Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors du référendum du 29 mai 2005, le peuple français a choisi majoritairement de répondre « non » au traité établissant une Constitution pour l'Europe. C'est un fait politique majeur.
Après ce vote qui a fait des citoyens des acteurs de la démocratie et non ses créanciers, nos dirigeants se sont permis de les juger, tentant de faire passer ce « non » pour un incident de parcours, et donc de nier ce vote, voire de l'effacer des agendas, pour ne pas dire de l'histoire.
J'en veux pour preuve le maintien de la signature de la France au bas du traité et le celui, dans notre Constitution, de la référence à ce même traité, dont le groupe CRC demande le retrait.
À l'issue du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007, censé relancer la construction européenne sur la base d'un nouveau traité, l'unique question qui devrait, me semble-t-il, nous guider est celle-ci : l'Union européenne, ses orientations, ses structures, sont-elles appelées à être enfin en phase avec les besoins et les aspirations des populations qui la peuplent ? La réponse est d'évidence négative et nous ne pouvons croire Nicolas Sarkozy lorsqu'il affirme qu'il a respecté « le mandat donné par les Français » lors du référendum de mai 2005.
Certes, on pourrait s'émouvoir devant les propos de la présidence du Conseil de l'Union européenne : « L'Union européenne est déterminée à contribuer à l'évolution mondiale en promouvant sa conception d'un ordre économique et social efficace, juste et durable ». Mais tout cela n'est qu'un habillage verbeux, censé rassembler les partisans du « oui » et du « non ».
Une mesure semble positive, celle du passage du délai accordé aux parlements nationaux pour examiner des projets d'actes législatifs de six à huit semaines.
Pour le reste, vous vous êtes contentés de conserver ce qui faisait le plus consensus, à savoir l'élection d'un président stable pour l'Union européenne, et le système du vote à la double majorité qualifiée. Désormais, une décision sera entérinée si elle est acceptée par 55 % des États représentant 65 % de la population de l'Union européenne.
Un bémol cependant : cette mesure ne sera pas appliquée avant 2014 dans la perspective du ralliement de la Pologne, laquelle a également obtenu que la Charte des droits fondamentaux n'affecte pas les législations nationales sur la famille, afin de sauvegarder son droit, fort conservateur pour ne pas dire réactionnaire, singulièrement s'agissant des femmes.
Quant au Royaume-Uni, que j'évoquais tout à l'heure, alors que la Charte aurait pu modifier le rapport de force au profit des salariés, notamment sur la question du droit de grève, Londres a obtenu qu'elle ne puisse pas être utilisée par les syndicats britanniques devant la Cour de justice des communautés européennes. De plus, ce pays bénéficie d'une autre dérogation sur la coopération judiciaire et sera donc libre de se soumettre ou non aux décisions prises à la majorité en ce domaine.
Pour sa part, la fiscalité reste soumise à la règle de l'unanimité. Ainsi, le dumping fiscal a de beaux jours devant lui !
Depuis une douzaine de jours, Nicolas Sarkozy se targue d'avoir fait retirer la référence à la concurrence « libre et non faussée » des objectifs de l'Union européenne. Or ce principe est maintenu dans les traités existants et continuera donc d'inspirer les politiques européennes, bien que de plus en plus de citoyens y voient l'une des causes de l'érosion des acquis sociaux, de la progression de la précarité et de l'explosion des dividendes.
La substance du traité constitutionnel européen est conservée et l'ossature de sa partie III, même amendée, reste intacte. Au fond, rien n'a changé...
Aussi, prétendre avoir accompli un geste fort en ayant fait disparaître la référence à la concurrence « libre et non faussée » des objectifs de l'Union européenne ne constitue rien de moins qu'une manipulation politique !
La réalité, c'est que l'indépendance de la Banque centrale européenne, la priorité accordée à la lutte contre l'inflation au détriment du soutien à la croissance et à l'emploi, l'encadrement strict des finances publiques via le pacte de stabilité et de croissance, la traque aux aides publiques et aux participations étatiques ainsi que l'orientation libre-échangiste de la politique commerciale de l'Union européenne sont maintenus !
Avec la logique de la « simplification » mensongère, plus on retire une disposition qui n'a pas plu, dans l'espoir de faire taire les opposants politiques, plus on fait revivre les traités précédents qui disaient la même chose sur la concurrence, comme le traité de Rome, ou sur la politique économique, comme le traité de Maastricht... C'est beaucoup de bruit pour rassurer l'opinion et pour forger à Nicolas Sarkozy une image d'homme d'État et de « sauveur de l'Europe » !
Nul n'est dupe d'un tel tour de passe-passe, qui prend l'allure d'un effet d'annonce et d'une opération de communication orchestrée entre les différents chefs d'État et de gouvernement.
C'est d'ailleurs si vrai que, dans son relevé de conclusions, la présidence du Conseil se permet de réaffirmer le présupposé de la concurrence libre et non faussée, en déclarant ceci : « La poursuite du renforcement des quatre libertés du marché intérieur (libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux) et l'amélioration de son fonctionnement continuent de revêtir une importance capitale pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. »
Ainsi, le principe-cadre de « l'économie de marché ouverte où la concurrence est libre » figure à de multiples reprises dans le traité actuel, qui sera reconduit en l'état... Rien n'a bougé. Aucune réponse probante n'est avancée par les dirigeants européens face aux urgences sociales et écologiques et le traité en préparation n'est pas en mesure d'y répondre.
Mais, plus grave encore, vouloir faire ratifier le traité par voie parlementaire constitue un déni de démocratie !