Il n'y a pas lieu de se réjouir du retrait, annoncé après la discussion générale par M. le ministre, de cet article relatif au chèque emploi pour les très petites entreprises. En effet, ce n'est pas parce que le Gouvernement a entendu les critiques suscitées par l'article 46 qu'il retire ce texte.
Lors de l'examen du projet de loi pour l'initiative économique comme à l'occasion de la publication de l'ordonnance n° 2003-1213 du 18 décembre 2003, tant les opérateurs économiques que les organisations syndicales et les parlementaires avaient déjà exprimé leur scepticisme à l'égard de ce type de dispositif.
Rien n'a changé aujourd'hui : pour preuve, mes chers collègues, je vous renvoie au rapport pour avis de la commission des affaires sociales...
Si l'article 46 disparaît du présent projet de loi, c'est pour mieux réapparaître dans les très prochaines ordonnances. Une fois de plus, le Gouvernement prive le Sénat d'un débat au fond sur la question. Cela avait déjà été le cas avec le TEE, le titre emploi-entreprise, et la loi pour l'initiative économique.
Si le groupe socialiste souhaitait la suppression de cet article 46 tendant à transformer le TEE en chèque emploi TPE, c'est parce que, sous la forme actuelle comme sous la forme envisagée pour le futur, ce type de dispositif peine à convaincre.
Il y a d'abord un problème d'efficacité, et j'en veux pour preuve l'échec du dispositif du TEE, mis en place par l'ordonnance de décembre 2003.
A l'époque, le TEE était déjà présenté comme un moyen de simplification administrative, indispensable pour les entreprises et qui allait permettre de lever moult obstacles à l'embauche. Quel est le résultat un an et demi plus tard ? C'est un échec ! Alors que le lancement du TEE a été financé à hauteur de 4, 5 millions d'euros par l'ACOSS, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, en 2004 et en 2005, on estimait à la fin du mois de février 2005 qu'à peine 11 000 salariés étaient rémunérés par le biais du TEE.
Le Conseil de la concurrence tire lui aussi un bilan sévère pointant la complexité du TEE, dans son avis du 12 juillet 2004.
En plus de son inefficacité, l'élargissement de ce type de dispositif pose un problème de fond : incontestablement, la formule éloigne les salariés du code du travail et de l'application des conventions collectives. Sans contrat de travail ni fiche de paye, quelles garanties le salarié a-t-il que l'employeur respectera sa parole quant à la durée de sa présence dans l'entreprise ou quant au montant de sa rémunération ? Comment s'assurer que toutes les heures effectuées seront rémunérées ?
Ne perdons pas de vue que les salariés embauchés dans ce cadre sont particulièrement isolés, voire précarisés. Pour eux, la question de l'accès aux mêmes droits que la majorité des salariés se pose donc.
On peut aussi avoir des inquiétudes quant au périmètre d'application du chèque emploi TPE. Pour le Premier ministre, ce chèque emploi devait être réservé aux TPE, mais, tel qu'il était rédigé, l'article 46, ou, plus précisément, le texte proposé pour le 1° de l'article L. 133-5-3 du code de la sécurité sociale, ne prévoyait aucune limite. En effet, il était précisé que le chèque emploi TPE serait utilisable par les entreprises « dont l'effectif n'excède pas un seuil fixé par décret » sans aucune référence à un texte actuel. C'était la porte ouverte à toute augmentation des seuils et à toute déréglementation !
Un autre effet de ce chèque que l'on peut craindre est ce que les organisations syndicales auditionnées ont appelé à juste titre une « opération de blanchiment du travail illégal ».
On ne peut douter que ce chèque permettra de faire surgir du néant de nombreux emplois aujourd'hui « au noir », ce qui allégera d'ailleurs d'autant les statistiques du chômage. Mais est-on sûr que tous les salariés concernés et toutes les heures effectuées seront dorénavant déclarés ? On peut légitimement craindre la mise en place d'un système double, par exemple dix heures déclarées pour cinq heures non déclarées. Comment éviter ces dérapages ?
Enfin, une dernière question subsiste quant à l'articulation entre le futur chèque emploi TPE et le dispositif du même genre proposé par Jean-Louis Borloo, à savoir le chèque emploi-service universel pour les services à la personne. N'y aura-t-il pas de redondances ou de contradictions entre les deux dispositifs ?
On ne peut donc pas se réjouir du retrait de cet article 46 tant les interrogations sont nombreuses sur les intentions du Gouvernement !