J'en veux pour preuve la déclaration récente de la FNSEA, qui est généralement peu suspecte de vigilance excessive à l'égard de la majorité que vous représentez : « L'agriculture ne fait pas partie des priorités annoncées par le Gouvernement en 2005. » Pour une fois, cela ne manque pas de pertinence !
En tant qu'élu du département des Côtes-d'Armor, deuxième département agricole de France par la valeur de la production agricole, je suis particulièrement sensible, comme beaucoup de collègues ici, au rôle que jouent l'agriculture et l'agroalimentaire dans notre pays en termes d'emplois, d'exportation, de valeur ajoutée et, ce qui n'est pas secondaire, d'aménagement du territoire.
Notre agriculture, qui est certes l'un des points forts de notre économie, est aussi porteuse de quelques fragilités, que je voudrais souligner pour mieux éclairer l'examen du projet de budget.
Le premier risque, c'est la concurrence : concurrence qui nous vient de l'Europe élargie, concurrence qui nous vient d'un monde où l'OMC organise la dérégulation des échanges, concurrence qui est aggravée par des mutations technologiques.
Ayant eu l'occasion de travailler pendant quelque temps dans les laboratoires, j'ai appris, avec un peu d'effroi, que l'on était en train de préparer de nouveaux procédés pour conserver la viande fraîche pendant trois semaines, ce qui permettrait à la viande brésilienne ou à la viande argentine d'arriver directement en Europe non congelée.
Le deuxième risque, c'est l'émergence de nouvelles attentes de la société, de nouvelles exigences en matière d'environnement, de qualité alimentaire, de santé.
Cela me conduit à évoquer la sécurité alimentaire, sujet que j'ai eu l'occasion d'aborder voilà quelques mois au travers d'un rapport que m'avait confié l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques consacré à la qualité et à la sécurité alimentaires.
A la suite des contacts que j'ai eus avec les chercheurs et les industriels à l'occasion de l'élaboration de ce rapport, je vous livrerai quelques observations.
Première observation : notre système de production alimentaire et de contrôle de la sécurité est fiable. En effet, à l'heure actuelle, on ne compte plus, selon des statistiques validées par l'Institut de veille sanitaire, que quelques centaines de décès par an liés à des intoxications alimentaires, contre 15 000 dans les années cinquante.
Seconde observation : malgré l'efficacité du système, des crises sont toujours possibles. Elles sont coûteuses et dévastatrices, ainsi qu'en témoigne la récente crise de la « vache folle ».
A cet égard, je voudrais appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que des risques nouveaux apparaissent. Ceux-ci sont liés aux effets indirects des médicaments vétérinaires sur la chaîne alimentaire, à l'emploi de molécules toxiques pour traiter les végétaux - chacun a en mémoire l'affaire du Régent et celle du Gaucho -, aux mutations génétiques des bactéries et des virus, qui induisent des antibiorésistances chez l'homme, enfin à la croissance des importations qui multiplie les risques, un quart du contenu de notre assiette comportant des produits importés.
Cela me conduit à la conclusion que la sécurité alimentaire n'est jamais définitivement acquise et que nous avons le devoir de ne pas baisser la garde.
Dans cette perspective, je souhaite évoquer la question des moyens alloués à l'AFSSA pour préserver la qualité et la sécurité alimentaires.
L'AFSSA a fait la preuve de son efficacité et apparaît comme une référence dans l'espace européen. J'ai eu l'occasion, dans le passé, de rédiger quelques rapports sur cette agence, et j'en prépare un autre actuellement. Or l'examen de votre projet de budget, monsieur le ministre, m'amène à affirmer que l'Etat prend aujourd'hui des risques réels avec la sécurité et la santé des Français, à l'heure où de multiples menaces se font jour.
En effet, les crédits inscrits au projet de budget pour l'AFSSA, d'un montant global de 65 millions d'euros, accusent une baisse de 536 000 euros par rapport à 2004, du fait de la réduction des subventions de l'Etat. L'équilibre financier de l'agence n'est obtenu que par des artifices dangereux : un prélèvement de 600 000 euros sur le fonds de roulement et un autre de 400 000 euros sur la section d'investissement. Cet organisme scientifique sera obligé de ramener de 6 millions d'euros à 4 millions d'euros le montant de ses investissements, en partie au détriment des acquisitions de matériels scientifiques. Il obère donc gravement sa capacité d'expertise pour l'avenir.
Ces analyses financières me confortent dans ma conviction que, sur ce point, le projet de budget n'est pas à la mesure des responsabilités de l'Etat, non seulement parce qu'il ne permettra pas à l'agriculture française de tenir son rang, mais aussi parce qu'il amènera une dégradation de la sécurité alimentaire, à laquelle nos concitoyens sont légitimement attachés.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, puisque vous venez d'arriver dans ce beau ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, je me permettrai de vous remettre un rapport qui est paru voilà quelques mois et qui a été approuvé à l'unanimité par les membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : peut-être contribuera-t-il à ce que vous vous forgiez la conviction qu'il faut donner à l'AFSSA et à tous les organismes chargés d'assurer la sécurité alimentaire les moyens dont ils ont besoin.