Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 6 juin 2006 à 21h45
Immigration et intégration — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui est la trente-huitième réforme proposée sur l'immigration depuis 1980. Il survient moins de trois ans après l'adoption de votre première loi sur l'immigration, alors que cette dernière n'a encore fait l'objet d'aucun bilan ni d'aucune évaluation.

Ce nouveau texte illustre les motivations qui animent des ambitions présidentielles. Dans cet unique objectif, vous vous lancez dans une course effrénée pour rabattre les voix des électeurs à la droite de la droite.

Disons-le franchement, cette loi est avant tout une loi d'affichage, une loi de marketing politique. Votre Gouvernement tente de faire croire que notre pays « subit » une immigration, qui apparaît comme une sorte d'invasion continue d'étrangers. Ainsi, vous créez la peur, pour ensuite rassurer par un discours démagogique et populiste.

Or la vérité, monsieur le ministre, c'est que la France, quels que soient les gouvernements, de droite comme de gauche, a toujours choisi son immigration et ne l'a jamais subi. Il faut le dire au peuple français !

Si vous le permettez, effectuons un petit travail de mémoire, salutaire à tout le monde. La France n'a jamais subi l'immigration lorsque celle-ci prenait le visage de soldats marocains, algériens ou sénégalais venus combattre pour sa libération. La France n'a jamais subi l'immigration, bien au contraire, lorsqu'elle a choisi de faire venir massivement des migrants pour sa reconstruction sociale et économique.

Vous nous dites qu'il n'y a jamais eu de politique d'immigration. Il serait plus juste de dire que cette politique d'immigration n'a pas été efficace.

En 1974, après avoir fermé les frontières à l'immigration, on a cherché à diminuer la population étrangère en fixant comme objectif le retour de 35 000 personnes par an. Cette politique du chiffre ne vous dit rien ? On ne s'est pas gêné pour « jeter le citron une fois pressé ». Avez-vous oublié le million du retour de Giscard, en 1977 ?

La France n'a jamais subi l'immigration, lorsque, à la suite du soutien de nos dirigeants à de nombreux dictateurs qui massacrent et appauvrissent leur peuple, on a créé l'asile territorial, statut précaire pour les victimes qui cherchent une protection.

Le droit français en matière d'immigration n'a jamais été laxiste. Il n'a jamais octroyé des droits supplémentaires aux migrants étrangers, bien au contraire ! Encore récemment, il a retiré le droit de vote des commerçants et artisans étrangers aux élections professionnelles.

Un autre fait démontre que cette loi n'est qu'une loi d'affichage. Vous prétendez qu'elle permet non seulement de combattre l'immigration clandestine, mais aussi de favoriser l'intégration des migrants. Or la réalité contredit vos arguments. En effet, cette loi « fabriquera » de nouveaux clandestins et brisera des familles entières. Elle produira davantage de précarité et d'exclusion, et sera à l'origine de toujours plus d'inégalités et d'injustices.

Ce texte conforte votre dynamique qui consiste à déstabiliser la situation juridique des migrants installés régulièrement en France. Vous créez une multitude de statuts nouveaux permettant d'assigner à résidence pour une durée illimitée.

Cette déstabilisation passe notamment par la suppression du renouvellement de plein droit de la carte de résident. Vous poussez dans la pire insécurité juridique des familles entières qui, de facto, sont installées légalement en France depuis plus de dix ans.

Cette déstabilisation est encore renforcée par l'instauration du retrait automatique des différents titres de séjour dès que la moindre condition d'éligibilité disparaît. Vous procédez ainsi à la quasi-suppression du droit au séjour.

Un autre aspect de votre projet de loi doit être mis en lumière : l'arbitraire renforcé de l'administration, qui décide au cas par cas, sur la base de critères flous que vous nommez « à titre exceptionnel » ou « à titre humanitaire », sans aucune définition juridique précise.

Ainsi, vous confortez de façon exorbitante le caractère discrétionnaire des pouvoirs de l'administration, en affaiblissant le principe de souveraineté de l'État exprimé dans la loi.

Outre la déstabilisation du statut des migrants en situation régulière, vous mettez en place des mécanismes qui vont produire encore plus de clandestinité et d'exclusion.

Parmi ces mécanismes figure l'abrogation du droit à régularisation au bout de dix ans de présence sur le territoire. Cette question doit requérir toute notre attention. En effet, le Gouvernement n'a eu de cesse de faire croire que cette disposition représentait une sorte d'appel d'air aux migrants clandestins : ceux-ci déferleraient en hordes invasives dans le but de bénéficier de ce dispositif, qui serait une faille dans notre droit.

Or la réalité est tout autre ! D'une part, cette disposition ne concerne que 2 500 à 3 000 personnes, donc un nombre infime de migrants. D'autre part, vous faites croire que ce que l'on appelle la « régularisation au fil de l'eau » constituerait une sorte de prime à la clandestinité. Quelle ineptie !

Comme si des milliers de personnes, en Afrique, au Maghreb ou en Asie, mettaient en oeuvre des stratagèmes consistant à tout faire pour entrer clandestinement en France et y résider pendant plus de dix ans, sans le moindre statut légal, dans la plus grande précarité sociale et humaine, victimes de toutes les exploitations. Feraient-ils tant de sacrifices pour attendre une hypothétique régularisation au bout de ce long et douloureux parcours au but d'ailleurs incertain ?

Connaissez-vous la difficulté, pour ces « clandestins », d'acquérir les preuves de leur présence en France ? Soyons sérieux, monsieur le ministre, il s'agit non pas d'une prime, mais simplement d'une reconnaissance de leur intégration, et surtout de leur volonté de vivre dans la dignité.

En plus de cette disposition, vous restreignez, ou plutôt vous faites disparaître, toute une série de droits et garanties inhérents aux conventions signées par la France, au mépris de nos engagements internationaux, toujours avec la même tactique : la tromperie !

Vous nous faites croire qu'il s'agit d'harmonisation de directives européennes. Ces dernières seraient-elles contraires à la Convention européenne des droits de l'homme ?

Avec cette même apparente humanité, vous nous faites croire que vous avez supprimé la double peine, alors que vous l'avez en fait maintenue, y compris pour les non expulsables ou les malades. J'ai d'ailleurs plusieurs cas à vous soumettre, si vous le désirez !

D'un côté, vous voulez nous laisser penser que vous vous souciez de l'intégration des étrangers résidant régulièrement, alors que vous ne faites que compliquer les conditions d'intégration. On ne peut pas se contenter de mettre en oeuvre un contrat dit « d'accueil et d'intégration », d'ailleurs annoncé sans moyens financiers ni garanties juridiques, pour faire croire que l'on oeuvre en faveur de l'intégration des résidents étrangers. Où sont donc, par exemple, ces droits politiques qui permettraient cette meilleure intégration ?

D'un autre côté, vous durcissez au maximum les conditions d'accès à la nationalité française. Et vous osez motiver l'ensemble de ces dispositions iniques en partant du préalable de suspicion généralisée de l'étranger. Comme si tout ce qu'il fait est entaché d'une présomption de culpabilité et de mensonge : faux étudiant, faux touriste, faux malade, faux conjoint, faux parent, etc. Cette présomption ne se limite d'ailleurs pas aux actes du migrant : elle s'étend également à tout Français qui veut l'épouser, le reconnaître comme parent, ou tout simplement lui venir en aide.

Comme preuve supplémentaire de votre arbitraire, nous apprenons ce matin la régularisation de huit cents familles dont les enfants sont scolarisés. Nous ne pouvons que nous satisfaire de cette décision, en espérant qu'elle sera plus effective que l'abolition de la double peine.

Néanmoins, celle-ci révèle bien votre comportement : dans un premier temps, faire peur en faisant régner l'insécurité ; dans un second temps, attribuer, distribuer ou confisquer, sanctionner, selon votre bon vouloir. Sachez que le fait du prince n'est pas digne d'une République démocratique !

Vous agitez aussi ostensiblement l'argument du désengorgement de l'administration. Mais, dans les faits, ce texte ne désengorgera en rien les services de l'État. Bien au contraire, il va non seulement déplacer les contentieux, mais aussi en créer de nouveaux. Le travail des préfectures ne sera pas allégé parce que vous supprimez les notions d'octroi et de renouvellement de plein droit de certains titres de séjour. Vous en rajoutez en multipliant les catégories de cartes de séjour, donc les situations différentes à traiter.

De plus, parce que les commissions actuelles fonctionnent mal, vous créez de nouvelles « commissions-gadgets ». Savez-vous qu'un récent rapport, remis à M. Raffarin, accuse la France d'une grave maladie : la « commissionnite » ?

Vous allez faire peser sur les administrations préfectorales un fardeau de travail supplémentaire. Il en sera de même pour les services consulaires à l'étranger ; les ambassades seront, elles aussi, submergées en termes de travail et de contentieux à venir.

En instaurant l'obligation de produire un visa de long séjour, dont les refus seront encore plus nombreux en raison des conditions à remplir, vous procédez au déplacement du contentieux du séjour vers le contentieux du refus de visa. À cela s'ajouteront les procédures de recours à l'obligation de quitter le territoire.

Ainsi, par votre loi, vous contribuerez à l'engorgement des tribunaux administratifs, auquel s'ajoute une légitimité contestable, en imposant un juge unique, contrairement au principe de la collégialité. En fait, il s'agira d'un droit d'exception pour les exclus et les plus fragiles, les pauvres, les jeunes, les handicapés. Vous instaurez alors une justice à double vitesse.

Cette loi démontre également d'autres contradictions de votre discours prétendument humaniste : d'un côté, vous annoncez que vous préparez une France ouverte sur des partenariats de codéveloppement avec des pays pauvres ; de l'autre, vous instaurez des mécanismes qui permettront de piller encore plus les pays du Sud:

Vous instaurez une nouvelle forme de « colonisation », qui transforme les pays du Sud en self-service de main d'oeuvre et de cerveaux à bas prix. La France continue à être la prédatrice des ressources naturelles des pays du Sud, notamment d'Afrique, où elle a d'ailleurs longtemps soutenu - et elle continue de le faire - des dictateurs. Désormais, vous allez piller leurs ressources intellectuelles et humaines, qui sont les plus précieuses, leurs plus brillants étudiants et leurs rares chercheurs.

Après l'adoption par votre majorité d'une loi proposant de reconnaître le caractère positif de la colonisation, vous continuez dans la même logique en réinstaurant une gestion coloniale de l'immigration.

Hier, on se rendait en Algérie, au Maroc, au Congo ou en Indochine afin de faire venir en France les plus endurants, les plus costauds, les moins contestataires. Désormais, seront systématiquement arrachés à ces pays les plus intelligents et les mieux formés, aux frais du pays d'origine, c'est-à-dire ceux dont ces pays ont le plus besoin.

En faisant croire que vous rouvrez les frontières à l'immigration du travail, vous procédez, en réalité, à une politique sélective et utilitariste de l'immigration. Seul compte l'étranger qui peut rapporter quelque chose à la France, au mépris des intérêts des pays du Sud.

Alors, de quel codéveloppement parlez-vous : celui de la France ou celui des pays sous-développés ?

Désormais, un Malien, une Pakistanaise, un Marocain ne devrait plus résider en France parce qu'humain, mais juste en tant qu'ingénieur, médecin, cuisinier, maçon ou plombier, et parce que nous en avons besoin. Et dans quelles conditions ? Nous savons qu'ils sont souvent largement moins bien payés que les Français qui occupent les mêmes postes, comme le montre l'exemple des médecins étrangers !

Enfin, monsieur le ministre, je tiens à vous dire devant notre assemblée que, si votre projet de loi présente un danger pour les droits et les libertés des migrants, il constitue également une épée de Damoclès pour tous les Français ! Ce texte porte atteinte non seulement à la dignité des étrangers, mais aussi aux droits fondamentaux et aux libertés de valeur constitutionnelle, comme le droit d'asile, le respect de la vie privée ou le droit de vivre en famille.

Vous vous appliquez à faire reculer tous ces droits pour les étrangers. Mais sachez que l'on ne peut impunément remettre en cause les droits fondamentaux et les libertés des uns, en l'occurrence des migrants, sans porter atteinte, in fine, aux droits et aux libertés des autres, c'est-à-dire des Français. En restreignant radicalement le droit au mariage, au divorce ou les conditions de naturalisation, chaque fois que les droits des migrants régressent, ce sont les droits de tous qui reculent peu à peu !

Pour conclure, monsieur le ministre, le projet de société que vous nous proposez, c'est non pas la France de la rupture, mais la France des fractures : fractures entre riches et pauvres, entre Français et étrangers, entre les personnes qui méritent votre attention et celles qui en sont indignes, qui ne méritent que violences, humiliation et mépris !

Monsieur le ministre, cette France-là, cette France qui ne ressemble pas à la France d'aujourd'hui, ni à celle de demain - du moins je l'espère -, mais qui ressemble à la France d'hier, une époque bien triste de notre histoire, nous, les Verts, nous la refusons. Sachez que nous la combattrons partout, jusqu'au bout, dans toutes les institutions et dans toutes les rues de notre pays !

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