Intervention de Alain Fouché

Réunion du 30 juin 2008 à 15h00
Modernisation de l'économie — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Alain FouchéAlain Fouché :

Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, moderniser l’économie en relançant la concurrence pour agir sur la baisse des prix et stimuler la croissance, telle est l’ambition du projet de loi qui nous est soumis, dans le but de créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois par an.

De nombreuses dispositions sont particulièrement bienvenues, qu’elles concernent l’auto-entrepreneur, les travailleurs indépendants, les artisans, les professions libérales et les conjoints collaborateurs, tout comme les différentes catégories de sociétés.

À ce stade, je voudrais saluer la contribution de premier plan apportée par le groupe de travail sur la modernisation de l’économie que le Sénat avait pris soin de constituer, au cours du premier trimestre 2008, ainsi que de toutes les équipes qui ont travaillé autour de son président.

De nombreuses mesures de ce projet de loi qui visent à favoriser le développement des PME et à simplifier leur fonctionnement vont dans le bon sens. J’en citerai quelques-unes.

Permettre un accès privilégié des PME innovantes à la commande publique est une mesure indirecte de soutien aux PME qui, bien que juridiquement contrainte, mérite d’être expérimentée.

Je crois également à une économie au service de l’homme et, partant, à une législation qui répond à ses besoins. C’est ce que fait ce projet de loi en prévoyant les conditions dans lesquelles pourra être créé un tarif social pour la téléphonie mobile. Nous savons tous, mes chers collègues, ce que représente, dans le budget des foyers les plus modestes, le coût de la téléphonie mobile et des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

S’il est, en revanche, un volet de ce projet de loi sur lequel je me permettrai d’émettre des réserves, c’est sans conteste celui qui concerne la réforme du régime juridique de l’urbanisme commercial.

Certes, une réforme de l’équipement commercial est depuis longtemps nécessaire : il y a effectivement urgence à se mettre au diapason du droit communautaire et, surtout, à répondre aux nécessités du terrain.

Mais quelle est la situation actuelle ? Malgré la loi du 29 janvier 1993 et celle du 5 juillet 1996, plus restrictive, les grandes surfaces n’ont cessé de croître et le grand commerce, de se développer. Il occupe désormais les niches autrefois réservées aux petits commerçants ou aux moyennes surfaces situées dans les centres-villes ; je pense, par exemple, à l’équipement de la personne. Tout cela contribue à détruire l’animation des centres-villes, et nos territoires ruraux sont les premiers touchés.

Le hard discount se développe déjà sur des surfaces ne dépassant pas les 299 mètres carrés. Il n’est donc pas nécessaire de le favoriser à outrance, comme le texte le permet implicitement. Imaginez ce qu’il adviendrait demain des boulangers indépendants, qui sont le poumon économique et social de nos communes rurales, si le hard discount alimentaire se généralisait avec une baguette vendue au prix d’appel de 29 centimes d’euro, comme cela s’est déjà vu dans ce type d’enseigne !

C’est parce qu’il avait conscience de cette évolution de la situation que, dès le printemps 2004, le Premier ministre de l’époque m’avait confié la mission d’évaluer le dispositif législatif et réglementaire garantissant l’équilibre entre les différentes formes de commerce. J’avais, par la suite, déposé une proposition de loi, cosignée par une soixantaine de sénateurs, qui a été adoptée en première lecture en juin 2005.

Le dispositif que notre assemblée avait ainsi voté était le résultat d’une concertation approfondie avec tous les acteurs concernés. Il répondait très largement aux attentes exprimées par tous, aussi bien au sujet des principes directeurs de l’équipement commercial – promouvoir un aménagement urbain équilibré, protéger l’environnement, satisfaire les besoins des consommateurs et participer au développement de l’emploi – que des critères sur lesquels doivent se fonder les décisions des commissions d’équipement commercial – considérations architecturales et esthétiques et cohérence urbaine du projet, notamment.

Cela étant, le 5 juillet 2005, soit quelques jours après l’adoption de ce texte par le Sénat, la Commission européenne adressait une lettre de mise en demeure à la France, la sommant de mettre sa législation en conformité avec la directive « services ». C’est la raison pour laquelle le ministre qui était à l’époque en charge des PME, du commerce, de l’artisanat avait pris l’initiative de constituer un groupe de travail sur la réforme de la législation de l’urbanisme commercial. Mais la décision effective date seulement de la fin de l’année 2006, soit un an et demi plus tard ! Et la commission a rendu ses conclusions en février 2007.

Il est vivement regrettable que nous ayons perdu autant de temps ; la réforme aurait permis de mieux limiter le nombre de mètres carrés autorisés, qui, pendant cette période, se sont accumulés : 3, 5 millions en 2005, 3, 8 millions en 2006 et 3, 575 millions en 2007. Soit plus de 10 millions de mètres carrés supplémentaires en trois ans ! Qu’en aurait-il été sans la loi Raffarin ? En fixant un seuil de blocage à 300 mètres carrés, elle a permis d’éviter un trop grand développement de ce type de surfaces.

Le Sénat, quant à lui, avait pressenti et anticipé cette urgence dès le mois de juin 2005. J’observe d’ailleurs que le groupe de travail ministériel a permis de valider les orientations qui avaient été retenues.

Tous s’accordaient sur le nécessaire maintien d’une législation spécifique, suivant ainsi le chemin emprunté par l’ensemble des pays de l’Union européenne qui se sont dotés progressivement d’une réglementation applicable à la création et à l’extension des grandes et moyennes surfaces de commerce de détail, comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède.

Le maintien d’une commission départementale, fût-elle rebaptisée commission d’aménagement commercial, était également approuvé, avec des modifications. Les CDEC méritaient d’être modifiées, de même que la commission nationale d’équipement commercial. La composition des CDEC a facilité l’extension d’un certain nombre de magasins. L’existence du schéma de développement commercial comme celle des seuils à partir desquels est déclenchée la procédure étaient confortées. Mais, à aucun moment, il ne fut question de relever le seuil au-delà duquel l’autorisation est requise.

Madame la ministre, retenir 1 000 mètres carrés, comme vous le proposez aujourd’hui, ce serait revenir trente-cinq ans en arrière ! En effet, c’était le seuil fixé par la loi Royer du 27 décembre 1973 ; il a été abaissé à 300 mètres carrés par la loi de 1996.

On peut, certes, considérer que la structuration de l’offre commerciale a évolué et que la modernité, pour satisfaire à l’intitulé du projet de loi, conduirait peut-être à retenir un seuil intermédiaire de 500 mètres carrés, comme un certain nombre de sénateurs le souhaitent.

J’y mettrai, personnellement, une double condition. D’une part, il faut maintenir la possibilité, pour les maires des communes de moins de 20 000 habitants, ainsi que de celles qui ne sont pas directement concernées mais qui font partie de l’intercommunalité, de saisir la CDAC des projets compris entre 300 et 500 mètres carrés, chiffres qui, loin des 1 000 mètres carrés annoncés, correspondent mieux à la réalité du terrain. D’autre part, il est indispensable de prendre en compte l’impact que peut avoir sur un autre département ou sur une autre région un projet situé à leurs confins, par exemple, la création d’un hypermarché de 20 000, 30 000 ou 50 000 mètres carrés, de même que celle d’un magasin de marques ou d’un magasin d’usine.

La commission spéciale n’a donné sur ce point que quelques pistes. Selon moi, il faut mettre en place une commission interdépartementale, qui doit fonctionner avec souplesse sans devenir une usine à gaz. Convoquée par le préfet du département d’implantation, cette commission pourrait répondre efficacement aux besoins, car nous savons tous que les bassins de vie ne respectent pas la logique du découpage administratif !

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, je comprends la logique du Gouvernement, mais permettez-moi de ne pas la partager sur ce point précis. Dans votre optique de concurrence totale, on peut d’ailleurs se demander pourquoi vous maintenez encore un seuil, et même une législation spécifique.

À mes yeux, la concurrence, ce n’est pas la loi de la jungle, qui consacre celle du plus fort. L’aménagement du territoire, ce n’est pas une incantation, c’est une ardente obligation. Mon idéal, ce n’est pas l’appauvrissement des territoires à l’écart desquels fleuriraient, autour des grandes villes, des hard discounters. Vous le savez, ces enseignes, qui sont pour la plupart liées à la grande distribution, se frottent déjà les mains – regardez tous les encarts publicitaires qui fleurissent dans la presse ! –, alors que certaines d’entre elles n’ont de cesse de pressurer leurs fournisseurs et créent, en fait, moins d’emplois qu’elles n’en font disparaître. Sans parler des conditions salariales qui sont faites à un certain nombre de leurs employés !

L’équilibre entre les différentes formes de commerce doit être l’objectif prioritaire de la réforme en cours. Nous devons lutter contre la désertification commerciale, préserver et développer les commerces de proximité dans les centres des villes, qu’elles soient petites ou grandes, et dans les territoires ruraux.

De gros efforts ont été entrepris, ces dernières années, en matière de partenariat entre les créateurs de commerces de proximité, les collectivités locales et l’État, par l’intermédiaire du FISAC. Veillons à ne pas détruire ce qui a été mis en place progressivement. Il y va de la vitalité de nos territoires. C’est à nous, représentants des collectivités locales, mais aussi à l’État, qu’il revient de les soutenir.

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