À écouter certains, le circuit actuel de financement du logement serait obsolète et ne répondrait plus aux exigences du temps. Le taux actuel de rémunération du livret A serait même un obstacle pour proposer aux organismes d’HLM des prêts tels qu’ils faciliteraient une construction peu coûteuse.
Outre qu’il en faudrait sans doute bien plus pour que les coûts de construction des logements sociaux neufs entrent dans le cadre fixé par le plafonnement des loyers, une telle affirmation laisse songeur ! Ne sont-ce pas, en effet, des gouvernements appartenant à l’actuelle majorité qui ont largement défiscalisé les investissements immobiliers privés et encouragé les ventes à la découpe, favorisant par là même la spéculation immobilière effrénée ? Comment, alors, pouvez-vous parler d’un « taux anormalement élevé du livret A » ? N’est-ce pas vous qui avez transformé la politique d’accession sociale à la propriété en crédit d’impôt pour les établissements de crédit distribuant des prêts complémentaires à taux zéro, le principal étant le plus souvent constitué par un prêt à taux variable qui a tout du subprime à la française ?
Une fois de plus, l’État fait un cadeau généreux aux entreprises privées, sans avoir la moindre garantie qu’il y gagnera quoi que ce soit en retour. Vous vous en remettez à leur bon vouloir, à l’espoir, à la croyance que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes et que cela sera en fin de compte bénéfique pour notre économie.
Or le rôle de l’État n’est pas de prendre ce genre de risques avec l’argent public, qui est le bien commun des Français. Son rôle est de garantir la meilleure gestion de cet argent, au profit du plus grand nombre.
Et au profit de qui va se faire cette modernisation? Qui va bénéficier de ces cadeaux, sans avoir à faire preuve de patience ?
Certes, dans ce « moderne » magma de mesures, on peut déceler quelques points positifs, comme la volonté de développer la fibre optique – bien que ce développement soit, là encore, laissé au bon vouloir des opérateurs et à la sacro-sainte concurrence –, l’élargissement du rescrit social ou le recours élargi à des organismes du type OSEO pour encourager la recherche industrielle, mais ils ne sont pas suffisants pour faire de ce « blob » une construction solide et efficace.
À qui fera-t-on croire, par exemple, que, du jour au lendemain, les grands groupes de la distribution feront une croix sur une partie de leurs marges en payant plus rapidement qu’aujourd’hui leurs fournisseurs et en traitant avec eux de manière équitable ?
Si, demain, avec ce texte, Carrefour ou Auchan, ou même Leclerc, doivent payer plus vite leurs fournisseurs, ils exigeront immédiatement de ces derniers des conditions de prix encore plus difficiles à tenir, transformant leur défunte « marge arrière » en ristournes et remises diverses de montant équivalent. Il ne restera plus, dès lors, aux fournisseurs des grandes chaînes de distribution qu’à adapter leurs coûts de production aux nouvelles conditions de prix faites par ces clients si particuliers. Et ce sont, en dernière instance, les salariés des secteurs de l’agroalimentaire, de la production de biens de consommation, qui paieront la facture !
S’agissant des mesures d’incitation fiscale que vous proposez dans ce texte, se pose la question de l’égalité devant l’impôt des différents revenus catégoriels.
C’est une véritable zone franche fiscale, une validation de la fraude fiscale qui se profile derrière les articles relatifs à la fiscalité des entrepreneurs individuels, de même qu’une distorsion manifeste de concurrence entre entrepreneurs, selon la date du démarrage de leur activité.
Il s’agit, là encore, de développer une vision purement idéologique de la société, où l’on fait croire que l’esprit d’entreprise, l’audace économique et le risque financier sont l’alpha et l’oméga de la réussite individuelle, comme de l’économie du pays.
Comment ne pas noter que cette vision, selon nous dogmatique, se double d’une nouvelle mise à contribution du budget de l’État, au travers des allégements d’impôt sur le revenu, par exemple, ou des comptes sociaux, au travers d’allégements de cotisations sociales, pour financer des mesures assez proches, dans leur essence, de dispositifs déjà mis en œuvre dans le passé – loi Madelin, loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire de 1995, dite loi Pasqua, loi Dutreil pour l’initiative économique, loi en faveur des petites et moyennes entreprises de 2005 – et dont l’efficacité, en bien des domaines, n’a pas été validée par la moindre évaluation, ainsi que plusieurs collègues l’ont rappelé avant moi ?
Je rappellerai à cet égard que la franchise d’ISF liée à la participation du contribuable à un pacte d’actionnaires, mesure contenue dans la loi Dutreil, n’a, quatre ans et demi après sa promulgation, séduit que 2 % des contribuables de cet impôt.
Un examen approfondi du texte fait apparaître, à défaut d’une authentique logique, un fil conducteur : votre foi sans limite dans le dogme libéral, auquel vous vous en remettez entièrement, sans aucune nuance, une foi qui ne tolère pas les sceptiques, dont je suis.
Le secteur de l’économie de l’immatériel, où, par définition, les facteurs de production sont eux-mêmes immatériels et qui n’a d’autres coûts que le temps et l’intelligence, peut être à la source de profits considérables – une véritable manne ! – si l’on s’approprie une idée et qu’on dénie à tout autre le droit de l’utiliser sans avoir à payer. Or, par le biais d’une modification de la législation sur les brevets, vous remettez en cause un principe fondateur de la République française : le bien commun. Pis, vous ouvrez la porte à la possibilité de breveter un usage et non un principe, ce qui est susceptible de rapporter énormément d’argent, mais aussi de provoquer une catastrophe au regard de l’évolution des connaissances ; mon collègue François Autain y reviendra au cours de la discussion.
L’évolution des connaissances ne peut se faire sans partage de celles-ci, sans qu’elle soit appropriée par le plus grand nombre, de manière à la faire grandir. Modifier ces principes, c’est mettre l’évolution humaine entre les mains des entreprises, qui ne céderont la connaissance que sous conditions. Est-ce là la modernité dont vous vous gargarisez tant ?
La « modernisation de notre économie » consiste-t-elle aussi à proposer aux chômeurs et aux travailleurs à faibles revenus de travailler encore plus, en prenant plus de risques, par le biais de l’auto-entreprise ?
Que sera cette « auto-entreprise » après que vous aurez augmenté de façon insupportable les contraintes pesant sur les chômeurs avec votre « offre raisonnable d’emploi », présentée comme une alternative, mais qui n’est en réalité qu’un choix entre la peste et le choléra : se faire radier des ASSEDIC ou être auto-entrepreneur, sans pouvoir être sûr d’avoir les moyens de se verser un réel salaire ?
Comment ne pas penser qu’il s’agira là, une fois de plus, d’un cadeau aux grandes entreprises, qui, plutôt que d’avoir à assumer les charges d’un salarié, pourraient lui demander d’être une entreprise « externe » ?
De plus, quelle est la garantie d’effet bénéfique de ce dispositif sur l’économie française, sur la croissance, alors que la plupart de ces nouvelles très petites entreprises ne survivent pas plus de quatre ans ?
Enfin, malgré la croissance exponentielle du nombre d’articles de ce projet de loi – le texte initial, présenté à l’Assemblée nationale, en comptait quarante-quatre, et celui que nous avons aujourd’hui à examiner en compte plus de cent vingt –, nous devons noter l’absence de l’« action de groupe », maintes fois promise au consommateur et une fois encore reportée.
En revanche, le recours presque systématique aux ordonnances et aux décrets d’application, même réduit par notre commission spéciale, n’a pas été oublié ! Cela ressemble à une fuite en avant.
Les quelque cent cinquante amendements déposés par la commission spéciale avant la séance semblent confirmer cette tendance lourde.
Il nous apparaît que nombre de dispositions répondent à des demandes précises émanant de grandes entreprises : j’en veux pour preuve un amendement en faveur de Numéricable, un autre en faveur d’Auchan, de Leclerc et de Carrefour, pour ne citer que ceux-là.
On peut donc se poser la question : pour qui a été fait ce texte ?
Certainement pas pour les agents contractuels de droit local du ministère des affaires étrangères ! Certainement pas pour les salariés de RFI, soumis aux économies de structure par le plan Benamou-Levitte ! Certainement pas pour les fonctionnaires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, appelés à voir leur mission de service public diluée dans l’activité de la nouvelle autorité de la concurrence ! Certainement pas, non plus, pour les agents de l’INSEE, dont l’indépendance professionnelle et l’objectivité vont être mises en cause par une nouvelle autorité, qui n’a d’autre raison d’être que de fournir au Gouvernement les statistiques dont il a besoin pour promouvoir sa politique ! Encore moins pour les fonctionnaires de la Caisse des dépôts et consignations, dont l’entreprise va voir ses missions dévoyées au profit de la loi d’airain des marchés financiers ! Pas davantage pour les agents de La Poste, dont l’entreprise va être confinée au rôle de « banque des pauvres » ! Et je ne parle pas des 4 500 emplois qui vont être supprimés dans le réseau des Caisses d’épargne ni des milliers de licenciements qui devraient frapper, sous prétexte d’allégement des contraintes des entreprises, le secteur de l’expertise comptable et du commissariat aux comptes.
Alors, pour favoriser quels intérêts ce projet de loi a-t-il été élaboré ? Ceux de tous les consommateurs, donc l’intérêt commun, ou bien les intérêts de quelques grandes entreprises, qui, jusqu’à présent, ne se sont d’ailleurs pas signalées par leur politique en faveur de l’emploi et de la revalorisation des salaires ?