Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes amenés aujourd'hui à examiner est tout à fait révélatrice de la politique menée par le Gouvernement depuis bientôt trois ans et qui consiste à traiter le symptôme par des effets d'annonce.
L'actualité récente en matière de délinquance sexuelle vous a permis de déposer des textes empreints d'opportunité, comme la très controversée proposition de loi sur les peines automatiques. En raison de la forte opposition qui s'est exprimée sur ce texte, et ce au sein même de votre propre majorité, une mission d'information sur le traitement de la récidive fut mise en place. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne serait que la traduction législative des conclusions de la mission d'information.
En réalité, ce texte va plus loin. Il nous conduit à nous interroger sur le sens que nous donnons à la peine et à l'incarcération. En effet, depuis bientôt trois ans, les textes renforçant progressivement les peines s'enchaînent les uns après les autres, pour un résultat malgré tout très mitigé. Il suffit de se pencher sur les résultats de la politique du précédent ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, pour constater que c'est un échec. En revanche, le nombre de détenus ne cesse de croître, et ce qui était il y a cinq ans une humiliation pour la République ne vous indigne plus aujourd'hui.
Les modifications successives du code pénal et du code de procédure pénale n'ont eu jusqu'à présent qu'un seul objectif : aggraver toujours plus des peines déjà lourdes, dans la précipitation et sans aucune prise en compte de la réalité. Sans parler de la complexification que cela engendre, aussi bien pour les magistrats qui appliquent la loi que pour les citoyens qui sont censés ne pas l'ignorer, cela révèle une conception autoritaire de la société et une pauvreté de réponses face aux problèmes de la délinquance et de la récidive.
Les sanctions pénales sont légion : il est difficile d'affirmer que le code pénal recèle un quelconque angélisme ou un quelconque laxisme vis-à-vis des personnes qui ne respectent pas la loi. Nous vivons sous le règne de l'interdit. Les peines de prison sont de plus en plus longues, ce qui parallèlement explique que les aménagements de peine sont de plus en plus exceptionnels.
Les peines alternatives à l'emprisonnement sont, elles aussi, prononcées de plus en plus rarement. Tout cela explique en partie l'explosion carcérale que nous connaissons actuellement. Et malheureusement, cette proposition de loi ne fera que renforcer la surpopulation carcérale.
Pourtant, notre arsenal juridique est particulièrement riche et dense. Le problème n'est donc pas de rajouter des sanctions à d'autres sanctions ou d'en alourdir certaines, mais bien d'appliquer les peines qui existent déjà.
La mission d'information a d'ailleurs démontré que l'arsenal juridique destiné à lutter contre la récidive existe et que le problème réside essentiellement dans l'exécution des peines et donc dans les moyens alloués à la justice. Cette question des moyens de la justice a déjà été abordée par ma collègue Nicole Borvo, je n'y reviendrai donc pas, bien qu'il s'agisse à nos yeux d'un problème fondamental dans la lutte contre la récidive.
J'aborderai la question de la récidive et du durcissement de notre législation pénale en revenant sur le sens que nous donnons à la peine aujourd'hui.
La peine doit tout d'abord sanctionner une infraction à la loi. Mais pour qu'elle ne soit que la juste sanction de cette infraction, elle doit être individualisée et proportionnée à l'infraction commise.
Or que constatons-nous à la lecture des diverses dispositions de ce texte ? Avec la limitation à deux ou un seul, selon l'infraction, du nombre de sursis avec mise à l'épreuve que le juge pourra prononcer à l'encontre d'un délinquant récidiviste, nous voilà en présence de l'application automatique d'une peine. Cette disposition est contraire à notre principe de l'individualisation des peines. La personnalité de l'auteur de l'infraction ne pourra plus être prise en compte par le juge, ce qui réduit d'autant sa capacité d'intervention.
L'argument utilisé par le Gouvernement afin de réduire la possibilité de prononcer des sursis avec mise à l'épreuve est qu'ils ne sont pas mis efficacement en oeuvre en raison du manque de moyens dont disposent les services d'insertion et de probation.
Deux remarques s'imposent à ce niveau de la discussion. Vous réduisez les possibilités de recourir à un procédé pourtant reconnu comme étant efficace tant pour éviter les courtes peines d'emprisonnement, jugées plus néfastes qu'utiles, que pour prévenir la récidive.
D'une part, il est contestable d'utiliser l'argument selon lequel les moyens sont insuffisants pour appliquer convenablement un dispositif de suivi éducatif et social et d'en réduire davantage l'application. Le constat de l'efficacité insuffisante du dispositif de sursis avec mise à l'épreuve devrait immédiatement inciter le Gouvernement à augmenter les moyens des services d'insertion et de probation.
D'autre part, réduire le nombre de sursis avec mise à l'épreuve entraînera inéluctablement une augmentation du nombre des personnes emprisonnées. Or, dans un contexte particulièrement scandaleux de surpopulation carcérale, il est incroyable que vous puissez encore choisir le recours systématique à l'incarcération.
Il faut noter que vous écartez complètement les recommandations d'observateurs extérieurs des prisons, des professionnels pénitentiaires, mais également celles qui émanent de votre propre majorité. Le rapport Warsmann sur les peines alternatives est pourtant clair. Après le constat d'une augmentation dramatique mais constante du nombre de détenus, il préconisait notamment la création de 3000 postes de conseillers d'insertion et de probation.
Avec 330 postes créés depuis l'entrée en vigueur de la loi d'orientation et de programmation pour la justice et 200 postes prévus en 2005, nous sommes bien loin du compte en matière d'accompagnement des condamnés !
La priorité donnée à l'emprisonnement aura bien évidemment des effets contre-productifs en matière de récidive, mais elle aura également des conséquences budgétaires.
Il est beaucoup plus coûteux de construire des prisons que d'augmenter les moyens des services d'insertion et de probation. Pourtant, c'est la première solution que vous privilégiez. Nous ne pouvons cautionner ce choix idéologique et budgétaire.
Si la capacité d'intervention du juge est réduite en matière de sursis avec mise à l'épreuve, elle l'est également en matière de surveillance électronique mobile.
II est, en effet, prévu que la juridiction de jugement pourra prononcer, en matière de délinquance sexuelle, outre une condamnation à une peine d'emprisonnement, le placement sous surveillance électronique mobile à compter du jour où la privation de liberté prendra fin.
Là encore, plusieurs remarques s'imposent.
Tout d'abord, la juridiction de jugement pourra ordonner, des années avant sa mise en oeuvre, une mesure de sûreté. Il reviendra ensuite au juge de l'application des peines de prononcer effectivement ce placement. Mais, à ce moment-là, il ne sera pas demandé à la juridiction de jugement de se prononcer de nouveau sur cette mesure de sûreté, ne serait-ce que pour prendre en compte la personnalité de l'individu qui a été condamné.
Comme ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat le disait tout à l'heure dans la discussion générale, il est évident que le juge de l'application des peines ne prendra jamais la responsabilité de ne pas recourir au placement sous surveillance électronique. Or confier l'examen de la dangerosité d'une personne à une commission administrative est contraire à l'idée que nous nous faisons de la justice.
Nous sommes donc en présence d'une mesure de sûreté qui, étant donné les conditions d'application dans le temps, s'apparente à une peine et qui ne sera pas individualisée.
Un autre aspect de la surveillance électronique est, pour nous, source d'une inquiétude supplémentaire ; je vais essayer de vous montrer à quel point le dispositif qui nous est proposé est disproportionné, alors que - nous ne cessons de le répéter depuis le début de l'examen de ce texte - d'autres choix existent en matière de lutte contre la récidive.
II sera, en effet, possible de placer une personne sous surveillance électronique mobile pour une durée de trois ans renouvelable si elle a commis un délit ou pour une durée de cinq ans renouvelable si elle a commis un crime. Concrètement, une personne qui aura été condamnée, et qui aura donc payé sa dette envers la société, pourra être surveillée en permanence durant vingt ans ou trente ans !
En outre, il est urgent de s'interroger sur le traitement de la délinquance sexuelle, comme il est urgent d'arrêter de n'y apporter que des solutions médiatiques.
Alors que le secteur psychiatrique public est totalement laissé à l'abandon et que le suivi socio-judiciaire est parfaitement insuffisant, le bracelet électronique devient le seul outil susceptible de lutter contre la délinquance sexuelle. Pourtant, ce bracelet est loin de s'apparenter à une thérapie !
Le suivi socio-judiciaire devrait être la mesure prioritaire en matière de lutte contre la récidive d'agressions sexuelles. Comme ce suivi est mené sur de longues durées - dix ans si la personne a été condamnée pour un délit, vingt ans si elle l'a été pour un crime -, il est important de disposer d'un nombre suffisant de médecins susceptibles de suivre l'évolution de la personne astreinte à cette mesure, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Mais le plus important est la finalité du suivi socio-judiciaire, qui doit permettre de seconder les efforts de la personne qui y est soumise, en vue de sa réinsertion sociale. Dans le cadre de ce suivi, il est concevable qu'une personne puisse progressivement reprendre des activités normales, l'astreinte consistant à se soumettre à des mesures de surveillance et d'assistance, notamment des interdictions de paraître en certains lieux.
Si cette proposition de loi fait également référence à la réinsertion sociale de la personne soumise à placement sous surveillance électronique, il en va tout autrement de la réalité de cette réinsertion. En effet, se réinsérer signifie a minima trouver un travail et un logement. Croyez-vous vraiment qu'une personne qui a un bracelet électronique se verra proposer un emploi ?
Par ailleurs, eu égard aux moyens financiers engagés dans ce dispositif, les effets sur la récidive seront dérisoires.
Un tel dispositif peut-il avoir une quelconque efficacité pour prévenir la récidive ? S'il est utilisé pour des personnes sensibles à l'interdit, celles-ci pourraient être valablement accompagnées dans le cadre des dispositifs existants, à savoir la libération conditionnelle ou le suivi socio-judiciaire. S'il est utilisé pour des personnes qui n'arrivent pas à contrôler leurs pulsions, il ne permettra pas d'empêcher la commission d'une nouvelle infraction. Au mieux, le bracelet électronique facilitera l'enquête policière destinée à retrouver l'auteur de l'infraction, ce qui signifie que cette dernière a déjà été commise. Le bracelet s'apparente alors à un suivi policier.
Les enjeux réels de la réinsertion du condamné et de la prévention de la récidive se situent bien davantage dans la régularité et dans la qualité du suivi social, éducatif et psychologique que les services pénitentiaires d'insertion et de probation sont en état d'offrir à la personne condamnée.
De plus, il est difficilement admissible qu'une peine supplémentaire s'applique après la fin d'une peine. Déjà en 1997, nous n'admettions pas la possibilité de recourir au bracelet électronique dans le cadre des peines alternatives à l'emprisonnement. Notre opposition au bracelet GPS est d'autant plus forte aujourd'hui que cette mesure se transforme en seconde peine, après la peine d'emprisonnement.
En outre, ce bracelet du XXIe siècle rappelle un passé sinistre, l'ère des forçats, des entraves et des chaînes.
II est donc regrettable que, faute d'avoir été réellement développés, les dispositifs déjà existants n'aient pas pu faire leurs preuves : nous aurions ainsi pu nous dispenser de la mise en oeuvre des dispositions de cette proposition de loi particulièrement dangereuse au regard de nos droits fondamentaux.
Mes chers collègues, il faut avoir conscience des conséquences de l'adoption d'une telle proposition de loi, même si elle est amendée.
Certes, l'idée de la peine plancher est aujourd'hui écartée, mais une brèche a été ouverte en ce qui concerne l'automaticité de la sanction. Un tel choix va à l'encontre de toute notre tradition judiciaire et pénale, qui s'appuie sur l'héritage des juristes et des philosophes du siècle des Lumières, dont les idées n'ont rien perdu de leur modernité.
En effet, c'est au XVIIIe siècle que se développe l'idée selon laquelle la prévention du crime peut en accompagner la répression. S'inspirant des idées de Montesquieu, William Blackstone, juriste britannique, consacre un chapitre de son ouvrage sur les lois criminelles aux moyens de prévenir les délits et y écrit : « la justice qui prévient les délits est bien préférable à la justice qui les punit. »
Cette proposition de loi n'apporte pas de réponse adaptée à la question déjà ancienne de la récidive. Je vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.
Dans l'équilibre déjà si fragile entre prévention et répression, n'intensifiez pas cette dernière, car c'est la justice qui sera perdante.