet dissuasif de la sanction pénale. Il est de même indispensable pour la sécurité de nos concitoyens que nous soyons en état de mesurer la dangerosité des détenus ayant commis les actes les plus graves.

Cela est loin d'être simple, mais nous devons poursuivre la réflexion afin de trouver les moyens de mettre les criminels les plus dangereux dans l'impossibilité de récidiver.

Pour l'heure, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous faisons oeuvre de fermeté, de justice et d'humanité à l'égard des victimes avec ce texte ; aussi mérite-t-il d'être largement approuvé.

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