Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 6 juin 2006 à 21h45
Immigration et intégration — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Vous n'avez pas honoré la parole de la France en voulant chasser, à partir du 4 juillet prochain, les enfants dont les parents sont sous le coup d'une menace d'expulsion du territoire. Devant la mobilisation des enseignants, des parents, de nombreux élus, vous vous êtes ravisé, mais jusqu'à quel point ? Nous attendons du Gouvernement des explications précises à ce sujet.

Enfin, vous ne respectez pas les droits de l'homme lorsque vous vous obstinez à enfermer toujours plus d'étrangers dans les centres de rétention administrative, dont plusieurs sont dans un état innommable - promiscuité, surpopulation avec l'allongement des délais de rétention -, à dresser des obstacles de toutes sortes devant les personnes retenues qui voudraient faire valoir leurs droits.

Le troisième axe d'une politique qui répondrait à la situation et aux intérêts des pays d'où part l'immigration réside dans le développement économique de ces pays, sans lequel rien ne sera possible s'agissant de la question qui nous occupe.

Or là aussi vous tournez délibérément le dos à ce qu'il convient de faire. La carte de séjour dite « compétences et talents » conduira à piller les pays francophones de leurs élites et à en faire les subalternes de notre économie. C'est la poursuite en ce début de siècle du pacte colonial dans des aspects particulièrement prédateurs.

M. Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal, secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie, considère que ce dispositif est « politiquement et moralement inacceptable ».

Le Premier ministre du Niger, M. Hama Amadou, a déclaré le 19 mai dernier dans une interview à l'Humanité : « Quand un pays ami, avec lequel nous entretenons des liens historiques et culturels aussi profonds, se met en tête de pratiquer une politique qui consiste à le délester de ses meilleurs cerveaux et lui laisser les peu ou pas qualifiés, ceux qu'ils considèrent comme des inutiles [...] il y a quelque chose de manifestement choquant et d'insultant dans ce tri ».

Oui, nous assisterions à la poursuite, sous des formes nouvelles, du vieux pacte colonial et à la transposition en France, comme dans d'autres pays de l'Union européenne qui ont oublié aujourd'hui les engagements pris en 1999 au Conseil européen de Tampere, des pratiques qui ont cours aux États-Unis en matière d'immigration et qui privilégient l'entrée sur leur territoire des hommes et des femmes hautement qualifiés dont leur économie a besoin, sans se soucier de la situation dans le reste du monde.

Notre deuxième proposition consiste à donner la priorité à l'intégration des étrangers qui vivent et travaillent chez nous, y compris, bien entendu, aux ressortissants des pays extérieurs à l'Union européenne. Dès lors qu'ils résident légalement sur notre territoire, leur statut juridique doit se rapprocher de celui de nos ressortissants.

Je dénonce donc à nouveau les entraves supplémentaires au regroupement familial, les nouveaux obstacles opposés à celles et à ceux qui veulent se marier. Dans le cas des mariages mixtes, il faudrait désormais justifier de trois ans de mariage au lieu de deux pour pouvoir demander une carte de résident de dix ans, l'étranger perdant cette carte en cas de séparation dans les quatre ans qui suivent le mariage.

Par ailleurs, est-ce favoriser l'intégration des étrangers vivant sur notre sol que de leur imposer un interminable délai de quatre ans, au lieu de deux, avant de pouvoir demander la nationalité française ?

Après cela, vous pouvez toujours proposer l'organisation de cérémonies d'accueil - qui existent déjà, d'ailleurs - oui, d'accueil, à l'issue d'un parcours épuisant, aléatoire et humiliant.

En fait, le durcissement de la législation, au lieu de faciliter l'intégration, va déstabiliser et fragiliser un peu plus les familles étrangères.

La circulaire ministérielle du 21 février dernier, adressée aux préfets et aux procureurs, explique dans les moindres détails les modalités d'interpellation des étrangers, parmi lesquels figurent les personnes sans titre de séjour ou ne disposant plus que d'un titre périmé, et les déboutés du droit d'asile. Pas un endroit n'échapperait désormais à cette traque : salles d'attente ou halls d'accueil des hôpitaux, véhicules, guichets des préfectures, sièges d'associations, foyers et centres d'hébergement.

Ainsi l'angoisse monte-t-elle, même chez les migrants qui ne sont pas concernés par ce projet de loi parce qu'ils ont des papiers, un travail, un logement. Il devient de plus en plus difficile de s'intégrer dans une société bardée de lois et de règlements, une société de plus en plus inhospitalière.

Reste la situation délicate et douloureuse des sans-papiers qui, dans la plupart des cas, sont des personnes dont les visas et les titres de séjour sont désormais périmés. Jusqu'alors, après dix ans de présence en France - excusez du peu ! -, ils bénéficiaient d'une régularisation automatique et sortaient enfin, eux et leur famille, de la clandestinité et de la précarité : travail pénible, logement sordide, santé déficiente. Eh bien, ce sera terminé ! Les régularisations éventuelles seront faites au cas par cas par les préfets, sur avis des maires, avec le risque d'incohérence et d'arbitraire que l'on imagine.

Notre troisième proposition concerne les flux migratoires.

Il faut bien entendu combattre et réprimer la traite des êtres humains et sévir énergiquement contre les organisations mafieuses en s'efforçant de les atteindre à la tête. Mais il convient de se garder d'introduire dans notre législation un système de quotas, même camouflé. Or le Gouvernement voudrait présenter chaque année au Parlement un rapport sur la politique d'immigration fixant des objectifs quantitatifs sur le nombre de migrants autorisés à entrer en France. Sur quels critères ? L'être humain serait, selon les besoins du marché, réduit à sa seule force de travail, avec la perspective de rémunérations et de conditions de vie bien entendu inférieures à celles des ressortissants du pays d'accueil.

Il importe par ailleurs de se garder de la pratique des charters européens et de l'ouverture de camps de regroupement et d'internement des immigrés dans un certain nombre de pays d'Afrique, disposition qui tourne le dos aux engagements qui ont été pris à Tampere.

S'agissant des flux migratoires, nous proposons que notre pays s'engage sur une autre voie et entraîne l'Union européenne dans une grande politique de codéveloppement, qui. seule permettra de réguler les flux, de parvenir à des échanges équilibrés entre des pays devenant progressivement des partenaires. L'entrée graduelle des pays du Maghreb dans une zone d'échanges économiques commune avec l'Union européenne permettrait à terme d'inverser les tendances actuelles, dans l'intérêt des deux rives de la Méditerranée.

Notre quatrième proposition consiste à accorder un respect absolu au droit d'asile.

Or les dispositions que vous proposez dans le présent projet de loi aggravent celles qui ont déjà été arrêtées dans la loi du 10 décembre 2003, laquelle permet le renvoi des déboutés du droit d'asile dans des pays ou des régions prétendument sûrs, selon une liste arrêtée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et appelée à s'allonger et à s'étoffer le moment venu d'une seconde liste dressée par l'Union européenne. Et maintenant, vous voulez soumettre les demandeurs d'asile relevant de cette liste, aux termes d'un projet de décret, à une procédure prioritaire qui, en cas de refus de l'OFPRA, ne leur laisserait plus que quinze jours pour saisir la Commission des recours des réfugiés.

Enfin les centres d'accueil des demandeurs d'asile, les CADA, ne recevraient plus les étrangers relevant de cette procédure prioritaire : ni les réfugiés ni les déboutés. Pour faire bonne mesure, vous voulez soumettre à l'avenir les associations et les organisations gestionnaires à une surveillance administrative et policière, avec menaces de sanctions lourdes à l'encontre des personnels et des organismes qui refuseraient de participer à cette répression.

Mais où est le respect des conventions internationales et de notre propre Constitution ? Non, il faut revenir au respect absolu du droit d'asile !

Une politique de l'immigration devrait au contraire viser à raffermir les liens entre la France et l'Afrique, dans le respect d'un passé commun.

Pour y parvenir, il faudrait renforcer dans les consulats les moyens en personnels, afin d'instruire correctement et rapidement les demandes de visas. Or vous avez au contraire décidé d'organiser un embouteillage monstre par les nouvelles dispositions de délivrance sur place des visas de long séjour.

Il faudrait aussi donner plus de souplesse aux allers et retours entre la France et les pays tiers, mettre fin, dans les préfectures, aux interminables heures d'attente auxquelles sont astreints les demandeurs de titre de séjour, développer la coopération en mettant un terme au pillage des matières premières et des productions agricoles des pays sources de l'immigration.

Il faut enfin aider à l'équipement et au développement économique de ces pays et former sur place les personnels nécessaires à ce développement.

Le Gouvernement a échoué dans le règlement du problème de l'immigration. Il a cru, à tort, que la solution pouvait être ramenée au tout répressif. Ainsi, il a abouti au maintien, voire à l'augmentation du nombre de clandestins voués à l'exploitation, à la détresse, à la misère. Oui, le Gouvernement a échoué, ici comme dans le domaine de la sécurité !

Les opérations « coup-de-poing », les rodomontades, l'affichage n'ont jamais fait une politique. La gesticulation ne remplacera jamais l'action en profondeur, concertée et réfléchie.

Le Gouvernement présente un second projet de loi sur l'immigration, dans la foulée du précédent, deux ans et demi plus tard. Il se vante de viser le chiffre de quelque 25 000 reconduites aux frontières par an, mais la moitié des reconduites concerne l'outre-mer, où les droits de l'homme sont d'ailleurs tout autant bafoués. Ainsi, 7 500 reconduites sont effectuées depuis la seule île de Mayotte. Devant l'Assemblée nationale, M. Christian Estrosi a avancé le chiffre de 40 000 reconduites. Voilà qui serait nouveau !

Le présent projet de loi est détestable à plus d'un titre, dans sa substance bien sûr, mais aussi dans ses motivations, puisqu'il a pour objet de placer les prochaines élections sur un terrain que le Gouvernement croit favorable à ses intérêts et de recycler les voix d'extrême droite à son profit. Peu importe, dans ces conditions, que le Parlement et la majorité actuelle subissent un véritable dévoiement des institutions.

Toutes ces raisons nous conduiront donc à nous opposer fermement à un projet de circonstance, de surcroît liberticide.

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