Voilà quelques semaines, la France semblait déchirée pour longtemps par la coupure entraînée par le référendum du 29 mai 2005. Elle se résignait à se voir peu à peu exclue de la construction européenne.
Souvenez-vous de la réunion à Madrid, en janvier dernier, des dix-huit pays du « oui », qui avait eu valeur de cruel symbole : pour la première fois, un grand rendez-vous européen s'était tenu sans la France. Chaque jour, notre pays semblait s'éloigner de l'Europe. Chaque jour, nous étions plus isolés.
Il y a quelques semaines, l'Union européenne était dominée par la morosité, par la frilosité et par le doute. À la veille du sommet de Bruxelles, bien rares étaient ceux qui se risquaient à pronostiquer un dénouement positif au blocage dans lequel le « non » français du 29 mai 2005 avait plongé l'Union. Comment l'auraient-ils pu ? Entre les dix-huit pays qui avaient voté le traité et y demeuraient légitimement attachés, les deux pays qui l'avaient rejeté - la France et les Pays-Bas -, et les autres, pour lesquels une ratification semblait au moins peu probable, la voie semblait bouchée.
Je vous l'avoue sans peine : moi-même, je ne croyais pas qu'une issue fût possible, et je n'étais pas persuadé que l'idée du traité simplifié parviendrait à rallier autour d'elle aussi bien ceux qui avaient ratifié la Constitution européenne, ceux qui y voyaient des pertes de souveraineté inacceptables et d'autres, qui avaient au contraire regretté son manque d'ambition en matière politique ou sociale.
Et puis, au fil de ces semaines de navettes passées à écouter, échanger, discuter, nous avons vu les réticences tomber l'une après l'autre. Pas toutes de gaîté de coeur ! Nous avons suivi les évolutions de nos partenaires, convaincus pièce à pièce que notre seule chance de sursaut serait commune. Nous avons peu à peu reconstruit des alliances inespérées, socle commun d'un futur document en douze points entre l'Espagne qui avait dit « oui » par référendum et la France qui avait dit « non » selon le même procédé.
Sous l'influence décisive de la présidence allemande, mais aussi grâce à la pression constante du Président de la République et au sens des responsabilités du président de la Commission, M. José Barroso, que nous ne remercierons jamais assez, grâce à la bonne volonté de José Sócrates et au dialogue qui s'est noué avec le Premier ministre hollandais Jan Peter Balkenende et avec Tony Blair, grâce aussi, en dépit de tout, à l'engagement des Polonais, nous avons vu à Bruxelles qu'une solution acceptable par tous devenait peu à peu possible.
C'est pourquoi je voudrais commencer par vous exprimer aujourd'hui, avant même d'entrer dans le détail du texte, mon profond soulagement. Pour l'Européen acharné que je suis, ce référendum du 29 mai gardait un goût amer, même s'il avait révélé de vrais doutes, de vraies peurs et de vraies interrogations sur la nature de l'Union européenne, dont il fallait naturellement tenir compte.
Aujourd'hui, les choses ont changé. Le vote des Français a bien été pris en compte. Le blocage est dépassé.
Le Président de la République, qui a proposé et imposé cette idée d'un traité simplifié, l'avait annoncé : la France est de retour en Europe. Non pas une France égoïste, obnubilée par ses peurs au point de faire le lit des ultra-libéraux qu'elle prétendait combattre, mais une France ouverte aux autres, fidèle à elle-même et à l'esprit européen : celui de l'écoute, du dialogue et du compromis.
Les compromis en Europe se font toujours aux dépens des convictions et des certitudes des uns et des autres, voire de ce que chacun pouvait penser quelques minutes auparavant ! C'est ça l'Europe : le dialogue et l'implication des uns et des autres.
Depuis le 23 juin au matin, nous avons le mandat unanimement agréé d'une conférence intergouvernementale, la CIG, qui doit nous conduire à la signature d'un nouveau traité institutionnel d'ici à la fin de l'année. Il sera composé d'un traité relatif à l'Union européenne et d'un autre concernant le fonctionnement de l'Union européenne. Les formulations sont alambiquées, mais les avancées décisives.
Ce mandat, c'est celui de la conférence intergouvernementale qui sera ouverte par la présidence portugaise de l'Union le 23 juillet prochain à Bruxelles. Ce mandat de quelques pages est précis, presque détaillé article par article. Cette CIG décisive, pour laquelle je fais confiance à la présidence portugaise, me semble donc s'annoncer sous de bons auspices.
Je sais que ce sera difficile et qu'il faudra être très attentif, mais nous pourrons ensuite, je l'espère, aboutir à une ratification rapide du nouveau traité par tous les États membres, ratification suffisamment rapide, il faut le souhaiter, pour que le traité puisse entrer en vigueur avant les élections européennes au Parlement européen de juin 2009.
Voilà pour les principales étapes à venir. J'en viens maintenant au contenu du texte adopté à Bruxelles le 23 juin.
Dans le nécessaire débat qui s'ouvre, préalable à celui que nous aurons dans le cadre de la ratification, le Parlement doit disposer de tous les éléments qui lui permettront une lecture objective du projet. Au risque d'être un peu long, je souhaite donc être précis.
Nous avons entendu les interrogations légitimes, parfois contradictoires entre elles, que le projet suscite. Certains nous reprochent de resservir aux Français ce qu'ils ont rejeté en 2005 ; d'autres, au contraire, ne voient dans ce texte rien de nouveau par rapport au traité de Nice. Ces deux arguments symétriques méritent des réponses.
L'accord de Bruxelles s'est fait autour de l'idée de traité simplifié avancée par le Président de la République lors de la campagne présidentielle. Son objectif était à la fois simple et ambitieux : réconcilier les exigences des Français qui avaient dit « non » et celles de nos partenaires qui avaient dit « oui ». Cela paraît simple à présent, mais ce n'était pas évident !
À l'épaisse et d'ailleurs incertaine « Constitution » - appellation controversée - qui revisitait toutes les réalisations de l'Europe depuis 1957, nous avons désormais substitué un traité court qui se contente d'ajouter à celui de Nice les innovations indispensables de la CIG de 2004 pour améliorer le fonctionnement de l'Europe à vingt-sept.
Ceux qui ont fréquenté l'Europe, et ils sont nombreux au Sénat, savent bien que le fait de passer d'une assemblée de quinze à vingt-sept membres constitue une autre expérience, un autre système, une autre approche de la pensée des autres. Il était nécessaire de trouver de nouvelles modalités de dialogue et d'avancée.
Les éléments symboliques - drapeau, hymne, devise - et constitutionnels ne figurent plus dans ce nouveau traité. À tort ou à raison, ils incarnaient aux yeux de beaucoup un super-État européen - je n'étais pas de ceux-là, je vous le dis tout net - et ils ont donc été supprimés, puisque tel était le mandat reçu des Français.
Nous ne pouvions pas faire semblant, et le Président de la République plus que tout autre, de considérer que la France avait voté « non » par mégarde. La France avait voté « non »...