Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un texte fort « joufflu » qui nous arrive de l’Assemblée nationale, joufflu, mais pas forcément assez musclé pour répondre aux objectifs que le Gouvernement lui assigne.
C’est précisément, madame la ministre, sur les objectifs, les moyens que vous mettez en œuvre pour les atteindre et la philosophie politique qui les sous-tend que j’ai placé mon intervention.
Premier objectif, la croissance et le pouvoir d’achat. Madame la ministre, votre texte ne peut pas être « hors sol » : il intervient dans un contexte macro-économique qu’il faut quand même rappeler.
Un an après la funeste loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, les espoirs de croissance se sont envolés avec la crise financière et ses effets systémiques. Dans un contexte de tension du pouvoir d’achat, les salariés et les entreprises ne se sont pas rués sur les solutions que vous leur aviez proposées à ce moment-là. Cette première cartouche a fait long feu !
Avec la loi LME, votre ambition est plus modeste : 0, 5 point de pouvoir d’achat par an pendant trois ans et 0, 3 point de croissance.
Malheureusement, la chute du pouvoir d’achat au premier trimestre 2008, au moment où l’inflation dépasse les 3 %, glace cette modeste ambition.
Comment attendre de la concurrence qu’elle compense la hausse structurelle des matières premières et des énergies compte tenu de la demande des pays émergents, qui ne faiblit pas, et de la spéculation, qui pèse sur les prix alimentaires, les marchés ne faisant qu’anticiper une hausse structurelle et durable ?
Parallèlement, les emplois que vous vous réjouissiez d’avoir créé sont essentiellement des emplois à temps partiel et en contrats à durée déterminée, ce qui crée des pauvres en puissance dans la mesure où ces emplois sont peu rémunérés.
L’équation sur laquelle reposait le modèle de croissance molle en Europe supposait, pour être soutenable, que les consommateurs paient moins cher les produits importés. La hausse des produits de base vient durablement bloquer ce type de croissance. Des temps très durs pour la France et les Français s’annoncent, surtout si l’on ajoute à ce panorama la contraction de l’offre de crédit et son renchérissement.
Nous serons aux alentours de 1, 6 point de croissance, cette année sans que l’horizon se dégage pour 2009.
Je sais, madame la ministre, que vous n’aimez les statistiques que lorsqu’elles sont bonnes. Sans doute est-ce la raison pour laquelle vous souhaitez introduire une Autorité de la statistique ! Il vous serait plus commode de suivre l’exemple du gouvernement italien, qui a fait voter une loi enjoignant aux médias de donner 50 % de bonnes nouvelles et 50 % de moins bonnes ! Pourquoi n’emprunteriez-vous pas cette voie en matière de statistiques ?
La croissance de la France reposait sur l’unique moteur de la consommation. Or celle-ci flanche. Peut-elle rebondir ? Non, car ce gouvernement, comme les deux précédents, n’a pas pris la mesure de la mondialisation ni de la montée en puissance de nouveaux acteurs. Nous vous l’avions déjà dit dès juillet 2007 : vous avez préféré accroître la demande de ceux qui ont trop – ou beaucoup – plutôt que d’engager tout de suite des mesures destinées à muscler le tissu productif, c'est-à-dire celles qui sont – vous ne pouvez l’ignorer – les plus longues à produire leurs effets. Vous dites que vous le faites maintenant avec ce projet de loi. Mais cette deuxième cartouche, avant même d’être tirée, est mouillée, car vous persistez dans l’erreur.
Cette fois-ci, vous faites reposer votre action sur la stimulation de la concurrence. Or faire de la concurrence un principe général d’organisation de l’économie, c’est limiter l’individu au strict rôle d’agent marchand, c’est faire fi de sa situation de salarié – et les salariés ne reçoivent par leur part de la création de richesses à laquelle ils participent –, c’est faire fi de sa qualité de citoyen qui, surtout s’il est pauvre, a besoin de disposer d’un capital public important.
Implicitement, vous développez une vision de la société qui consiste à découper l’individu en tranches : aujourd’hui, nous nous occupons de la tranche « consommateur ». Nous ne partageons pas votre vision des choses, celle d’individus isolés, rendus arbitres de leur propre sort sans capacité d’agir collectivement sur le destin du monde, la vision de la « concurrence de tous contre tous » !
Si vous aviez voulu agir pour traiter ensemble le citoyen et le consommateur, vous lui auriez conféré le droit d’exercice collectif de l’action de groupe, absent de ce texte. On nous dit qu’il viendra plus tard, dans une curieuse cohabitation avec les dispositions relatives à la dépénalisation du droit des affaires. Très étonnante proximité !
La troisième cartouche viendra à l’automne, avec le bouleversement annoncé par le Président de la République des règles de la participation et de l’intéressement. Je vous mets en garde contre les conséquences néfastes du déblocage massif de la participation sur l’épargne de long terme, si nécessaire au développement des entreprises ou à la constitution de l’épargne retraite.
Et que dire de l’encouragement à l’intéressement, développé à coups de crédit d’impôt ? Voilà nouvelle niche fiscale, alors que vous prétendez en limiter le nombre ! Cette troisième salve sera tout aussi inefficace que les deux premières parce que votre raisonnement de base est faux.
Le deuxième objectif de ce projet de loi est la modernisation de l’économie.
Le tissu de nos entreprises ne prédispose pas la France à la globalisation : notre pays compte beaucoup de petites ou très petites entreprises – plus que dans les pays anglo-saxons – et un nombre important de grands leaders mondiaux. Il abrite, en revanche, très peu de grosses PME innovantes et exportatrices.