Le fait qu'il ne soit partie ni à la monnaie unique, ni à Schengen, ni aux droits fondamentaux, ni aux votes à la majorité qualifiée dans des sujets aussi importants que ceux qui concernent le terrorisme pose un vrai problème. Le Royaume-Uni aura-t-il demain, par exemple, la légitimité nécessaire pour s'opposer à d'éventuels progrès de l'intégration européenne ? Personnellement, j'en doute, et je crois que nous devons y réfléchir.
Le troisième recul, enfin, dénoncé par le président du Conseil italien, M. Prodi - qui a été président de la Commission - et par le Premier ministre belge, M. Verhofstadt, est celui de l'esprit communautaire. Il est évidemment très grave !
Cette observation leur a été inspirée par l'âpreté avec laquelle plusieurs pays ont défendu leurs priorités nationales aux dépens de l'intérêt général de l'Europe. Elle est juste. Pour autant, est-elle vraiment nouvelle ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand, en 1962, la France a pratiqué la politique de la « chaise vide » ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand Mme Thatcher clamait à travers l'Europe « Rendez-moi mon argent » ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand, au sommet de Nice, la France et l'Allemagne se sont « prises aux cheveux » ? Et n'a-t-on pas eu le même sentiment quand l'Union européenne s'est déchirée sur l'Irak ?
Si je rappelle cela, c'est simplement pour souligner que, après chacune de ces crises, graves, de l'esprit communautaire, l'Europe a rebondi. Elle a rebondi avec l'Acte unique, elle a rebondi avec la monnaie unique, comme elle vient de rebondir à Bruxelles, le 23 juin, à 4 h 30 du matin.
La construction européenne, nous le savons tous, n'a jamais été un long fleuve tranquille. Elle a cependant toujours su sortir des ornières dans lesquelles elle s'était enfoncée, elle a toujours su surmonter les obstacles qui l'entravaient, comme elle vient de le faire grâce à ce traité réformateur.
Toutefois, j'attire votre attention - mais ce n'est probablement pas nécessaire - sur le fait qu'il s'agit désormais de rédiger le traité sans que renaissent les contentieux que l'accord de Bruxelles a tranchés. Or, nous savons que c'est dans les détails de la rédaction que gît le diable.
Reste une dernière question : l'accord a-t-il pris en compte le « non » de la France au traité constitutionnel ? Le point principal qui avait motivé le vote négatif de la France -tous ceux qui, comme moi, ont participé à l'époque à des réunions électorales le savent -, c'est la troisième partie du traité, jugée comme plaçant la Communauté européenne sur le cap de l'ultralibéralisme. Or cette troisième partie a totalement disparu. C'est la principale raison pour laquelle on parle d'un traité simplifié.
Il est donc assez évident que l'on a tenu compte du vote négatif émis par les Français ; on ne pouvait, d'ailleurs, pas faire autrement !
Le protocole sur les services publics a été également évoqué.
Quant au retrait des objectifs fondamentaux du traité des mots : « la concurrence libre et non faussée «, certains pensent qu'il n'est pas significatif, puisque l'importance de la concurrence a été reprise dans un protocole spécial. Cependant, il s'agit désormais non plus d'une fin en soi, mais d'un moyen.
Est-ce significatif ? Cela le sera peut-être beaucoup plus qu'on ne le pense si la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et la Commission s'en inspirent lorsqu'il s'agira de savoir s'il faut privilégier la concurrence ou permettre l'émergence de champions industriels européens, ou lorsqu'il faudra décider s'il y a lieu de s'incliner devant la mondialisation ou s'il faut, au contraire, en combattre les injustices et les dérives.
Par conséquent, je considère que ce retrait n'est pas négligeable.
Monsieur le secrétaire d'État, le moment est venu, ayant rendu au Président de la République l'hommage qui lui est manifestement dû, de féliciter Bernard Kouchner et vous-même du concours que vous lui avez apporté. M. Kouchner a évoqué ces nuits passées à Bruxelles ; nous en avons tous connues dans le passé !