En premier lieu, le dispositif qui nous est présenté par la majorité de l'Assemblée nationale est contraire au principe d'égalité.
Je pense en particulier à la définition de la réitération, qui englobe le cas de concours d'infractions alors que cette situation est déjà réglée par l'article 132-2 du code pénal, lequel dispose qu'« il y a concours d'infractions lorsqu'une infraction est commise par une personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction ».
Tel qu'il figure dans le texte initial de la proposition de loi, le dispositif dit de la réitération aboutirait à des résultats différents selon que l'on utiliserait une poursuite unique, cas dans lequel l'article 132-3 obligerait à respecter le principe de non-cumul des peines, ou des poursuites séparées, avec cumul de peines, sans confusion possible.
M. Jérôme Lambert, député, a expliqué de manière très lumineuse à l'Assemblée nationale que, si le dispositif proposé était adopté, les peines encourues et prononcées seraient très différentes selon l'ordre dans lequel les infractions auraient été commises : « Ainsi, le vol avec violences simples, s'il suit des violences aggravées, serait puni de dix ans ; en revanche, des violences aggravées suivant un vol avec violences simples seraient punies de six ans de détention. » Je n'insiste pas, mais nous voyons bien que tout le dispositif de l'article 2, joint à l'ensemble du texte et aux dispositions déjà existantes, viole à l'évidence le principe d'égalité.
En deuxième lieu, ce texte, à bien des égards, viole le principe de l'individualisation de la peine, principe qui, vous le savez, mes chers collègues, a été reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004 portant sur ce qui est improprement appelé le « plaider coupable ». Je citerai à ce propos l'incarcération obligatoire des récidivistes, la limitation pour le juge de la possibilité de prononcer des sursis avec mise à l'épreuve, mais il est de nombreuses autres dispositions qui font de cette proposition de loi un texte de méfiance à l'égard des magistrats puisqu'il prône une justice quasiment automatique.
L'article 2 du texte qui nous est proposé n'est d'ailleurs pas dénué d'ironie, puisqu'il y est précisé que « la juridiction saisie prend en considération les antécédents du prévenu pour prononcer la peine et en déterminer le régime ». Encore heureux !
Pourquoi les auteurs de ce texte éprouvent-ils le besoin de dire qu'après tout le juge dispose d'un certain pouvoir d'appréciation ? Eh bien, tout simplement parce qu'ils pensent que la sécurité juridique réside dans l'automaticité de la peine, laquelle, en vérité, nie le travail du magistrat et le principe d'individualisation des peines ; et ce qui est vrai pour cet article 2 l'est pour plusieurs autres articles de la proposition de loi.
En troisième lieu, ce texte est contraire au principe de la nécessité des peines tel qu'il est prévu à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En effet, s'agissant du bracelet électronique - que l'on a tort d'appeler ainsi, puisque ce sera une « chevillière » -, s'agissant du « placement sous surveillance électronique mobile », selon la formulation du texte, la proposition de loi comporte, monsieur le garde des sceaux, une déclaration vraiment singulière.
En effet, il est précisé à l'article 8 : « Le procédé utilisé est homologué par le ministre de la justice. Sa mise en oeuvre doit garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne et favoriser sa réinsertion sociale. » On a vraiment peine à lire cela ! Ainsi, les personnes concernées seront pourvues de dispositifs électroniques pendant vingt ans, pendant trente ans, nuit et jour, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et il faudra qu'ils soient homologués - bon courage, monsieur le ministre - de telle manière qu'ils « garantissent », c'est le verbe employé, le respect de la vie privée - alors qu'à tout moment on saura où est la personne - ainsi que le respect de l'intégrité de la personne, mais aussi qu'ils favorisent la réinsertion !
Monsieur le rapporteur, j'ai apprécié votre sens de l'euphémisme. Vous avez mis des guillemets autour du mot « réinsertion » ainsi compris : la réinsertion par bip-bip électronique. C'est une conception, en effet ! Et vous écrivez, à la page 56 de votre rapport, que, « bien que selon le nouvel article 131-36-19 le dispositif ait pour finalité la réinsertion de l'intéressé, aucune disposition ne permet véritablement de concourir à cet objectif ». C'est fort bien dit, mais on pourrait dire autrement, et en étant plus direct, qu'il est assez scandaleux de nous faire prendre cela pour une mesure de réinsertion !
En tout cas, on ne sait pas s'il s'agit d'une mesure de sûreté ou d'une peine, il y a une ambiguïté. Aux termes de la proposition de loi, c'est la juridiction de condamnation qui décide. On est donc dans le système de la double peine, laquelle s'appliquerait aussi bien à des personnes encourant une peine de trois ans qu'à des personnes encourant la réclusion criminelle. Tout cela est évidemment contraire aux principes de la proportionnalité et de la nécessité des peines.
Le quatrième point que je voulais évoquer est relatif à l'article 16, dont la commission nous propose la suppression.
Cet article, qui a été adopté par la majorité de l'Assemblée nationale - répétons-le - est clairement contraire au principe de la non-rétroactivité des lois inscrit à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
La perspective d'une application immédiate aux personnes déjà définitivement condamnées prévue à cet article est tout à fait inquiétante. En effet, elle est contraire au principe énoncé dans l'article 112-2 du code pénal et en contradiction totale avec la décision du 3 septembre 1986 dans laquelle le Conseil constitutionnel a considéré que l'article VIII de la Déclaration de 1789 « ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s'étend à la période de sûreté qui, bien que relative à l'exécution de la peine, n'en relève pas moins de la juridiction de jugement qui, dans les conditions déterminées par la loi peut en faire varier la durée en même temps qu'elle se prononce sur la culpabilité du prévenu ou de l'accusé ; l'appréciation de cette culpabilité ne peut, conformément au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, être effectuée qu'au regard de la législation en vigueur à la date des faits ».
De même, l'article VI de la Déclaration de 1789 dispose que la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
Or, si la présente proposition de loi était adoptée en l'état, ce serait la juridiction de jugement qui serait compétente pour prononcer le placement sous surveillance électronique mobile, alors que pour les personnes déjà condamnées, ce serait le tribunal de l'application des peines. Il y aurait donc une rupture d'égalité.
Enfin, tel qu'il est rédigé l'article 16 est contraire à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Oui, mes chers collègues, nous en sommes tous bien conscient, il faut lutter contre la récidive ! Mais nous devons de toutes nos forces repousser la loi spectacle, la loi qui dupe l'opinion en faisant semblant de la flatter.
Ne revenons pas au temps des chaînes, des anneaux et du joug, même s'il s'agit de chaînes, d'anneaux, de jougs électroniques : ce n'est pas une solution.
Pour lutter contre la récidive, il faut se donner les moyens humains de soigner, de guérir, d'amender, de réinsérer dans la société humaine des êtres humains.