Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombre d'orateurs l'ont déjà dit : il est légitime de lutter contre la récidive, contre toute forme de récidive, a fortiori s'agissant de crimes, d'atteintes graves à l'intégrité physique, d'actes de violence, de viols. Nul ne le conteste, et nous ne le contestons évidemment pas.
La vraie question est celle de la méthode.
Or, si nous nous devons de prendre en compte la réalité, si nous nous devons de tirer les leçons des dysfonctionnements, des drames, des tragédies, nous devons nous garder, mes chers collègues, des législations spectaculaires censées frapper l'opinion, mais qui ne produisent pas toujours l'effet recherché - lorsqu'elles ne produisent pas l'effet contraire à celui qui est recherché.
Que la peine soit plus élevée en cas de récidive, cela paraît logique. C'est d'ailleurs déjà le cas : c'est écrit noir sur blanc dans les textes. Mais additionner les peines à perte de vue, au-delà de la durée de la vie même, est contraire aux principes de notre droit. Et quand même cela serait possible, je doute fort de l'effet concret d'une telle frénésie d'additions et de multiplications !
M. Sarkozy - puisqu'il faut bien parler de lui, notamment - avait cru trouver une mesure spectaculaire propre à frapper les esprits à la télévision : la peine plancher. Monsieur le garde des sceaux, vous avez eu raison de vous y opposer, comme l'ont fait nombre de juristes, nombre d'associations de magistrats.
La peine plancher ressortit à une conception de la justice qui fait de celle-ci une justice automatique, déniant le travail des magistrats, leur pouvoir d'appréciation, leur capacité à juger, exercice tellement difficile, mais qui s'accommode mal de l'automaticité tant il faut prendre en considération les facteurs humains, qu'ils concernent les prévenus ou les victimes, tant il faut travailler sur les situations, sur les réalités, et d'abord sur les réalités humaines, pour que la justice soit juste, pour que la peine soit proportionnée, pour que la sanction soit, autant que faire se peut, réparatrice.
Puisque la voie des peines plancher paraissait fermée, les zélotes du sarkozysme - appelons-le par son nom ! - ont inventé un substitut, ou plutôt des substituts qui sont l'essence même de cette proposition de loi.
Ces substituts procèdent, même s'ils s'appuient sur des procédures et sur des techniques différentes, du même état d'esprit : celui de l'automaticité, jugée objective, sûre et sécurisante. Nous en verrons plusieurs exemples.
Mais la proposition de loi fait l'impasse totale sur les mesures qu'il est urgent de prendre si l'on veut vraiment lutter contre la récidive.
Si l'on veut vraiment lutter contre la récidive, il faut revenir inlassablement sur la réalité carcérale, sur les conditions dans lesquelles se déroule la détention, et se poser la question : est-ce que ces conditions concrètes permettent à la personne qui est détenue de s'amender, est-ce qu'elles préparent cette personne à sortir de la prison dans un état médical, psychologique, psychiatrique, dans une situation humaine, matérielle, sociale qui ne conduise pas à la récidive ? Voilà la vraie question ! A-t-on les moyens du suivi, de la réinsertion sociale et professionnelle de l'ancien détenu ?
Vous savez, monsieur le ministre, que la solution passe par la réduction de la surpopulation de nos prisons. J'ai souvent soulevé devant vous le cas d'une prison de mon département, celle d'Orléans. Vous m'avez dit que la surpopulation allait baisser : elle a en effet un peu baissé. Mais vous m'aviez annoncé qu'une nouvelle maison d'arrêt serait construite. Or il apparaît aujourd'hui que ce sera difficile et que ce projet est sans doute compromis !
La surpopulation ne permet pas au travail souvent remarquable des personnels pénitentiaires de porter les fruits qu'il pourrait porter.
S'y ajoute, mais cela a déjà été dit par mes collègues, la grande misère de la psychiatrie, en prison comme ailleurs, et sans doute plus qu'ailleurs.
S'y ajoute la faiblesse des moyens de suivi, d'insertion et d'intégration professionnelle des personnes qui ont purgé leur peine. Vous savez combien les services affectés à ces tâches manquent cruellement de moyens ; vous savez que cet enjeu est crucial et que c'est par là qu'il faut commencer si l'on veut vraiment réduire les cas de récidive.
En fin de compte, il faut d'abord appliquer les lois qui existent sur le suivi socio-judiciaire et le sursis avec mise à l'épreuve : les dispositifs, nous les connaissons bien.
Mais la volonté constante des auteurs de la proposition de loi, comme d'autres, de préférer ce qui est spectaculaire à ce qui est efficace les conduit à méconnaître les principes les plus fondamentaux de notre Constitution. Cela n'a pas échappé à la commission des lois du Sénat ni à son rapporteur, M. Zocchetto, qui nous propose de ne pas nous engager dans de tels errements, et il restera bien peu de chose de la proposition de loi initiale si ses amendements, comme je le souhaite pour la plupart d'entre eux, sont adoptés par notre assemblée.
Les débats de la commission ont montré le caractère absurde et dérisoire de la législation-spectacle. Et une question surgit - comment l'ignorer ? - que je poserai ainsi : n'est-il pas étonnant, et pour mieux dire préoccupant, que la majorité de l'Assemblée nationale ait pu adopter des mesures si évidemment inconstitutionnelles ?
J'y vois une dérive préoccupante de l'idée que certains peuvent se faire de la loi, loi d'affichage, loi tract, loi pour la télé, loi symbole, loi expéditive comme la justice du même nom, loi pour frapper les esprits plus que pour dire le droit, que pour sanctionner justement, que pour réinsérer, que pour amender, loi qui, comme le couperet, assène les châtiments automatiques sous les vivats supposés d'une opinion que l'on flatte mais à laquelle on refuse de dire la vérité sur les vrais moyens de prévenir et de réduire les récidives.
Je vais en venir à l'objet de mon intervention, mais succinctement, car j'espère, en quelque sorte, qu'elle sera inutile puisqu'il me revient de dire en quoi le texte qui nous est soumis - et non pas le texte qui a été adopté par la commission des lois - est contraire à la Constitution.
Je me bornerai, monsieur le président, à quatre considérations.