Monsieur le ministre, j'ai le sentiment que la ferme « France » va mal ; les agriculteurs sont perplexes, fatalistes devant les difficultés, les inconnues qu'ils ont devant eux. L'inquiétude et la peur de l'avenir sont fortes, mais votre budget, globalement à la baisse, ne peut leur rendre espoir et courage.
Ce qui me frappe, c'est le manque de volonté politique. Ce budget au fil de l'eau essaie de colmater des brèches béantes, ici ou là, mais, au nom de la maîtrise budgétaire, il n'y a plus de grande politique publique de l'agriculture.
La baisse des crédits est significative dans divers domaines. Elle se traduit par une diminution de 39 millions d'euros dans celui des offices et cette baisse affecte les contrats d'agriculture durable, les CAD, les mesures agro-environnementales, les MAE, les contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, la prime à l'herbe. La diminution des crédits dans l'enseignement agricole est un signe tangible de ce renoncement.
Par conséquent, vous vous résignez à une pure logique économique : on se contente de faire confiance aux marchés, aux opérateurs privés. Le pire, c'est que l'évolution de la PAC risque de renforcer cette tendance par la mise en oeuvre du découplage, c'est-à-dire la suppression des prix garantis. Je crains que cela ne cache en réalité l'affaiblissement du poids global des aides directes qui venaient en compensation de la baisse des prix.
On voit bien, finalement, que le poids de la France, dans une Union européenne à vingt-cinq, lorsqu'il s'agit de défendre la politique agricole commune au bénéfice de notre pays, diminue fortement.
Je ne pense pas que cette ouverture à pas forcés vers le marché mondial sauvera notre agriculture, d'autant que les Etats-Unis ne jouent toujours pas le jeu et qu'ils sont les premiers à protéger leurs agriculteurs. Céder à la pression du groupe de Cairns conduira à la faillite de notre agriculture.
Si nous ne réagissons pas, monsieur le ministre, sans vouloir pronostiquer une évolution catastrophique, de 590 000 agriculteurs aujourd'hui, nous aboutirons à 120 000 agriculteurs dans vingt-cinq ans.
Ils étaient 1 588 000 en 1970, 1 017 000 en 1988. Si vous suivez cette ligne, vous comprendrez que c'est la quasi-disparition des petites et moyennes exploitations qui nous attend à l'orée de ces vingt-cinq ans.
Les exploitations continuent de disparaître à la vitesse de 3 % ou 4 % l'an et la faiblesse du volume des aides à l'installation ne peut contrecarrer cette évolution. Nous avons distribué jusqu'à 13 000 dotations aux jeunes agriculteurs, en 1999 ; en 2002, nous en avons attribué à peine 6 000.
Cela conduit à une bipolarisation de l'espace agricole, dans un schéma déprise-intensification, qui n'est pas souhaitable pour notre pays en termes d'aménagement agricole.
On constate une diminution des surfaces cultivées : de 1988 à 2000, nous avons perdu plus de 740 000 hectares de surface agricole utilisée. De fait, les conséquences environnementales sont mal maîtrisées et le scénario catastrophe est toujours possible.
On constate une standardisation des territoires, des paysages et des produits. N'a-t-on pas atteint une rupture des équilibres en termes de perte de richesse de la biodiversité, par exemple dans les races, à travers l'érosion des sols, la diminution de la qualité des eaux et de celle des sols, notamment par la perte en humus de ces mêmes sols ?
Face à cette situation, monsieur le ministre, il est temps de réagir. On ne peut transformer 80 % du territoire de la France en vaste parc naturel, avec un développement de la friche agricole et de la forêt, qui couvrent déjà 30 % de la surface de notre pays. On doit pouvoir collectivement résister, casser le modèle intensif. Un autre scénario est possible.
Sinon, le consensus social et politique qui existe autour de nos agriculteurs depuis une quarantaine d'années va disparaître en raison de votre désengagement financier et réglementaire et conduire à une crise identitaire dangereuse pour la République.
On doit pouvoir faire une France agricole de haute qualité environnementale, dans le cadre de débats environnementaux pacifiés.
Favoriser une agriculture de proximité ou « bio », ou raisonnée, en imposant des règles environnementales plus strictes sur les phytos, par exemple, soutenir l'identité des terroirs avec des circuits courts, porter plus d'attention aux territoires dans leur diversité, par le développement des labels, des appellations d'origine contrôlée, par des contrats territoriaux plus soutenus, n'est-ce pas le meilleur moyen de lutter contre les délocalisations ? Je citerai l'exemple de la viande de bovin et d'ovin, mais, on le constate aujourd'hui, des achats de viande de lapin sont effectués en Chine.
Cette politique de labellisation serait aussi créatrice d'emplois et permettrait le développement d'une plus grande diversité de nos paysages et le maintien ou le développement des bocages, en particulier.
Je crois que l'agriculture est à la croisée des chemins. L'avenir est ouvert. Ce budget ne permet pas, pour le moment, d'emprunter ce nouveau chemin. C'est pourquoi je voterai contre.
Monsieur le ministre, prenez garde que la demande environnementale des consommateurs ne s'exprime demain avec davantage de force, dans un contexte politique mal maîtrisé. Le consommateur se montre de plus en plus vigilant et exigeant en matière de qualité. Il faut répondre à cette demande avec sérieux. En 2003, la consommation de produits sous label de qualité n'a représenté que 19 % de la consommation alimentaire des ménages français.
Tel est le pari fondamental que vous avez à relever. Aurez-vous la force et la volonté politique d'y répondre dans le cadre de la loi de modernisation agricole ?