Intervention de Jean Boyer

Réunion du 30 juin 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean BoyerJean Boyer :

Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a été – reconnaissons-le – considérablement modifié à l’Assemblée nationale.

Peut-être l’a-t-il été même un peu trop puisque le projet de loi initial comptait 44 articles et que le texte transmis au Sénat en comprend 122 !

Les députés avaient dénoncé le caractère hétéroclite des mesures qui sont proposées. Il y a eu inflation, mais c’est aussi cela la démocratie !

Reconnaissons que ce texte s’apparente désormais quelque peu à un inventaire à la Prévert pouvant prêter à sourire : des voitures de petite remise au câblage à très haut débit du territoire, même s’il s’agit de mesures très importantes, en passant par l’urbanisme commercial, le statut de l’auto-entrepreneur, sans oublier le livret A et la modernisation de la place de Paris, il est bien malaisé de s’y retrouver !

Je sais, madame le ministre, qu’il est facile de critiquer et plus difficile d’agir pour se rapprocher de l’idéal.

Vous nous proposez donc aujourd’hui de moderniser l’économie. C’est un objectif ambitieux. À vrai dire, nous l’avons déjà fait plusieurs fois au cours des dernières années, notamment si l’on en croit les intitulés des lois qui nous ont été soumises.

Nous assistons à une accélération et à une inflation législative sur le problème des relations commerciales et nous ne laissons pas aux mesures que nous avons adoptées le temps de faire leur effet. C’est un point important.

Je pense notamment à la loi Chatel, que nous avons discutée en décembre dernier et dont l’application a réellement débuté en mai. Cette situation crée un climat d’insécurité juridique dont les plus petits des acteurs économiques, ceux que justement nous essayons de protéger, sont les premiers à pâtir.

Le pouvoir d’achat est la première et légitime priorité des Français, mais nous ne sommes pas maîtres de tous les paramètres. Ce texte apporte un certain nombre de réponses, promeut des initiatives dont seule la mise en œuvre permettra de vérifier le bien-fondé. Je pense notamment à la négociabilité des conditions générales de vente, ainsi qu’à la libéralisation, poussée un peu loin à notre goût, de l’urbanisme commercial.

Nous regrettons que le Gouvernement ne nous ait pas laissé suffisamment le temps de mener nos travaux de législateur avant de commencer sa campagne de communication sur le thème du pouvoir d’achat, alors que cette thématique sous-tend le titre II de ce projet de loi.

Il est en de même des annonces sur le kit de l’auto-entrepreneur, ce nouveau statut qu’il est proposé de créer à travers ce projet de loi, mais qui n’est pas encore adopté. Il est indispensable, alors que la réforme des institutions nous promet un Parlement aux pouvoirs renforcés, de respecter la navette parlementaire et le bicamérisme.

Le Sénat a son mot à dire et le texte que nous examinons est encore grandement perfectible. Nous regrettons donc la déclaration d’urgence et l’examen précipité de ce projet de loi, qui plus est en session extraordinaire. Madame le ministre, ce texte aurait pour le moins mérité deux lectures, vu la variété des thématiques abordées.

Nous regrettons également le large recours aux ordonnances, d’autant plus qu’il s’agit de réformes d’ampleur. Certes, les domaines traités sont techniques, mais ce n’est pas ce critère qui doit être pris en compte. Ou nous sommes dans le domaine de la loi, ou nous n’y sommes pas. Le texte que nous examinons aujourd’hui est lui-même très technique, mais, nous, sénateurs, comme les députés, sommes prêts à en aborder les difficultés.

Au demeurant, ce texte apporte de réelles avancées, il faut le reconnaître.

Le titre Ier, consacré à la mobilisation des entrepreneurs, est crucial. L’auto-entrepreneur bénéficiera désormais d’un régime simplifié et libératoire de prélèvement.

La protection du patrimoine est renforcée. Les députés ont notamment adopté des amendements permettant l’insaisissabilité de l’immeuble à usage mixte pour les artisans et les professions libérales et prorogeant cette insaisissabilité jusqu’au décès du conjoint survivant. Nous proposons de compléter ce dispositif en l’étendant aux logements sociaux en accession à la propriété.

En matière de délais de paiement également, ce projet de loi représente des avancées importantes. Je me félicite du plafonnement prévu par le projet de loi, qui ramène la France dans la moyenne européenne.

L’article 6 du projet de loi préserve également, à titre transitoire, un minimum de souplesse, afin de laisser aux secteurs à rotation de stock lente le temps de s’adapter. Il est indispensable, madame le ministre, que l’État adopte également un comportement exemplaire en la matière, ce qui n’est pas acquis pour l’instant.

L’article 6 bis, adopté par les députés, complète utilement le dispositif. Les commissaires aux comptes auront désormais l’obligation de transmettre une information sur les pratiques des entreprises en matière de délais de paiement. Cette publicité autour des délais de paiement, notamment des grands groupes de distribution vis-à-vis de leurs petits fournisseurs, ne peut qu’avoir des effets incitatifs positifs et faire évoluer les comportements plus rapidement qu’un régime purement répressif.

J’attire cependant votre attention sur l’article 14, qui tend à supprimer le recours obligatoire aux commissaires aux comptes pour les petites sociétés par actions simplifiées, de même que l’obligation de disposer d’un capital minimum et celle de publier chaque année les droits de vote.

Les sociétés par actions simplifiées étaient jusqu’à présent dans l’obligation de faire systématiquement certifier leurs comptes. Ce n’est plus vrai avec ce projet de loi. Structure juridique créée pour les entreprises à haut potentiel de développement, les sociétés par actions simplifiées bénéficient déjà d’une plus grande liberté de fonctionnement. Or, en les faisant sortir du champ d’application de la certification des comptes, vous les ferez échapper à la procédure d’alerte, qui favorise la prévention des difficultés des entreprises ainsi qu’à la procédure de révélation des faits délictueux.

C’est la raison pour laquelle nous proposons deux amendements visant à adapter le projet de loi en permettant aux entreprises artisanales de moins de dix salariés d’être exclues du champ de la certification, tout en maintenant l’obligation pour toutes les entreprises plus importantes et surtout toutes les filiales.

Ce projet de loi porte également les prémices d’un Small Business Act à la française, pour employer un terme américain qui qualifie les dispositions d’une loi votée en 1953. Les États-Unis étaient, à cette époque, des précurseurs en matière de défense des petites et moyennes entreprises. Les centristes avaient défendu une position volontariste sur cette problématique. Nous avons donc déposé un amendement reprenant nos propositions.

Nous savons qu’il ne répond pas aux contraintes européennes et internationales. Il s’agit d’un amendement d’appel visant à conforter le Gouvernement dans sa volonté de faire du Small Business Act européen un des points forts de la présidence française de l’Union européenne et, plus encore, lors des négociations internationales qu’il faudra mener sur cette question, à lui indiquer où nous souhaitons placer le curseur.

En ce qui concerne le déploiement du très haut débit en fibre optique, le texte est positif mais reste, malgré tout, un peu timide. Il s’agit de l’un des chantiers des années à venir, pour nos concitoyens et pour les entreprises. Le très haut débit s’appuie en effet sur des réseaux entièrement nouveaux.

La fibre optique constitue ainsi un enjeu économique et financier considérable, comparable au déploiement du téléphone dans les années soixante-dix. Nous devons être extrêmement vigilants pour que le déploiement du très haut débit ne soit pas limité aux seules zones urbaines et donc rentables. Il y aurait là un risque majeur de nouvelle fracture numérique et donc de concurrence accrue entre territoires. Les territoires ruraux, dont je suis un élu, ne demandent pas de privilèges particuliers mais ils souhaitent simplement une parité, y compris une parité technique.

Chacun doit avoir un droit d’accès au numérique, avec des réseaux bien dimensionnés et équitablement répartis. N’oublions pas que 3 % des foyers, répartis sur 20 % du territoire, demeurent non éligibles au haut débit.

En tant que représentants des collectivités locales, nous nous devons d’être extrêmement vigilants sur le déploiement du très haut débit. Les sommes qu’il faudra y consacrer sont colossales, et je ne vois pas comment, à l’heure actuelle, des opérateurs privés pourraient s’intéresser aux zones rurales qui ne sont pas rentables.

C’est pourquoi les amendements de mon collègue et ami Claude Biwer instituant un fonds dédié à l’équipement très haut débit sur le territoire constituent un apport très positif. On voit, là aussi, les hommes de bon sens.

Je me félicite également de l’amendement adopté par les députés permettant l’itinérance locale sur les zones grises, ce qui permettra de réduire les inégalités en matière de téléphonie mobile.

Enfin, je terminerai mon intervention en évoquant la réforme de l’urbanisme commercial proposée par ce texte.

Il est vital pour les zones rurales de préserver les petits commerces. Alors que la population vieillit et est de moins en moins mobile, que le coût du carburant incite à calculer chaque kilomètre parcouru, il est indispensable de garder des commerces de proximité.

Les amendements adoptés par les députés qui permettent au maire de saisir l’autorité de la concurrence ou de préempter des terrains pour empêcher le développement de nouvelles moyennes et grandes surfaces vont dans le bon sens.

Il en est de même de la disposition permettant aux maires des communes de moins de 15 000 habitants de saisir la commission départementale d’aménagement commercial pour les nouveaux projets d’implantation de magasins de 300 à 1 000 mètres carrés.

Le groupe UC-UDF propose d’autres amendements visant à sécuriser le dispositif mis en place à travers ce projet de loi. Notre législation en matière d’urbanisme commercial repose sur des équilibres qui sont remis en cause par ce projet de loi. Si le renforcement de la concurrence entre enseignes de la grande distribution est une mesure de bon sens, il ne faut pas qu’elle se fasse au détriment du petit commerce et des petits fournisseurs des centrales d’achat.

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