Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais indiquer en préambule que je suis de ceux qui côtoient au quotidien l'immigration clandestine.
Ce texte important, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, présente à mes yeux un double mérite.
Tout d'abord, il vise à réguler et à maîtriser, dans le cadre de la loi républicaine, ces mouvements migratoires qui sont, avec les problèmes de l'énergie, l'un des grands défis, l'un des enjeux majeurs de notre époque. Aucune région du monde n'échappe à ce phénomène.
Tantôt massives à la frontière mexicaine des États-Unis, tantôt sporadiques à travers les étendues désertiques du Sahara, les migrations humaines affrontent tous les dangers des traversées maritimes, dans le détroit de Gibraltar, dans le canal du Mozambique, sur les rivages de l'archipel des Canaries.
Ce constat préoccupant, nous le faisons presque tous les jours à Mayotte, territoire qui subit depuis de longues années, et dans un climat d'exaspération croissante de la population, une véritable invasion, d'origine comorienne pour l'essentiel, et très majoritairement clandestine.
C'est pourquoi le second mérite du texte aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat est de comporter plusieurs dispositions intéressant l'outre-mer français qui prennent en compte ses situations et ses problèmes spécifiques.
Je tiens à remercier très chaleureusement - c'est le mot qui convient lorsque l'on évoque l'outre-mer ! - tous nos collègues sénateurs membres de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine qui ont bien voulu participer à la mission d'information et d'étude à Mayotte avant d'en faire rapport et de présenter des propositions à notre assemblée, s'agissant des conséquences lourdes de cette immigration, mal contrôlée sur place et encore plus mal maîtrisée.
J'ai parlé de spécificités locales : elles sont évidentes à Mayotte et appellent, de toute urgence, la mise en oeuvre d'une politique d'ensemble, bien adaptée à nos particularismes.
Il faut, avant toute chose, constater les progrès continus de Mayotte depuis une vingtaine d'années, dont nous nous félicitons. Soyons clairs : ces progrès économiques, sociaux, sanitaires et éducatifs sont, à l'évidence, la conséquence très directe de la volonté exprimée et constamment réitérée, par les Mahorais, de demeurer au sein de la République française, alors que les Comoriens ont choisi librement l'indépendance lors d'un référendum.
On parlait, à l'époque, de « vent de l'Histoire ». Ces mêmes Comoriens reprochent aujourd'hui aux Mahorais d'y avoir résisté, et n'hésitent pas à traverser la mer en kwasa kwasa pour rejoindre Mayotte et bénéficier des progrès, de la liberté et des principes démocratiques.
Pour leur part, les Mahorais ont lucidement refusé - et j'ai été l'un des acteurs de cet épisode - de s'engager dans ce qui nous était apparu comme une aventure sans issue. De ce combat, souvent difficile, pour le progrès et le développement, pour la liberté et la paix, Mayotte commence à percevoir les premiers résultats, encore timides mais certains. Nous ne saurions admettre qu'une telle perspective soit anéantie par des dérèglements d'une immigration étrangère d'une ampleur exceptionnelle et dont la clandestinité accroît encore les dangers.
Mes chers collègues, je le dis aujourd'hui très simplement, mais avec gravité : l'immigration en provenance des pays voisins pose à Mayotte une question de survie.
Les chiffres, tout d'abord, donnent la mesure du poids démographique de l'immigration étrangère : même si ce type d'évaluation demeure sujet à caution, on estime aujourd'hui à 60 000 le nombre des étrangers vivant à Mayotte, soit plus du tiers de la population totale ; quant au nombre des clandestins, il serait de 45 000, c'est-à-dire les trois quarts de l'effectif des étrangers à Mayotte.
L'afflux de nouveaux immigrants clandestins risque de conduire à bref délai, suivant l'expression figurant dans le rapport de la mission parlementaire, « à une situation démographique explosive », et ce en dépit des reconduites à la frontière, qui représentent, nous dit-on, le quart des opérations de cette nature réalisées dans l'ensemble français.
Force est de constater qu'au regard du flux continu des nouveaux arrivants chaque année ce bilan des reconduites à la frontière demeure très insuffisant, le plus souvent faute de moyens soit de rétention administrative, soit de transport.
Un autre facteur de la croissance à terme de la démographie mahoraise réside dans le nombre de naissances déclarées par des femmes comoriennes venues à Mayotte dans l'espoir que leurs enfants pourraient ainsi acquérir la nationalité française. Telle est, en effet, la motivation principale de ces personnes qui croient, à tort, que le simple fait de naître à Mayotte suffit à conférer à l'enfant la nationalité française.
L'on ne saurait, enfin, ignorer que de nombreuses procédures fictives et abusives de reconnaissance de paternité de jeunes Comoriens modifient sensiblement la situation démographique de Mayotte, dont le territoire exigu de 375 kilomètres carrés supporte aujourd'hui une densité de population très élevée, de l'ordre de 425 habitants au kilomètre carré.
Les conséquences de ces déséquilibres sur le système hospitalier et sur nos dispensaires, en situation quasi permanente de surcharge, ont été maintes fois analysées. De même, nos écoles, en dépit des efforts cumulés de l'État et du conseil général de Mayotte, présentent des insuffisances continuelles, en termes de nombre de places ou de qualité d'enseignement, devant l'afflux des demandes issues de la population immigrée.
Mais à ces coûts visibles, il faut, de plus en plus, ajouter les coûts invisibles résultant des dommages causés notamment à l'environnement mahorais : les parlementaires en mission ont pu voir sur le terrain les conditions déplorables d'habitat dans ces villages d'immigrés comoriens.
On peut comprendre, dans ces conditions, l'exaspération de la population mahoraise, qui attribue, non sans raison, l'augmentation visible de la délinquance à la présence trop nombreuse des irréguliers et des clandestins.
Il est devenu urgent de définir et de mettre en oeuvre une politique d'ensemble susceptible de conjurer les risques de toute nature liés au refus et au rejet de cette immigration clandestine par les Mahorais.
Il importe d'abord de prendre conscience de la situation particulière de Mayotte, qui se trouve au sein d'une région à la fois très pauvre et très peuplée. Il faut redire que les avancées de l'économie et de la société mahoraises continuent d'exercer inévitablement un effet d'attirance sur les populations étrangères voisines, soucieuses de mieux vivre et avides de libertés à la française.
Ces considérations commandent la définition d'une politique à long terme, qui traite aussi bien les causes que les conséquences de ces pressions migratoires.
Tout d'abord, il convient de perfectionner et de mieux coordonner les instruments de lutte contre l'immigration clandestine et ses filières, qu'il s'agisse de la surveillance côtière et maritime, du contrôle des identités ou de la vérification des moyens de transport. Nos forces de police et de gendarmerie, que je tiens à remercier pour leur dévouement, doivent être dotées des moyens humains et techniques les plus adéquats. Nos procédures administratives concernant la rétention ou les reconduites à la frontière doivent être rendues plus efficaces.
Je veux aussi indiquer à M. le ministre de l'outre-mer combien j'approuve les dispositions du projet de loi visant à améliorer les dispositifs relatifs aux actes de l'état civil à Mayotte, où se multiplient, depuis quelque temps, les faux papiers. Ce travail de longue haleine est lancé depuis plusieurs années ; il doit être poursuivi et développé.
Mais l'essentiel réside évidemment dans la relance et l'approfondissement de la politique française de coopération régionale. La Réunion et Mayotte doivent devenir des pôles dynamiques, dans le cadre rénové de véritables contrats de partenariat incluant et conjuguant à la fois actions de développement et maîtrise de l'émigration, éducation, santé et formation des hommes.
Telle est, selon nous, la véritable signification du codéveloppement, qui ne peut procéder que de responsabilités partagées.
La multiplication des flux migratoires apparaît, en définitive, comme l'une des manifestations de la mondialisation, c'est-à-dire de l'élargissement considérable des échanges de biens, de services et de personnes. Une telle évolution est également favorisée par les facilités de transports et les communications modernes.
Mais ce sont surtout les écarts de développement entre pays, régions et continents qui, en s'aggravant, risquent d'entraîner, à l'avenir, de véritables exodes de populations.
Déjà les frontières se ferment de plus en plus. La question du développement des pays pauvres et émergents reste plus que jamais d'actualité.