Intervention de Claude Biwer

Réunion du 30 juin 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Claude BiwerClaude Biwer :

Ce projet de loi est très ambitieux. Mais, lorsqu’on se préoccupe du devenir économique de son pays et de son peuple, on a le droit et même le devoir d’être ambitieux. Il ne vise ni plus ni moins qu’à favoriser l’esprit d’initiative, à dynamiser la concurrence au service des consommateurs et de leur pouvoir d’achat, à favoriser les investissements étrangers en France et à moderniser les instruments de financement de notre économie.

Je voudrais, en second lieu, remercier notre collègue Gérard Larcher d’avoir présidé avec brio le groupe de travail qui a préfiguré l’actuelle commission spéciale, et auquel j’ai eu l’honneur de participer. Nous avons procédé à plus de quatre-vingt-dix auditions de personnalités du monde économique, social et associatif, qui nous ont permis d’aller vraiment au fond des choses et d’être parfaitement éclairés sur les avantages et éventuels inconvénients des mesures aujourd'hui proposées à notre vote.

J’espère que ce texte permettra de changer profondément le visage économique de notre pays et qu’il le fera entrer par la grande porte dans l’économie du xxie siècle, en comblant les retards que nous avons accumulés, lesquels ont, à certains égards, altéré notre compétitivité.

Mon intervention portera plus particulièrement sur les relations commerciales, mais je souhaite tout de même rappeler, dans la mesure où le projet de loi est également consacré aux entreprises, une évidence qui a été particulièrement mise en lumière par les auditions des représentants de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et du ministère allemand chargé des PME.

Les premiers ont ainsi jugé regrettable que la France, depuis 1945, ait privilégié le développement des TPE et des grands groupes au détriment de celui des PME.

Comme pour leur faire écho, les seconds ont rappelé les points suivants : les PME allemandes sont au nombre de 4 millions ; les facteurs essentiels du succès économique sont la technologie, le financement des entreprises et la motivation des entrepreneurs, l’absence de seuils décourageant ces derniers de faire croître leurs affaires ; les PME ont besoin non pas d’un soutien permanent des pouvoirs publics, mais plutôt d’un cadre favorable à l’exercice de la liberté d’entreprendre, que la présence dans une société d’un grand nombre d’administratifs est souvent un facteur de passivité, comme l’a indiqué tout à l’heure en d’autres termes notre collègue Nathalie Goulet.

Je crois que l’Allemagne a pleinement profité de l’abandon des principes selon lesquels on peut faire mieux en travaillant moins, selon l’expression qu’ont employée les personnalités que nous avons entendues.

J’ajouterai que le système d’apprentissage industriel est, en Allemagne, un modèle du genre que nous n’arrivons toujours pas à égaler. Habitant d’une commune très proche de la frontière allemande, j’ai souvent l’occasion de faire des comparaisons. Or je trouve parfois décevantes les méthodes que nous avons retenues pour avancer, en particulier dans ce domaine.

Le titre II du projet de loi a pour ambition de mobiliser la concurrence comme nouveau levier de croissance. À cette fin, le Gouvernement propose une nouvelle étape dans la réforme des relations commerciales, souhaite développer la concurrence dans le secteur du commerce et crée une Autorité de la concurrence aux pouvoirs renforcés.

En l’espace de trois ans, nous avons voté deux lois modifiant les relations commerciales : la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel. À présent, nous nous apprêtons à adopter de nouvelles mesures visant à introduire davantage de concurrence dans les relations commerciales.

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, j’approuve pleinement votre démarche, et je ne manquerai pas de voter les diverses dispositions de votre projet de loi. Je crains toutefois que, nonobstant la sophistication des mesures que nous allons adopter et la mise en place d’une véritable Autorité de la concurrence, le profond déséquilibre qui prévaut entre la grande distribution et ses cinq surpuissantes centrales d’achat, d’une part, les PME, les coopératives agricoles et les petits producteurs, d’autre part, ne perdure.

Disons-le franchement, malgré la loi Royer de 1975, censée protéger le petit commerce pour répondre au mécontentement relayé à l’époque par le CID-UNATI, nous avons en France la plus grande concentration de grandes surfaces de toute l’Europe.

La loi dite Raffarin, qui rendait plus difficile les implantations commerciales a, contrairement au souhait de son auteur, je n’en doute pas, à peine ralenti les implantations commerciales. Ainsi, en Lorraine, pour la seule année 2007, les commissions départementales d’équipement commercial, CDEC, ont autorisé la création de 1 553 533 mètres carrés supplémentaires de surfaces commerciales. Elle a, surtout, figé la situation au profit des enseignes déjà installées, gêné l’implantation du sans pour autant ralentir la désertification commerciale des centres-villes, spécialement en ce qui concerne les commerces de bouche.

Au cours de l’une de nos auditions, nous avons eu confirmation de ce que nous constatons tous les jours dans nos régions : de plus en plus, les commerces de centre-ville sont remplacés par des agences bancaires, des cabinets d’assurance, des agences immobilières, voire des salons de coiffure. Comment voulez-vous maintenir une animation et une attractivité commerciale en centre-ville ou en centre-bourg avec ce type d’offre commerciale ?

Par ailleurs, reconnaissons que, malgré toutes les lois que nous avons votées depuis plus de trente ans, malgré toutes les réglementations successives, les relations commerciales entre producteurs et grande distribution ne se sont pas équilibrées.

Il faut évidemment faire la différence entre les grands groupes industriels et les PME.

En effet, quelle que soit la puissance d’une centrale d’achat, elle ne peut pas, en réalité, se passer de certains produits de marque, sauf à voir sa clientèle fuir vers la concurrence, lorsqu’elle existe.

En revanche, malheur aux responsables d’une PME qui doivent passer sous les fourches caudines du représentant d’une centrale d’achat ! L’entreprise devra, tout d’abord, payer pour être référencée. Autrement dit, avant de livrer la moindre marchandise, elle devra payer un ticket d’entrée. Elle devra, ensuite, consentir un rabais maximal, figurant ou non sur la facture. Et, si elle ne s’exécute pas, elle ne sera pas ou plus référencée, ce qui est souvent catastrophique pour ce genre d’entreprise. Puis, on lui demandera de payer pour figurer correctement dans les linéaires ; à défaut, ses produits se retrouveront hors de la vue immédiate des consommateurs. Évidemment, on lui demandera aussi de payer encore plus cher pour figurer en tête de gondole. On lui demandera, surtout, de payer pour la mise en place et le réassort de ses produits, opérations qui relèvent pourtant de la responsabilité du distributeur. Enfin, on lui demandera de financer des opérations promotionnelles du style « trois produits pour le prix de deux », voire l’anniversaire de l’ouverture de l’hypermarché ou du supermarché:

Je crois pouvoir dire, sans exagérer, qu’en certaines circonstances, pour un produit considéré, il arrive que le coût de la « coopération commerciale » soit supérieur à celui dudit produit !

Cet état de choses m’avait conduit à déposer sur le bureau du Sénat une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le rôle des centrales d’achat dans la fixation des prix à la consommation et les délocalisations d’entreprises. Je regrette qu’elle ne soit pas venue en discussion, tout en reconnaissant que le texte que nous examinons aujourd’hui nous permet d’aborder très largement ce sujet.

Ces mauvaises pratiques ont, en effet, eu une autre conséquence : pressurées de toutes parts par les centrales d’achat, les entreprises françaises ont de plus en plus délocalisé leur production afin de demeurer compétitives. C’est ainsi que près de la totalité du textile vendu en grande surface provient, soit des pays d’Europe de l’Est, soit d’Asie.

Si toutes ces mauvaises pratiques avaient eu pour conséquence de faire véritablement baisser les prix et de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, elles seraient partiellement excusables. Malheureusement, il n’en est rien, et nos compatriotes constatent tous les jours la hausse des prix des produits de grande consommation dans les grandes surfaces. Ils subissent aussi la hausse des prix des fruits et légumes, à peine plus compétitifs que ceux qui sont pratiqués sur les marchés.

Si les producteurs souffrent des pratiques commerciales agressives des centrales d’achat et si les consommateurs ne bénéficient pas de prix bas, cela veut bien dire que la grande distribution empoche la différence. Et l’on comprend mieux, alors, les fortunes accumulées par les groupes qui sont à la tête de ces enseignes !

Je crois donc que le Gouvernement a raison de vouloir développer une « saine » concurrence et de ne pas laisser perdurer la « fausse » concurrence qui prévaut actuellement. Lorsqu’un consommateur se rend dans des magasins Champion, Ed, Dia, Proxi, 8 à 8, Shopi, il ne sait sans doute pas qu’ils relèvent tous du groupe Carrefour! Et il en va de même pour les autres grands de la distribution.

Le texte pose le principe de la négociabilité des tarifs entre producteurs et distributeurs, en mettant cependant en place des garde-fous : interdiction de la revente à perte, négociation commerciale qui s’établit sur la base des conditions générales de vente du fournisseur et qui s’appuie sur la réalité économique du prix de revient, renforcement des garanties et des sanctions avec l’institution d’une Autorité de la concurrence.

Tout en partageant la volonté du Gouvernement de mettre fin à la fausse coopération commerciale qui a fait tant de mal, je tiens cependant à attirer l’attention de chacun sur le fait qu’il existe une vraie coopération commerciale sous la forme de prestations de service réellement exécutées : je pense, par exemple, aux différents secteurs de la distribution professionnelle ou des commerces de gros qui, en vue de la vente de produits, et non à l’occasion de cette vente, mettent en place des animations commerciales destinées à améliorer les ventes et à informer la clientèle professionnelle sur l’innovation des produits.

Je souhaite que, au cours de l’examen des articles, il nous soit possible de bien faire la part des choses entre la fausse et la vraie coopération commerciale. Il me semble utile de communiquer sur les qualités des quelques produits qui pourront, par la suite, être proposés à la vente aux professionnels. Je défendrai sur ce thème des amendements.

En tout état de cause, je souhaite de tout cœur que de ce nouveau dispositif se dégage un peu plus de transparence dans les relations entre producteurs et grande distribution. J’espère, surtout, que les consommateurs en sortiront gagnants.

S’agissant de la nouvelle Autorité de la concurrence, j’ai bien compris que le Gouvernement souhaitait lui octroyer de très larges pouvoirs. Encore faudra-t-il la doter de moyens humains et matériels suffisants afin qu’elle puisse jouer pleinement son rôle.

Vous avez déclaré qu’elle disposerait d’un pouvoir d’injonction en matière notamment de concentration. Je souhaite ardemment que tel soit le cas, car nos auditions nous ont montré que, dans de très nombreuses zones géographiques, il n’y avait pas de véritable concurrence entre distributeurs. Les prix payés par les consommateurs sont alors automatiquement plus élevés qu’ailleurs.

J’ajoute que l’Autorité de la concurrence pourrait aussi très utilement se pencher de manière approfondie sur les éventuelles ententes entre entreprises du BTP qui, lorsqu’elles sont avérées, coûtent cher, non pas au consommateur mais, cette fois-ci, au contribuable local !

Le raccourcissement des périodes normales de soldes, portées de six à cinq semaines, est une bonne chose, car elles étaient sans doute trop longues. Je crains, en revanche, qu’il ne soit très difficile de contrôler les périodes de soldes flottants dans la mesure où leurs dates seront laissées à la discrétion des commerçants. En tout état de cause, les périodes promotionnelles et les fins de série constituent déjà des entorses à la législation sur les soldes.

En ce qui concerne la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA, l’Assemblée nationale a modifié le dispositif initialement proposé afin d’alléger cette taxe pour 24 000 petites et moyennes surfaces commerciales et de l’accroître pour les 1 000 plus grandes surfaces. Je souscris pleinement à cette nouvelle répartition, tout en continuant à regretter que le produit de cette taxe n’alimente pas directement le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, mais soit versé dans le budget général.

Je remercie d’ailleurs la commission spéciale de proposer de modifier la dénomination de cette taxe, qui s’appellerait désormais « taxe sur les surfaces commerciales » et d’affecter 100 millions d’euros au FISAC, même si je crains que cela ne soit pas tout à fait suffisant.

En effet, même s’il est utile de contrôler que les fonds du FISAC ne permettent pas aux bénéficiaires de venir concurrencer aux commerces en place de longue date, qui, eux, ne peuvent bénéficier de sa manne, je m’interroge : pourra-t-il répondre à toutes sortes de sollicitations, concernant les opérations de rénovation de commerces en milieu rural, dans les halles et marchés et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? D’autant que, à cette liste déjà longue, on a ajouté, à l’Assemblée nationale, le soutien des commerces de proximité en cas de travaux publics réduisant l’accès des centres-villes à la clientèle et la prise en charge d’une partie des intérêts d’emprunt contractés par les communes qui exercent leur droit de préemption ; ce sont autant d’éléments qui méritent d’être revus.

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