Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est né après le dépôt de la proposition de loi relative à l'institution des peines minimales en matière de récidive, dans la suite logique du débat lancé par Nicolas Sarkozy réclamant des peines planchers pour les récidivistes.
Pour faire contrepoids à ce texte jugé excessif et pour tenir compte d'une actualité montrant avec frayeur les agissements de criminels récidivistes, la mission parlementaire qui a été mise en place pour tenter de faire le point sur les récidives et les moyens de les prévenir a permis d'identifier les difficultés auxquelles est confronté notre appareil répressif.
Or, la proposition de loi qui nous est présentée à la suite du rapport de cette mission est un texte scandaleux, aberrant sur le plan juridique, inutile dans la plupart des cas et, surtout, contraire à nos libertés publiques fondamentales et aux grands principes de notre droit, comme le principe de l'individualisation de la peine.
Arrêtons-nous un moment sur ce texte tel qu'il résulte de la première lecture à l'Assemblée nationale, afin de souligner ses contradictions avec les constats de la mission parlementaire pour qui « l'emprisonnement sans mesure de réinsertion n'a aucun effet préventif sur la récidive ».
Il est proposé d'étendre les conditions dans lesquelles certaines infractions sont assimilées pour constituer les deux termes d'une récidive légale permettant d'aggraver le seuil de la peine maximale encourue ; de faire figurer dans le code pénal la notion de « réitération » avec toutes ses conséquences d'ordre pénal ; de limiter la possibilité pour le juge de prononcer des peines assorties en totalité du sursis avec mise à l'épreuve en cas de récidive ; de rendre obligatoire le prononcé d'un mandat de dépôt à l'audience lorsqu'une peine d'emprisonnement est requise en cas de récidive ; de réduire le quantum du crédit de peine dont bénéficient les détenus en cas de récidive ; de permettre au tribunal de soulever lui-même la circonstance aggravante de récidive lorsque le ministère public ne l'aura pas retenue.
Enfin, la création d'une nouvelle mesure de sûreté est envisagée en ce qui concerne les personnes condamnées pour des infractions sexuelles à une peine de prison de cinq ans au moins. Ces personnes pourraient être astreintes à une surveillance électronique mobile pendant une durée de trois à cinq ans, suivant la nature délictuelle ou criminelle de la condamnation, renouvelable dans la limite de vingt à trente ans.
Au mépris d'un principe démocratique fondamental qui interdit toute rétroactivité de la loi, il est proposé que cette mesure puisse être appliquée à des personnes condamnées pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi.
Ce texte tend à favoriser par diverses voies le prononcé de peines d'emprisonnement fermes plus fréquentes et plus lourdes à l'encontre des délinquants en état de récidive légale.
La circonstance de récidive prévaut sur les éléments qui déterminent le choix de la peine, notamment la personnalité.
Le fait qu'aucune exception ne soit prévue concernant les délinquants mineurs est, à cet égard, révélateur.
Ce choix semble ainsi consommer une rupture dans l'orientation philosophique du droit pénal français, qui était jusqu'à présent favorable à l'idée d'amendement de la part du condamné, plutôt qu'à sa mise au ban de la société.
La création d'une mesure de surveillance pure, aux limites spatio-temporelles extensives, telle que la surveillance par GPS, illustre cette évolution de manière caricaturale !
Je tiens ici à saluer le travail de la commission des lois, notamment de son rapporteur M. Zocchetto. Car certaines des mesures honteuses que je viens d'énoncer ont été heureusement supprimées ou fortement modifiées.
Cependant, je suis convaincue que le texte qui résulte des propositions de notre commission reste un danger pour nos concitoyens. C'est sa nature délétère même qui est à combattre, car il repose sur un refus déterminé de la perfectibilité de l'humain, de sa capacité à amender ses actes, à reconnaître ses fautes, à payer sa dette à la société et à se corriger pour se réinsérer. La condamnation doit être portée à vie, comme un boulet dès la sortie de prison, quand on en sort !
Ce constat est d'autant plus flagrant que le volet des mesures socio-éducatives que l'on est en droit d'attendre, les seules à permettre une réelle réinsertion, est totalement absent.
D'abord, cette proposition de loi vise à instaurer, « à titre de mesure de sûreté », le placement sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement pour un crime ou un délit sexuel.
La mesure de sûreté, qui vise à faire porter, y compris contre leur consentement, un bracelet électronique aux délinquants et criminels sexuels à leur sortie de prison est, en réalité, comme cela a souvent été dit, une nouvelle peine après la peine, en somme, une nouvelle double peine !
Une telle mesure générale est très dangereuse. Les statistiques du ministère de la justice indiquent que le taux de récidive est de 1, 8 % pour les viols et chacun sait que, pour lutter contre la récidive des auteurs d'infractions sexuelles, il est préférable de prévoir des aides psychologiques et psychiatriques et des mesures de suivi socio-judiciaire.
Un placement sous surveillance mobile sans traitement médical ne constitue pas un instrument de lutte efficace contre la récidive, pas plus pour les « victimes potentielles » que pour les délinquants et criminels sexuels.
Non, le bracelet n'empêchera pas la récidive ! Et il ne protégera en rien les citoyens de ces crimes. Tout au plus permettra-t-il aux enquêteurs de savoir si la personne sous surveillance était sur place ! Est-ce suffisant pour le déclarer coupable et le condamner ? En fait, on nous demande de valider dans le droit pénal un outil plus nécessaire à la police qu'à la justice !
De plus, alors qu'il avait été annoncé que le placement sous surveillance mobile se ferait sur la base du volontariat, c'est la juridiction pénale qui ordonne cette mesure et impose au condamné de porter cet émetteur !
Enfin, cette mesure est constitutive d'une atteinte à la vie privée et au libre-arbitre de la personne, y compris de ses proches.
Comment, alors, parler de dignité et de respect de la vie privée ? Une telle atteinte aux libertés ne saurait être justifiée !
Le placement sous surveillance mobile, qu'il soit présenté comme une mesure de sûreté ou comme une mesure de substitution, telle que la liberté conditionnelle, c'est, en réalité, une peine à part entière et, donc, bien une peine après la peine.
Cette mesure nous paraît, non seulement inhumaine, car elle stigmatise les condamnés, mais, en plus, elle ne sert à rien dans la prévention de la récidive.
Il nous semble important de réaffirmer que l'accompagnement socio-éducatif est effectivement le véritable outil de prévention de la récidive.
Si les rares études effectuées pour apprécier les effets de l'aménagement des peines sur la récidive n'ont pu permettre de dégager de réelles certitudes en ce domaine, elles ont, en revanche, démontré que l'emprisonnement n'est pas un outil de prévention de la récidive, bien au contraire !
Il est ainsi intéressant de constater que les délinquants qui ont réellement purgé la plus grande partie de leur peine sans aménagement sont aussi ceux qui sont le plus souvent condamnés à nouveau à des peines d'emprisonnement ferme.
Le choix de privilégier le recours à l'emprisonnement va à l'encontre de toutes les constatations faites ces dernières années, notamment par les rapports Farge et Warsmann sur l'insuffisance des aménagements de peine.
Ces aménagements de peine, notamment le plus important d'entre eux, la libération conditionnelle, ont notablement diminué depuis les années quatre-vingt.
Les améliorations procédurales apportées par la loi du 15 juin 2000 en matière d'application des peines n'ont pas entraîné d'évolution sensible dans ce domaine.
Comme cela a été objectivement souligné, les services pénitentiaires d'insertion et de probation disposent de moyens insuffisants et peinent à mettre en oeuvre les mesures restrictives de liberté dans des conditions permettant un accompagnement socio-éducatif réel.
Mais ce n'est pas au condamné de payer les faibles moyens donnés à la justice ! Le rapport de la mission se fait d'ailleurs l'écho de cette situation.
De même, les premiers bilans relatifs à l'application du placement sous surveillance électronique fixe montraient l'importance du suivi social et son insuffisance.
Le principal effet positif, relevé à l'occasion de l'entrée en vigueur de cette mesure, a même été le renforcement du travail d'accompagnement social qu'elle a entraîné.
La mise en place de cette mesure nécessite également une connaissance bien précise de la situation du condamné.
Les vrais enjeux de la prévention de la récidive se situent, non pas dans un recours accru à l'emprisonnement, mais bien dans un renforcement du contenu des mesures d'accompagnement socio-éducatif en milieu ouvert, et ce tout particulièrement parce que les personnes concernées sont souvent les plus défavorisées socialement. S'il y a bien un choix contre-productif, c'est évidemment celui du recours systématique à l'emprisonnement !
De plus, ce choix est en total décalage avec la réalité de la situation, notamment en matière de surpopulation carcérale. Il est important de rappeler que le postulat d'un « laxisme judiciaire » est erroné.
Le développement d'un discours sur « l'ineffectivité des peines » a probablement contribué à brouiller le débat. Le fait le plus marquant de ces dernières années est l'augmentation particulièrement importante du nombre des détenus, qui a battu des records historiques, que ce soit en 2003 ou en 2004.
Le recours aux procédures rapides ne permettant pas un examen approfondi de leur personnalité s'est accru dans des proportions importantes entre 2001 et 2003.
A cela s'ajoute ce que l'on appelle « les délits mineurs », comme c'est le cas pour les sans-papiers, qui n'ont aucune raison d'être mis en prison, puisque leur seul crime est d'être en situation administrative irrégulière !
Enfin, les peines alternatives à l'emprisonnement sont de moins en moins souvent prononcées, particulièrement le travail d'intérêt général, pour lequel on observe une baisse de 25 % entre 1998 et 2003.
Les conséquences de la multiplication et de l'aggravation des peines de prison sur la situation des prisonniers sont connues. N'oublions pas que les prisons constituent l'humiliation de notre République.
La loi Perben II, dans son volet relatif à l'application des peines, prenait acte de la nécessité de redynamiser les aménagements de peine. La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise constitue clairement un retour en arrière.
Au lieu de mettre l'accent sur le renforcement des interventions en milieu ouvert, elle encourage le prononcé de plus nombreuses et plus lourdes peines d'emprisonnement ferme. On se moque bien d'entraîner une nouvelle augmentation dramatique du nombre des détenus !
Il s'ensuivra nécessairement une aggravation des conditions de détention, qui mettra une nouvelle fois la France en difficulté au regard de ses engagements internationaux.
Cette priorité aura, évidemment, des effets contre-productifs du point de vue budgétaire en alourdissant le budget de la justice consacré à la prison plutôt qu'à la prise en charge des condamnés en milieu ouvert.
Le rapport Warsmann préconisait la création de 3 000 postes de conseillers d'insertion et de probation. Avec 330 postes de conseillers d'insertion et de probation et 200 postes créés en 2005, on est encore loin du compte.
Nous ne pouvons que nous opposer à une telle proposition de loi, signifiant l'abandon de toute politique ambitieuse de réinsertion. Seule la voie d'une prévention effective de la récidive peut participer à une politique plus générale de cohésion sociale.