Monsieur le ministre, c'est avec beaucoup d'intérêt que j'avais écouté la présentation faite par votre prédécesseur du projet de budget de l'agriculture. Que ce soit lors des débats à l'Assemblée nationale ou devant notre commission au Sénat, il a souvent plaidé pour un budget « en reconduction », selon ses propres termes, affirmant « qu'il est possible de lancer des actions nouvelles avec un budget en simple reconduction ».
Monsieur le ministre, vous semblez partager, et ce n'est pas une surprise, cette vision et cette analyse budgétaire. Mais notre agriculture ne peut pas, surtout en ce moment, se satisfaire de quelques actions prioritaires.
Même si l'on peut ne pas être d'accord sur les chiffres, il faut bien reconnaître qu'un budget traduit avant tout un choix politique.
Je ne reviendrai pas sur l'analyse globale des chiffres, car je conçois parfaitement que, lorsque les temps sont difficiles, on puisse parfois être tenté de maîtriser les dépenses. Mais je regrette que, cette année encore, le secteur agricole ne fasse pas partie des priorités nationales, malgré toutes les difficultés qu'il rencontre et sur lesquelles nombre de mes collègues, toutes tendances politiques confondues, ont insisté tout à l'heure.
Monsieur le ministre, comme l'avait dit votre prédécesseur, rien n'est plus menteur qu'un budget. Après avoir analysé les choix affichés pour 2005, je me permets de vous dire que je ne partage pas les orientations que vous souhaitez donner à notre agriculture.
En effet, si l'on examine ce budget attentivement, on s'aperçoit que de nombreux secteurs, qu'il s'agisse des services, de la régulation des marchés, de la gestion organisée et solidaire des crises et des calamités, de la solidarité générationnelle, de la réorientation vers une agriculture de qualité, durable et liée aux territoires, ou des contrôles pour la santé et la sécurité alimentaire, voient leurs crédits diminuer.
Je ne prendrai que quelques exemples.
Tout d'abord, comme en 2004, la baisse des crédits d'intervention des offices nationaux interprofessionnels se poursuit : ils diminuent de 39 millions d'euros, soit une baisse de 6, 2 %. Votre budget affaiblit donc encore une fois les politiques d'orientation économique ou de promotion des productions de qualité, dont notre agriculture a pourtant tant besoin.
Avec ce budget, l'OFIVAL et l'ONIFHLOR vont devoir se contenter des seuls accompagnements de crises et abandonner les mesures structurelles d'organisation du marché.
Vous proposez d'accompagner cette évolution en créant, d'une part, un organisme payeur autour de l'ONIC et de l'ACOFA et, d'autre part, trois offices sectoriels : végétal pour l'ONIC, l'ONIOL, et le FIRS ; animal pour l'OFIVAL et l'ONILAIT ; spécialisés pour l'ONIFLHOR et l'ONIVINS.
Ces offices joueront un rôle d'observatoire, de concertation et d'élaboration de statistiques, mais avec 250 emplois en moins à la clé !
Je regrette d'ailleurs que, sur un sujet aussi primordial, nous n'ayons pas beaucoup entendu les représentants de la profession. Peut-être étaient-ils, dans un premier temps, plus préoccupés par le maintien des conseils de direction par filière.
Cette évolution risque également de compromettre l'avenir agricole du CNASEA. Alors que la ligne de partage précédente existe toujours, l'ONIC étant le premier pilier de la PAC et le CNASEA, le second, vous proposez d'attribuer désormais toutes les aides à la surface à l'ONIC et les aides aux exploitations au CNASEA. Pourtant, nous savons bien que le paiement unique et les nouvelles aides de la PAC sont désormais essentiellement basés sur un critère de surface.
Monsieur le ministre, pensez-vous qu'il y ait encore un avenir pour le volet agricole du CNASEA, alors que l'on ne subventionne et que l'on n'instruit que quelques dossiers ? Les dotations d'installation aux jeunes agriculteurs, les contrats d'agriculture durable, les indemnités compensatrices pour handicap naturel et les primes herbagères agro-environnementales, toutes ces aides sont en baisse.
Il y va de l'avenir de 1 600 agents et des 500 agents sur les 1 000 travaillant dans les ADASEA et qui sont très inquiets.
Actuellement, le rapport entre l'agriculture, l'emploi et la formation professionnelle varie de 30 % à 70 %.
Envisagez-vous, monsieur le ministre, de réduire ces interventions au seul champ des affaires sociales, sous la tutelle de la Direction générale de l'enseignement et de la formation professionnelle, et comptez-vous maintenir un conseil d'administration paritaire entre la profession agricole et l'Etat ?
Si l'on peut comprendre, globalement, les économies d'échelle et les restructurations nécessaires, encore faudrait-il que celles-ci s'effectuent dans un réel souci d'efficacité, et non pas de simple gestion comptable.
Nous savons bien, monsieur le ministre, qu'une intervention publique volontariste peut compenser les désengagements européens. L'ouverture à la concurrence aura de graves conséquences pour beaucoup d'agriculteurs.
Malgré tout, vous ôtez encore des moyens aux filières, que vous souhaitez par ailleurs mieux structurées afin de répondre aux crises actuelles. Or cette restructuration, qui nécessite des besoins importants, est parfois vitale dans une région comme la mienne, la Bretagne, qui cumule actuellement tous les problèmes puisque ceux-ci concernent à la fois les productions avicole, laitière, légumière et porcine.
Non seulement vous renoncez à tenter de réguler les marchés agricoles, mais, en plus, il semble que vous souhaitiez accentuer la logique libérale du compromis de Luxembourg.
Pour ce qui est de la solidarité nationale et de celle de la profession face aux calamités agricoles, le fonds national de garantie des calamités agricoles, n'est pas doté, comme en 2003 et 2004, alors que les problèmes climatiques sont de plus en plus fréquents.
Certes, vous mettez en place l'assurance récolte. Mais outre le fait que cette mesure fait l'objet de nombreuses critiques de la part des assureurs, elle traduit, là encore, le choix qui est le vôtre : vous préférez à la solidarité ou à la mutualisation un dispositif privé d'assurances, subventionné pour le moment, mais forcément lourd de conséquences, à terme, pour nos agriculteurs les plus défavorisés. Nombre d'entre eux ne pourront pas faire le choix d'une assurance volontaire, notamment ceux qui se sont installés récemment.
Il faut également rappeler que les crédits du fonds d'allègement des charges, ceux du dispositif « agriculteurs en difficulté » et ceux qui sont accordés au titre de la multifonctionnalité sont en réduction : seulement 5 millions d'euros pour la ligne AGRIDIF, un soutien quasi homéopathique aux ICHN, un objectif des CAD en régression et un financement des PHAE qui passe de 133 à 121 millions d'euros.
Je citerai un autre exemple : la baisse des moyens dans le domaine de la santé publique vétérinaire, en ce qui concerne tant le financement des actions que le personnel, risque de remettre en cause l'avenir sanitaire de nombreux élevages et, à terme, la sécurité des consommateurs.
Dans plusieurs départements, les directions départementales des services vétérinaires n'ont même plus les moyens de faire analyser leurs prélèvements, mettant ainsi en danger la sécurité sanitaire des cheptels, mais également en difficulté financière des laboratoires publics départementaux.
Je pourrais prendre bien d'autres exemples, mais le temps me manque.
Je souhaite toutefois vous dire, monsieur le ministre, avant de conclure, combien je regrette l'abandon d'une politique volontariste en faveur de l'installation des jeunes, qui accuse une baisse de 5 %. Et ce n'est pas seulement un effet mécanique !
Certes, le nombre d'installations diminue de manière catastrophique. Mais doit-on considérer cette situation avec fatalisme et favoriser cette baisse, ou bien doit-on mettre en oeuvre une véritable politique ambitieuse, qui rende enfin attractives les professions agricoles et favorise davantage, et dans de meilleures conditions, les installations ?
L'avenir de nos territoires ruraux et, bien au-delà, celui de nombreuses régions, dont la mienne, dépendra d'une réelle ambition pour notre agriculture au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas en réduisant de façon drastique les aides aux associations oeuvrant pour le développement rural, qui sont en baisse de 49 %, que l'on risque de s'orienter vers un développement des territoires !
Ces réseaux associatifs ruraux contribuent fortement à l'implication de tous les citoyens, car ils favorisent les démarches participatives de développement durable dans l'agriculture, l'environnement ou l'animation socioculturelle. Ils sont le ferment de la vitalité de nos territoires.
Pour avoir assisté récemment aux premiers échanges qui ont eu lieu dans le cadre de la préparation de la future loi de modernisation agricole, je peux vous assurer que tous les participants, agriculteurs ou non, ont revendiqué cette nécessaire inclusion de l'agriculture dans la société et réaffirmé l'importance de tous ces lieux de débat et de rencontre pour la compréhension mutuelle.
En conclusion, monsieur le ministre, un budget en baisse ou stable n'est pas systématiquement un mauvais budget, à condition toutefois qu'il reflète une véritable ambition politique et qu'il permette de mener à bien les adaptations nécessaires.
Ce n'est pas le cas du vôtre, monsieur le ministre, car il ne répond nullement aux inquiétudes très fortes ressenties par le monde agricole.