Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, voilà près de deux ans, alors que nous clôturions les débats relatifs à la loi pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, j'avais insisté sur le formidable espoir qu'avait suscité cette réforme et sur le fait qu'il n'était pas digne de notre démocratie d'apporter une réponse bien en deçà des attentes de dizaines de milliers de citoyens en situation de handicap.
En refusant une définition du handicap intégrant pleinement l'environnement de l'individu, force est de constater que le Gouvernement a limité l'ambition de la loi.
Le résultat patent en est qu'une fois de plus la personne handicapée se voit enfermée dans la sphère de l'assistance et ne s'inscrit aucunement dans celle de la citoyenneté.
Au premier chef de ce constat, je me dois d'évoquer la question des ressources.
Alors que les associations se sont engagées de façon loyale dans le chantier de la réforme, toutes considèrent aujourd'hui qu'il est urgent de garantir un revenu d'existence décent aux personnes handicapées, rappelant que celles-ci vivent en dessous du seuil de pauvreté !
La promesse de citoyenneté contenue dans la loi n'a donc pas passé la barrière des moyens qui sont affectés à sa mise en oeuvre.
Faute pour le législateur d'avoir consacré, au coeur de la réforme, le droit à un véritable revenu d'existence au moins égal au SMIC, nous constatons trop nombreuses différences de traitement quant à l'accès aux prestations telles que l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, la garantie de ressources, la majoration pour la vie autonome.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, a elle-même signalé l'iniquité de ces dispositifs.
Il ne faut donc pas s'étonner de la colère qui gronde et qui pousse les personnes handicapées à menacer de renoncer à utiliser leur carte d'électeur, elles qui disposent déjà de si peu de citoyenneté. Vous avez d'ailleurs pu, comme moi, monsieur le ministre délégué, entendre le cri poussé, hier dans les rues de Paris, par ces personnes, et ce pour la deuxième fois, et pour la même raison. C'est dire leur désespoir devant des promesses non tenues.
Je rappelle, pour m'en souvenir parfaitement, qu'à la fin du débat parlementaire sur la loi dont nous dressons ce soir le bilan une grande manifestation devant l'Assemblée nationale avait réuni un grand nombre de personnes handicapées. Celles-ci n'acceptaient pas, en effet, que cette loi ne contienne rien sur le niveau d'existence qui, pour elles, était le préalable à toutes les autres mesures. « Que peut-on faire de plus quand nous n'avons que les moyens de survivre ? » Telle était leur interrogation. Elles réclamaient ainsi, en vertu de la loi, une forte revalorisation de l'AAH. Le Gouvernement leur avait alors déclaré, dans un bel effet d'annonce, qu'il porterait le montant de cette allocation à 80 % du SMIC !
J'avais personnellement dénoncé, lors de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire, après avoir étudié en détail les mesures annoncées, ce qui me semblait être une supercherie et déploré qu'en fin de compte peu de personnes handicapées en seraient bénéficiaires.
Certes, monsieur le ministre délégué, vous avez vous-même reconnu, dix-huit mois plus tard - dix-huit mois perdus ! - que j'avais raison. En effet, à l'occasion du débat sur le budget de la solidarité, c'est bien vous qui avez constaté que le nombre de bénéficiaires n'était que de 50 000 sur les 150 000 attendus. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant : il suffisait de regarder la maigreur des sommes affectées à l'époque pour prévoir qu'il en serait ainsi !
Tout au long du débat sur cette loi, le problème des ressources est revenu comme un leitmotiv. Les deux ministres chargés des personnes handicapées qui se sont succédé nous ont alors expliqué que la prestation de compensation était précisément destinée à répondre au poids des charges qui pèsent sur les maigres ressources des personnes handicapées.
Or, aujourd'hui, là encore, rien n'est réellement rassurant ; le président About vient d'ailleurs d'en faire la remarque et j'y reviendrai également ultérieurement.
S'agissant toujours du revenu minimum, si j'en crois la presse de ce matin, le Gouvernement s'est à nouveau engagé à porter l'AAH à 80 % du SMIC. Un amendement a même été voté au Sénat, tendant à permettre aux personnes titulaires d'une pension d'invalidité de bénéficier du complément de ressources.
Monsieur le ministre délégué, il reste à peine un trimestre avant l'ouverture de la période électorale. Pouvez-vous nous dire avec quels moyens budgétaires et selon quel calendrier précis vous allez mettre en place ces mesures pour que celles-ci ne viennent pas s'ajouter à la liste des promesses non tenues ?
J'évoquerai maintenant une autre difficulté soulevée par cette loi, je veux parler des ressources des travailleurs des établissements et services d'aide par le travail, les ESAT. À cet égard, je ne puis que reprendre la déclaration faite par une association - l'UNAPEI, c'est-à-dire l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés -, et qui se résume ainsi : « Réforme ou supercherie ? »
En effet, les dispositions prises cette année par le Gouvernement entraînent un manque à gagner de l'ordre de 14 euros mensuels par rapport à la situation antérieure à la promulgation de loi de février 2005.
C'est ainsi que plus de 100 000 travailleurs se voient aujourd'hui pénalisés, alors qu'ils avaient fondé tous leurs espoirs d'une vie meilleure dans la réforme de la loi.
En outre, force est de constater que, malgré les déclarations optimistes, l'emploi des personnes handicapées a tendance à se détériorer, notamment en raison de l'âpreté de la concurrence et de la fragilisation des structures, précisément dues à cette loi.
J'en veux pour preuve le fait que des entreprises adaptées se trouvent actuellement en grande difficulté et se voient contraintes d'avoir recours à des plans de licenciements. Elles ne peuvent plus faire face aux pressions du marché et de la concurrence, alors que leur vocation première est de soutenir l'emploi des handicapés.
C'est la raison pour laquelle je pense qu'il convient de prendre en compte dans toute leur ampleur les propositions faites par ce secteur telles que l'attribution systématique, dans un premier temps, en 2007, de l'aide au poste maximum à tous les salariés handicapés qui bénéficiaient déjà d'un abattement de salaire maximum, ou encore la mise en place d'une disposition permettant à tout travailleur handicapé orienté en ESAT de bénéficier de l'aide au poste maximum pour une durée de cinq ans renouvelable. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une condition nécessaire pour les aider à mieux résister.
Il est indéniable que la logique budgétaire que nous avions dénoncée à l'époque tout au long des débats, qu'il s'agisse des ressources ou de l'emploi, produit aujourd'hui des effets plus que négatifs sur la portée même de la loi.
Dans le même esprit, la prestation de compensation - ce point a longuement été évoqué par le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About - bien que considérée dans le texte comme universelle, reste parcellaire, voire quelque peu illusoire. Ainsi, le reste à charge des personnes et des familles est bien loin des 10 % des revenus nets d'impôt.
Je voudrais citer un exemple des obstacles que peuvent rencontrer un certain nombre de services chargés de la mise en place de cette prestation.
La plupart des personnes handicapées éligibles à la prestation de compensation du handicap, la PCH, du fait de leur impossibilité d'accomplir seules les actes essentiels de la vie, sont, a fortiori, dans l'incapacité d'assurer l'entretien de leur logement.
Or, à la lecture des textes réglementaires, il apparaît clairement que les tâches ménagères ne figurent pas parmi celles qui sont prises en charge par la PCH, ce à quoi la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, répond en renvoyant à la prestation d'aide ménagère.
Aussi, alors que la loi de février 2005 affichait une volonté de simplification, la position prise par la CNSA obligerait les personnes handicapées à déposer un dossier supplémentaire, en même temps que celui de la PCH.
Pour parfaire le tout, la prestation d'aide ménagère n'est accessible qu'aux personnes à faibles ressources et, lorsqu'elle est attribuée par l'assurance maladie, elle ne s'inscrit pas dans la durée.
Pour répondre à cette problématique, certains départements ont déjà fait le choix d'intégrer les heures d'aide ménagère dans le plan personnalisé de compensation, impliquant, de fait, leur prise en charge par la PCH, ce qui constitue, à mes yeux, un raisonnement parfaitement cohérent. Bien sûr, les conséquences financières d'une telle option devront être examinées en termes d'impact sur les budgets départementaux, comme il conviendra de tenir compte du fait que la CNSA se refusera à compenser des dépenses qui ne résultent pas de la stricte application de la loi. Cet exemple n'est, hélas, pas unique ; nous en retrouvons d'identiques dans tous les champs de la compensation qu'il s'agisse des aides techniques comme des aides humaines.
Il était écrit que, du fait de l'imprécision - je dirais volontaire - de la prestation de compensation, nous ne pouvions qu'en arriver à de telles aberrations !
Ainsi, comme l'a rappelé le président About, le reste à charge pour les personnes handicapées constitue un véritable piège.
Par ailleurs, en l'absence de financement à la hauteur des besoins, l'on peut craindre que les bénéficiaires ne fassent les frais d'un reste à charge qui deviendra sans conteste la variable d'ajustement de l'insuffisance du financement public, en particulier quand les conseils généraux, accablés par les transferts de charges de toutes sortes, mettront inévitablement, face à cette nouvelle dépense, le pied sur le frein !
Pouvez-vous, monsieur le ministre délégué, nous apporter quelques éclaircissements sur ces contradictions ?
J'en viens à un autre point majeur de la loi qui a également suscité beaucoup d'espoirs, je veux parler de la scolarisation.
L'école républicaine se doit d'accueillir tous les enfants, quel que soit leur handicap. Là aussi, il y a loin de la coupe aux lèvres !
Il me semble que la traduction concrète du peu de moyens alloués et de l'absence presque totale de préparation des personnels de l'éducation nationale conduit - sans que ce soit l'intention du Gouvernement, bien entendu - à nier le handicap, ce qui peut se traduire par des situations de détresse tant pour l'enfant que pour sa famille et les enseignants.
Je ne m'appesantirai pas sur le tour de passe-passe du ministère de l'éducation nationale qui comptabilise les auxiliaires de vie scolaire dans son quota d'enseignants et de personnels administratifs.
Ainsi, ce ministère ne participera qu'à hauteur de 4, 7 millions d'euros au fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, alors que cette contribution est estimée à 73, 2 millions d'euros pour 2007.
Depuis la rentrée scolaire de septembre, les témoignages émanant des familles, des enseignants, des soignants, des médecins scolaires ou encore des praticiens de terrain affluent pour dénoncer l'échec de la scolarisation des enfants handicapés telle qu'elle a été engagée. Certes, on peut brandir les statistiques de la scolarisation massives de ces enfants, mais la réalité est tout autre, tant il est vrai que la loi induit des intégrations au forcing avec des temps de soins et d'accompagnement dérisoires.
Comment croire, par exemple, qu'avec un médecin de l'éducation nationale pour plus de 7 700 élèves, en moyenne, l'accompagnement à la scolarisation des enfants handicapés puisse être à la hauteur des besoins ?
Comment croire que les projets personnalisés de scolarisation rédigés sur un coin de table par des enseignants sans formation préalable puissent répondre correctement aux attentes des enfants et de leur famille ?
Comment imaginer que les auxiliaires de vie scolaire, les AVS, insuffisants en nombre et trop peu formés, pourront correctement assurer les missions qui leur sont confiées ?
Que signifie le fait de notifier aux parents qu'ils ont droit à tant d'heures d'AVS, tout en leur signifiant dans le même temps que les moyens budgétaires ne sont pas suffisants pour traduire dans les faits ce droit ?
Je connais une famille aux revenus modestes dont les parents ont dû s'endetter pour assurer la scolarisation de leur petite fille, Victoire, atteinte d'autisme. Ils déboursent chaque mois 1 700 euros pour permettre à leur enfant de suivre une scolarité normale et empêcher ainsi qu'elle ne finisse sa vie en hôpital de jour.
Je connais également d'autres familles à qui n'est accordée qu'une scolarisation très partielle de leur enfant handicapé : trois demi-journées, par exemple, quand ce n'est pas une seule ! Peut-on, dès lors, parler de scolarisation ?
Par ailleurs, que fait l'enfant en dehors de ce temps scolaire ? Rien ! C'est la raison pour laquelle certaines mères de famille se voient contraintes d'interrompre leur activité professionnelle, ce qui se traduit, je puis vous l'assurer, monsieur le ministre délégué, par une grande amertume !
Quant aux emplois de vie scolaire, les EVS, nous sommes indignés à double titre : en premier lieu, parce qu'il s'agit d'emploi au rabais qui ne permettent d'accéder ni à la qualification professionnelle ni à la pérennisation des postes et, en second lieu, parce que les personnes recrutées sont souvent elles-mêmes en grande difficulté et ne peuvent, faute de formation et de qualification, être à même d'accompagner les enfants en situation de handicap qui ont besoin, vous le savez, monsieur le ministre délégué, d'une personnalisation du parcours scolaire et donc d'un professionnalisme sans faille.
En outre, comment accueillir des enfants handicapés dans des classes surchargées, où les professeurs sont tout juste informés des nouvelles dispositions et les enseignants référents en sous-effectifs et sans réels moyens d'action ?
Sur cette vaste question de la scolarisation, je partage l'avis des associations, des familles et des professionnels. Tant que les conditions de disponibilité, financière et humaine, ne seront pas réunies, il y aura quelque chose de malhonnête à faire croire aux parents des enfants qui sont handicapés - ou non - que l'insertion scolaire est possible et qu'elle est bonne pour ces enfants.
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, il y aurait bien d'autres sujets à aborder, mais je conclurai mon intervention en évoquant l'accessibilité. Même si, globalement, cette question progresse et les mentalités bougent, je profiterai de cette intervention pour porter à votre connaissance une situation riche d'enseignements, celle de Me Marianne Bleitrach.
Cette avocate au barreau de Béthune, handicapée et en fauteuil roulant à la suite d'une maladie, se bat depuis trois ans, avec le soutien d'ailleurs de l'APF, l'Association des paralysés de France, pour l'accessibilité du palais de justice de Béthune, dont l'architecture est ancienne et donc très défavorable à l'accueil des handicapés.
Comme elle n'obtenait pas satisfaction par la voie du dialogue, elle a porté son cas devant le tribunal administratif, en soulignant qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'exercer normalement sa profession. Je vous livre un extrait du jugement qui vient d'être rendu par cette juridiction : « Les difficultés d'accessibilité de Mme Bleitrach tiennent à son handicap, et non à l'aménagement des tribunaux » !