Intervention de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Réunion du 6 juin 2006 à 21h45
Immigration et intégration — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Soibahadine Ibrahim RamadaniSoibahadine Ibrahim Ramadani :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration vise à la maîtrise des flux migratoires dans notre pays.

Après la loi du 26 novembre 2003, qui avait pour objectif la lutte contre l'immigration irrégulière, le présent texte, qui entend privilégier une immigration « choisie », est fondé sur l'analyse selon laquelle « l'immigration demeure aujourd'hui sans rapport avec les capacités d'accueil de la France et ses besoins économiques ».

Si l'immigration irrégulière est une réalité inacceptable dans l'Hexagone, elle l'est encore davantage en outre-mer, en raison de son ampleur et de ses conséquences néfastes.

Ainsi, alors que l'on estime à 400 000 le nombre de clandestins qui vivent sur le territoire national, ils sont 35 000 en Guyane, soit 25 % de la population, 5 000 à 10 000 en Guadeloupe, soit 2 % de la population, et entre 50 000 et 60 000 à Mayotte, où la situation est la plus préoccupante, soit 30 % de la population. Avec une proportion identique, écrit François Baroin, la France métropolitaine compterait dix-huit millions de clandestins !

Il s'ensuit, pour Mayotte, l'engorgement des services publics d'éducation et de santé, la saturation des terrains sportifs ainsi que du centre pénitentiaire, le développement du travail clandestin et de trafics en tous genres, la prolifération de zones d'habitat illégal, précaire et insalubre, la montée de la violence et des tensions sociales, ainsi que la multiplication des drames en mer. Les quatre commissions parlementaires d'information et d'enquête qui se sont rendues à Mayotte entre septembre 2005 et février 2006 dressent le même constat.

Face à cette situation explosive, la réponse de l'État doit être ferme, solidaire et humaine.

La fermeté, d'abord, consiste à renforcer les moyens matériels et humains affectés au contrôle et à la surveillance de nos frontières maritimes, dont on connaît la porosité. En plus des mesures déjà prises par le ministre de l'intérieur, le Premier ministre a annoncé l'installation d'un troisième radar à Mayotte, auquel il faudra ajouter un hélicoptère, comme le suggère la commission d'enquête du Sénat, afin de mieux surveiller ce bras de mer de quatre-vingts kilomètres qui sépare Mayotte de l'île d'Anjouan, l'île comorienne la plus proche, et intercepter les embarcations des passeurs de clandestins qui souvent se mêlent, dans cette zone, à celles des pêcheurs.

J'en viens, ensuite, à la solidarité. La lutte contre l'immigration irrégulière est une mission régalienne de l'État, mais bien souvent, à Mayotte, ce sont les collectivités territoriales, en particulier les communes, qui assument l'essentiel de la charge résultant de cet afflux de population.

À Mayotte, dans l'enseignement du premier degré, les enfants de parents étrangers en situation irrégulière représentent 30 % des effectifs à l'école élémentaire et 25 % à l'école maternelle. Cet afflux d'enfants supplémentaires amplifie les rotations de classes et réduit à vingt-quatre heures trente l'enseignement hebdomadaire, au lieu des vingt-six heures fixées par la loi.

Afin de résorber le déficit en salles de classe et d'absorber la poussée démographique, il faudrait prévoir cinquante classes nouvelles par an pendant au moins cinq ans et cent quatre-vingts classes maternelles pour pouvoir accueillir tous les enfants âgés de trois à cinq ans.

Par ailleurs, les terrains sportifs sont saturés : pour satisfaire les besoins dans ce domaine, il faudrait construire, au cours des cinq prochaines années, vingt-quatre plateaux polyvalents et douze terrains de football pour un coût de revient prévisionnel de 12 millions d'euros. Les dépenses de construction, d'entretien et de mise aux normes des équipements scolaires et sportifs sont hors de portée des finances locales.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, dans le cadre des prochains contrats de développement, il faudra alléger ces charges pour les collectivités locales, grâce à une clé de répartition exceptionnelle et à l'augmentation de la DGF des communes.

Enfin, il faudra faire preuve d'humanité.

En effet, la lutte contre l'immigration irrégulière ne doit pas se limiter à l'augmentation du nombre de reconduites à la frontière et au renforcement des moyens juridiques. Nous devons aussi, parallèlement, encourager les retours volontaires dans les pays d'origine, régulariser les immigrés qui peuvent l'être, notamment pour des besoins économiques, mais aussi donner la possibilité aux cent trente-neuf demandeurs d'asile est-africains de vivre décemment dans l'île de Mayotte, puisqu'ils ont la liberté de circuler.

S'agissant de la coopération régionale, j'ai bien noté, monsieur le ministre, que l'aide de la France en faveur de l'Union des Comores va augmenter de 60 % et que l'Union européenne va débloquer 15 millions d'euros par an pour la refonte complète du système éducatif de ce pays, parallèlement à l'appui de la stabilisation des institutions et à la construction d'un État de droit. Cela va dans le bon sens !

Cependant, compte tenu de l'état de délabrement des Comores, de la nécessité d'accompagner la transition démocratique en cours et, dans le même temps, de réduire sans délai la forte pression migratoire qui s'exerce sur Mayotte, il faut, à mon avis, aller au-delà de la coopération bilatérale. Je plaide pour un plan Marshall en faveur des Comores, sur la base d'un financement européen et international, coordonné par la France.

Ce plan prendrait la forme d'un contrat pluriannuel de développement d'une durée de dix à quinze ans, ayant pour objectif la relance de la croissance, de l'ordre de 5 % par an, et la réduction de la pauvreté de 50 % à l'horizon 2015. Le coût des besoins urgents est estimé à 315 millions d'euros.

Ce plan comprendrait un programme de rattrapage économique, une mise à niveau juridique, indispensable, et un plan d'adaptation des finances publiques ; sa mise en oeuvre nécessiterait des personnels d'encadrement et de gestion du développement.

Plusieurs pays ont déjà exprimé leur volonté de participer à cet effort, tels que la Chine, la Libye et les bailleurs de fonds réunis à l'île Maurice en 2005, avec une promesse de contribution de 216 millions d'euros.

Cette réponse équilibrée est de nature à accroître l'efficacité de notre action contre l'immigration irrégulière, à alléger les charges des collectivités locales et à contribuer à renforcer l'influence française dans la région de l'océan Indien.

Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le ministre, je voterai sans hésitation votre projet de loi.

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