Intervention de Philippe Bas

Réunion du 12 février 2007 à 15h00
Protection de l'enfance — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de revenir devant vous avec ce texte sur la protection de l'enfance en deuxième lecture, après le débat que nous avions déjà eu au Sénat au mois de juin dernier.

Comme vous le savez, ce projet de loi a fait l'objet d'une grande concertation. Je l'ai en effet voulu représentatif de la réflexion menée au cours de multiples débats et forums par tous les professionnels du secteur de la protection de l'enfance, lesquels se sont aussi réunis au sein de nombreux groupes de travail pour préparer cette réforme.

L'objectif central est de mettre fin, dans notre pays, aux situations encore si nombreuses où tant d'enfants souffrent en secret, en silence pendant des années sans que personne s'en aperçoive et leur vienne en aide. Ce sera possible grâce à une politique qui donnera une plus large place à la prévention, qui rendra plus efficace le signalement des situations de danger et qui permettra de diversifier nos modes d'action en faveur des enfants en difficulté et aussi, bien entendu, de leurs familles.

En effet, il s'agit, comme nous avons l'habitude de le faire dans notre pays, de permettre le plus possible aux parents de jouer pleinement leur rôle auprès des enfants, sans exclure naturellement les situations extrêmes dans lesquelles cela n'est plus possible et où il faut alors intervenir dans l'urgence.

Je tiens à saluer particulièrement votre travail, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que celui de la commission des affaires sociales et de son rapporteur M. André Lardeux.

Cette loi est la vôtre. Elle est la vôtre parce qu'elle reprend nombre de propositions formulées dans des rapports issus de la Haute Assemblée : ceux de Mme Marie-Thérèse Hermange, de M. Philippe Nogrix et de M. Louis de Broissia.

Cette loi est aussi la vôtre parce que, aux termes de l'article 3 de la Constitution, vous représentez les collectivités locales de notre pays et que les départements sont, depuis 1983 les premiers acteurs de la protection de l'enfance.

Cette loi est encore la vôtre parce que ce sont les conseils généraux, à travers l'ensemble des débats qu'ils ont organisés dans la plupart des départements de France à la fin de l'année 2005, qui nous ont fourni la matière de ce texte grâce à leur expérience des difficultés de la protection de l'enfance et de l'évolution des situations auxquelles l'aide sociale à l'enfance est confrontée.

L'une des ambitions de la réforme est de faire une référence nationale des meilleures pratiques professionnelles mises en oeuvre dans plusieurs - beaucoup ! - de départements, pour que tous les départements de France puissent à leur tour en bénéficier.

Ce sont naturellement encore les conseils généraux, et leurs services de l'aide sociale à l'enfance et de la prévention maternelle et infantile, qui appliqueront le texte dont nous débattons aujourd'hui. Les présidents de conseil général auront à porter cette réforme ; c'est avec eux que je l'ai préparée. Ils ont été le fer de la lance de la concertation très large que j'ai menée pendant plus d'un an. Ils se sont engagés dans la réforme en organisant dans leurs départements des journées de travail sur la protection de l'enfance.

Ce texte, qui a été adopté sans aucune opposition au Sénat comme à l'Assemblée nationale, fait aujourd'hui l'objet d'un consensus global quant à l'esprit de la réforme et aux modalités d'action que nous devons mettre en oeuvre.

M. Lardeux exprime dans son rapport sa satisfaction sur l'ensemble du texte, sur son économie et sur ses objectifs. Je tiens à l'en remercier, ainsi que la commission des affaires sociales.

Il me paraît très important, sans revenir sur l'ensemble du texte, de rappeler les points d'accord conséquents qui se sont déjà dégagés entre les deux assemblées sur le fond de la réforme.

Tout d'abord, le rôle du président du conseil général est conforté. Il est le chef de file et le référent de la protection de l'enfance. C'est fondamental si nous voulons assurer une plus grande continuité et une plus grande cohérence de la prise en charge de l'enfant dans le temps.

Ensuite, les objectifs de la réforme vont se traduire par des actions nouvelles.

Comme je le disais d'entrée de jeu, le premier objectif est le renforcement de la prévention, pour agir avant que des drames ne se produisent. Cela suppose de multiplier les points de contact avec l'enfant, sa famille et les professionnels pour prévenir les difficultés et pouvoir soutenir les familles avant que la situation ne se détériore.

La prévention maternelle et infantile joue un rôle essentiel dans cette démarche. Cette priorité donnée à la prévention a encore été accrue par l'Assemblée nationale, grâce à l'introduction de deux nouvelles visites médicales obligatoires à la neuvième et à la quinzième année de l'enfant, en plus de celles que vous aviez vous-mêmes ajoutées au texte initial.

Le deuxième objectif est l'organisation du signalement, de l'alerte, pour que tous ceux qui sont en contact avec l'enfant puissent partager les informations qui permettront de mieux l'aider et d'agir à temps.

Si le secret professionnel est vraiment nécessaire pour assurer la relation de confiance avec les parents, relation sans laquelle beaucoup de difficultés demeureraient inconnues des services sociaux, il ne doit pour autant pas faire obstacle au partage nécessaire de l'information entre professionnels également assujettis au secret, dans la limite de ce qui est nécessaire à la bonne prise en charge de l'enfant. C'est exactement ce que prévoit le texte que vous avez adopté en première lecture au mois de juin dernier.

Ne laissons plus aujourd'hui la maîtresse d'école, l'infirmière scolaire, l'assistante sociale, l'assistante maternelle chacune seule face à sa conscience quand il y a doute sur la situation réelle d'un enfant dont on ne sait pas au juste si le comportement résulte de sa psychologie, de son caractère, de sévices psychiques, sexuels ou de maltraitance ne laissant pas de traces sur son corps.

Pour cela, permettons à chaque professionnel de prendre appui sur cette cellule départementale du signalement - elle a déjà été expérimentée dans un certain nombre de départements - que le sénateur Philippe Nogrix avait recommandé de généraliser et qui est l'une des grandes innovations de cette réforme.

Enfin, le troisième objectif est la diversification des modes d'accueil, pour que chaque enfant soit pris en charge d'une façon personnalisée et adaptée à sa situation.

Avec cette loi, nous ouvrirons grand tout l'éventail des possibilités pour que chaque enfant dispose d'une solution conçue pour lui.

De nouveaux modes d'accueil doivent donc être favorisés. Jusqu'à présent, les professionnels ne pouvaient trop souvent choisir qu'entre placement et maintien à domicile de l'enfant sans que toutes les formules intermédiaires soient suffisamment explorées, alors que j'ai pu constater, au cours de mes nombreux déplacements sur le terrain, la qualité des expérimentations réalisées.

Désormais, les professionnels pourront donc dépasser cette alternative binaire et recourir à d'autres modes de prise en charge : l'accueil de jour, l'accueil périodique, mais aussi l'accueil mixte, à la fois thérapeutique et éducatif pour les enfants qui souffrent de troubles psychologiques graves.

Les principaux points de la réforme que vous aviez adoptée ont également fait l'objet d'un consensus à l'Assemblée nationale. Je veux souligner les apports positifs de cette dernière au texte qui revient aujourd'hui devant vous.

Tout d'abord, le rôle de l'observatoire départemental a été renforcé. Cet observatoire, en plus de ses missions prévues initialement, pourra émettre des avis sur les politiques locales de protection de l'enfance.

L'Assemblée nationale a également clarifié le positionnement des services de protection maternelle et infantile, qui relèvent sans ambiguïté possible du président du conseil général lui-même.

Enfin, des dispositions visant à assouplir le congé de maternité ont été adoptées. Elles permettront à la future maman, avec la garantie absolue d'un avis conforme du médecin ou de la sage-femme, de reporter jusqu'à trois semaines de son congé prénatal après la naissance de son enfant afin de pouvoir passer plus de temps avec ce dernier, au moment où il est si nécessaire de construire le lien mère-enfant. Cette disposition a reçu l'accord à la fois du collège national des gynécologues-obstétriciens français, de l'ordre des sages-femmes et de l'ensemble des professionnels concernés.

Toutes ces modifications au texte que vous aviez précédemment voté devraient rencontrer votre assentiment, mesdames, messieurs les sénateurs. M. le rapporteur de la commission les a d'ailleurs saluées.

Par ailleurs, un certain nombre de dispositions ont été ajoutées pour mieux protéger l'enfant contre les dérives sectaires. La commission des affaires sociales, tout en admettant la nécessité d'améliorer aujourd'hui la protection des enfants, petits et grands, contre ces dérives sectaires, a déposé des amendements sur ce point afin d'améliorer les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale.

Les débats que nous aurons sur ces sujets lors de l'examen des différents amendements seront utiles. Le Gouvernement les abordera dans l'esprit de trouver les meilleures solutions possibles et de répondre ainsi aux questions que vous avez souhaité à nouveau soulever avant l'achèvement de la discussion de ce texte.

Ce texte n'est évidemment pas parfait, mais il constitue selon moi, et selon le monde associatif qui s'est pleinement impliqué dans l'élaboration de la réforme, un progrès très important pour la protection des enfants menacés dans notre pays.

Bien sûr, la réflexion devra se poursuivre à l'avenir s'agissant, par exemple, du recueil de la parole de l'enfant ou du rôle joué par les administrateurs ad hoc. Ces questions sont très importantes.

Dans les cas de maltraitance, non seulement le recueil de la parole de l'enfant par la justice permet de disposer du témoignage de l'enfant, mais il constitue aussi, dans la plupart des cas, le seul moyen d'avoir des présomptions sur la matérialité des faits elle-même.

Le recueil de la parole de ce dernier doit donc être accompagné de solides garanties, afin d'éviter d'avoir à l'auditionner à nouveau, comme si son témoignage était imparfait. Compte tenu de la longueur des procédures, plusieurs années peuvent en effet s'écouler avant que l'on puisse revenir sur ses propos. Un enfant change si vite - plus vite que nous ! -, est soumis à de telles pressions, éprouve parfois un tel sentiment de culpabilité qu'il peut être difficile de mesurer la valeur de ses premières déclarations par rapport à celles qu'il a faites ensuite. La représentation nationale aura à nouveau à discuter de ce sujet.

Sur l'essentiel, ce texte apporte, me semble-t-il, des progrès majeurs, comme le soulignera la commission des affaires sociales. J'ai en effet pris connaissance de son rapport et je la remercie une fois de plus de la qualité du travail qu'elle a accompli pour préparer cette réforme et ce débat, que j'aborde naturellement dans un esprit de très grande ouverture.

Au-delà du texte lui-même, la concertation s'est poursuivie depuis le mois de juin, parallèlement au travail législatif. Ce texte n'est en effet pas comme les autres : l'application de la loi qui résultera des travaux parlementaires s'appuiera non pas sur des décrets et des arrêtés, mais sur le travail des associations de sauvegarde, des conseils généraux, des professionnels, de la justice, des hôpitaux, des services de santé, de l'aide sociale à l'enfance, de l'école, ainsi que sur les meilleures pratiques professionnelles recensées dans des guides élaborés avec les départements et les professionnels.

Depuis le mois de juin dernier, j'ai en effet réuni de nombreux professionnels de tous horizons. Quinze groupes de travail, composés d'élus, d'experts, de professionnels et d'associations venus de toute la France, se sont réunis pour partager leurs compétences. Cette concertation a permis l'élaboration de guides de bonnes pratiques, qui nous permettront de rendre homogène dans tout le pays notre manière d'aborder la prise en charge des enfants en difficulté.

J'ai également mis en place un forum de discussion sur Internet, ouvert à tous, pour recueillir des contributions, des points de vue, nourrir les échanges. Cette loi doit en effet être portée par tous ceux qui ont dédié leur vie professionnelle ou leur engagement associatif à la protection de l'enfance.

Ces guides nationaux d'accompagnement de la réforme sont pratiquement prêts. Ils permettront de favoriser la mise en oeuvre de la loi, d'expliquer ses objectifs, son esprit et ses dispositions. Ils permettront également de recommander des pratiques adaptées, fondées sur des initiatives et des expériences connues et évaluées.

Les thèmes de ces guides sont au nombre de cinq, à savoir la prévention, l'accompagnement, l'alerte, l'accueil et le fonctionnement de l'observatoire de la protection de l'enfance. Ces cinq guides seront disponibles dès le mois d'avril. Cette réforme, si elle est adoptée par le Parlement, comme je le souhaite, sera donc immédiatement opérationnelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion