L’emploi du terme « modernisation » dans l’intitulé du projet de loi ne suffit malheureusement pas à garantir que le texte ira véritablement dans ce sens. En fait, comme je viens de le dire, ce projet de loi participe du phénomène d’empilement des textes législatifs dont nous n’avons pas pu encore mesurer les effets tout en créant pour les entrepreneurs une véritable insécurité juridique.
Lors des auditions de la commission spéciale, toutes les organisations représentatives des petites entreprises – les chambres consulaires, l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, la Confédération nationale de l’artisanat, des métiers et des services, la CNAMS, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la Fédération française du bâtiment – nous ont alertés sur les conséquences que pourraient avoir les dispositions de la loi de modernisation de l’économie. Toutes nous ont demandé de ne pas adopter ces mesures.
Il ne faut pas confondre simplification et déstructuration et, sous ce motif, créer la loi de la jungle. J’en veux pour preuve ces propos : « Avec le projet de nouveau statut d’auto-entrepreneur, c’est un voyage dans le passé qui nous est proposé. Nous avons cru que nous pourrions éradiquer la misère en construisant notre avenir sur la qualification des hommes et des femmes, et que le monde des journaliers, des colporteurs, des tâcherons et autres petits métiers appartenait définitivement à une autre époque. Et voilà qu’il revient par la magie d’une loi dite de modernisation de l’économie, qui nous ramène au début de la révolution industrielle.
« Nous avons cru aux discours sur l’entreprise, nous avons cru à sa citoyenneté, nous avons cru à l’élévation des individus par la formation. […] Or chacun va pouvoir travailler, quelques heures par jour, pour payer sa misère.
« De toute façon, ce n’est pas grave, car, grâce à la libéralisation totale de la grande distribution, les nouveaux auto-entrepreneurs pourront remplir leur panier pour trois sous. […] Resteront sur le carreau les petites entreprises avec des hommes et des femmes qui auront cru que le travail de qualité et l’acquisition de savoir-faire pouvaient libérer leurs horizons et les faire rêver à un avenir heureux. »
Ces propos sont de M. Pierre Perez, président de la CNAMS. Ne sont-ils pas éloquents ?
Cette situation d’auto-entrepreneur peut permettre une insertion sous certaines conditions, mais en aucun cas, elle ne saurait être pérennisée. La création de ce statut créera en effet une grave distorsion de concurrence pour les entreprises artisanales et les petits commerçants et permettra à chacun de se mettre à son compte – d’ailleurs, quel compte ? – et d’exercer une activité indépendante en plus de son activité principale, sans immatriculation, sans frais, sans qualification professionnelle, sans assurances, sans comptabilité et, surtout, sans aucune sécurité pour le consommateur ! En d’autres termes, ce statut légalisera le travail au noir !
Madame la ministre, il existe des moyens de lever les difficultés actuelles pour permettre à des professionnels d’exercer une activité. Il est par exemple possible de mieux utiliser le chèque-emploi service, dont il faut améliorer le fonctionnement, afin de répondre aux préoccupations que vous avez invoquées pour justifier le statut de l’auto-entrepreneur.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre création d’entreprises et création d’activité.
Les conséquences des échecs seront graves : elles le seront pour tous les tiers des entreprises, pour les chefs d’entreprises eux-mêmes, car ils ne seront pas accompagnés, et pour l’équilibre de l’économie en général.
Vos mesures conduiront des centaines de personnes à la misère. Je vous le demande : soyez raisonnable, abandonnez ce projet de loi qui n’est demandé par personne et qui est tellement éloigné de la réalité du terrain économique et local dont les élus des collectivités sont les meilleurs connaisseurs, quand ils n’en sont pas d’ailleurs les acteurs.
Le Président de la République avait promis aux Français d’accroître leur pouvoir d’achat. La politique menée par le Gouvernement me semble aller dans la direction opposée.
Ainsi, après les mesures fiscales de la loi TEPA favorisant les Français les plus aisés, chaque projet de loi apporte sa pierre à un édifice de déréglementation généralisée. Le résultat est sans appel, nous l’avions d’ailleurs prévu dès les premiers textes : les inégalités sociales se creusent de plus en plus. J’ai rencontré ce matin, dans ma permanence, des responsables du travail social – Restos du cœur, Secours catholique, Secours populaire… Ils m’ont dit qu’ils étaient complètement débordés ! Depuis trois ou quatre ans, le problème s’aggrave considérablement.
Même la progression du pouvoir d’achat en 2007 a été immédiatement annulée par l’augmentation des dépenses contraintes – énergie, pétrole, logement –, et ce sont l’ensemble des classes modestes et moyennes qui la subissent le plus durement. Nous ne pouvons alors qu’être inquiets à la lecture de la note de conjoncture de l’INSEE pour le mois de juin, qui prévoit un ralentissement, voire sur une stagnation du pouvoir d’achat pour 2008. Les hausses des prix de l’alimentation et de l’énergie notamment ne suivront malheureusement pas cette évolution. C’est maintenant qu’un projet économique ambitieux et efficace aurait pu trouver toute sa place ; nous étions prêts à en discuter raisonnablement ! Il semblerait toutefois qu’un autre objectif soit visé, et il n’est pas anodin de constater la satisfaction du MEDEF et des grands groupes commerciaux.
Laurence Parisot estime en effet que, face à la flambée des prix des produits alimentaires, pour arriver « au prix vrai », il faut « créer les conditions d’une concurrence totale, libre, les conditions d’une négociation la plus libre possible entre fabricants, fournisseurs et distributeurs ».
Permettez-moi de rappeler cette formule de Lacordaire – cela va nous rajeunir : « Entre le fort et le faible, c’est la loi qui protège et la liberté qui opprime. »