Intervention de Valérie Pécresse

Réunion du 16 janvier 2008 à 15h00
Opérations spatiales — Adoption d'un projet de loi

Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, de tous les rêves qu'a caressés l'humanité tout au long de son histoire, il en est un, et un seul, qui a su rassembler autour de lui tous les habitants de notre planète, un rêve si profond qu'à chacun des instants décisifs qui ont rythmé son accomplissement, tous les hommes et les femmes de cette terre ont retenu leur souffle et regardé en silence s'accomplir l'un des plus beaux et des plus grands projets qui soit : la conquête de l'espace.

Aujourd'hui encore, cette histoire continue et, si nous avons pris l'habitude de voir se succéder les lancements réussis, quiconque les observe demeure tout aussi stupéfait et émerveillé que tous l'ont été, en 1957, avec la mise sur orbite du Spoutnik, en 1961, avec l'odyssée de Youri Gagarine, en 1969, enfin, avec les premiers pas d'Armstrong et d'Aldrin sur la lune.

Dans cette histoire, l'Europe a joué un rôle à part, elle qui a su, la première, faire du rêve spatial une aventure dénuée de toute arrière-pensée militaire et inspirée avant toute chose par l'esprit de paix, de fraternité et de concorde qui unit tous les peuples européens.

Cette aventure date aussi des premiers temps de l'histoire spatiale. Dès 1961, sous l'impulsion du général de Gaulle, le Centre national d'études spatiales, le CNES, était créé. Dès 1965, la fusée Diamant mettait en orbite le premier satellite français, le bien nommé Astérix A1.

Dès 1973, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France s'unissaient pour lancer ensemble le programme Ariane. Tel a été le point de départ d'une longue et fructueuse collaboration entre les différents pays européens, rassemblés, depuis 1975, au sein de l'ESA, l'Agence spatiale européenne, qui est à l'origine de quelques-unes des plus belles pages de l'épopée spatiale.

Dans cette aventure partagée, la France a su tenir toute sa place, en mettant à la disposition de l'ESA son centre spatial guyanais de Kourou, en construisant cet organisme d'excellence qu'est le Centre national d'études spatiales et en contribuant ainsi largement aux succès que nous connaissons aujourd'hui.

C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens, aujourd'hui, et avant toute chose, rendre hommage aux femmes et aux hommes de l'ESA, du CNES, du centre spatial guyanais, d'Arianespace et de tous les industriels impliqués, dont l'énergie, le talent et le dévouement ont permis de faire d'Ariane le premier lanceur de satellites commerciaux au monde, avec 80 % de parts de marché en 2007.

Cependant, ces succès, si exceptionnels soient-ils, ne doivent pas nous faire oublier que toute opération spatiale est une entreprise d'exception, soumise par là même à des aléas qui parfois nous échappent, et qui peuvent conduire à des incidents graves, susceptibles, comme le prévoient les conventions internationales, d'engager la responsabilité de l'État pour des sommes qui peuvent être très importantes et atteindre, sinon dépasser plusieurs milliards d'euros.

Pour que l'aventure spatiale continue et que la France y tienne demain encore tout son rang, il fallait donc instaurer un cadre législatif clair, permettant à notre pays de maîtriser les risques qui accompagnent nécessairement une entreprise d'une telle ampleur, tout en offrant aux opérateurs du secteur un environnement sûr et attractif.

En un temps où les lancements, les opérations et les opérateurs se multiplient, en un temps où la concurrence internationale devient chaque jour plus intense, cela devenait une nécessité : grâce au projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui, une réponse claire et adaptée est apportée.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte a été inscrit à l'ordre du jour de la Haute Assemblée dans des conditions singulières : bien que déposé sur le bureau du Sénat par le précédent gouvernement, il vous est soumis en séance publique avec plusieurs semaines d'avance sur le calendrier initialement fixé avec vous.

Je veux donc remercier la commission des affaires économiques, notamment son président, M. Jean-Paul Emorine, mais aussi son rapporteur, M. Henri Revol, d'avoir mené ses travaux dans les délais resserrés qui lui ont été impartis. Leur qualité n'en est que plus remarquable encore et le Gouvernement en tirera toutes les conséquences en soutenant l'ensemble des amendements présentés au nom de la commission par M. le rapporteur.

Henri Revol a en effet eu à coeur d'améliorer de manière particulièrement substantielle le texte que vous allez examiner aujourd'hui, afin de rendre le cadre juridique des opérations spéciales à la fois plus sûr et plus attractif encore.

Je me réjouis de constater que les propositions du rapporteur et les résultats de la concertation que j'ai organisée au cours des derniers mois au ministère convergent : je suis donc certaine que l'examen de ce texte par le Sénat permettra de l'améliorer encore, et ce de manière particulièrement nette.

Ce faisant, la Haute Assemblée apporte une nouvelle preuve de la très grande qualité du travail législatif qui s'accomplit en son sein, même lorsque des délais exceptionnellement courts lui sont imposés. §Je tiens à préciser que cette célérité nous a été dictée par la proximité de la date de suspension des travaux du Sénat en séance publique, au début du mois de février : je tenais, monsieur le président, à remercier le Sénat d'avoir bien voulu s'en accommoder.

Mais si cela a été possible, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est que la nécessité de clarifier le cadre normatif des opérations spatiales recueille un large consensus : c'est en effet un rapport du Conseil d'État, rendu public en avril 2006, qui a souligné l'absence d'un cadre juridique national clair en la matière.

Or cette absence est d'autant plus préjudiciable que la France est, conformément à ses engagements internationaux, financièrement responsable des dommages causés par des objets spatiaux lancés depuis son territoire ou par des opérateurs français, y compris lorsque ces derniers les envoient dans l'espace depuis l'étranger.

Si nous avons pu longtemps nous satisfaire des seules normes internationales en ce domaine, c'est que l'immense majorité des opérations spatiales étaient menées par l'État ou par des organismes qui entretenaient avec lui des relations particulièrement étroites. Dès lors, rien n'était plus normal que de voir notre pays se porter garant d'activités qu'il organisait et qu'il menait lui-même.

Tel n'est plus le cas aujourd'hui, car la puissance étatique n'a plus, de fait, le monopole des opérations spatiales. Partant, sa responsabilité peut être engagée, alors même qu'elle n'a été associée en rien aux activités dont pourrait découler un dommage.

À l'évidence, cela n'est pas satisfaisant : la garantie de la France ne peut aller qu'à des opérations qu'elle a autorisées et dont elle a pu s'assurer qu'elles se déroulaient dans le plein respect de l'ensemble des normes qui régissent des activités aussi délicates.

Il fallait donc clarifier les responsabilités de l'État et des opérateurs, afin que de ces deux parties aucune ne puisse céder à deux tentations.

La première, c'est la tentation, pour les opérateurs, de s'affranchir des normes de sécurité, de santé publique ou de respect de l'environnement, au motif que la garantie de l'État pourrait toujours être invoquée en dernier recours.

La seconde, c'est la tentation, pour l'État, de ne considérer d'un oeil favorable que les seules opérations organisées ou supervisées par lui, au détriment du développement des entreprises spatiales de notre pays, alors même que celles-ci, par leur souci d'innover constamment sur les plans technologique et scientifique, apportent une contribution majeure à la croissance de l'ensemble de notre économie.

En clair, il ne s'agit pas, par la voie de la régulation des opérations spatiales, d'imposer aux opérateurs français l'utilisation des services d'Arianespace et du Centre spatial guyanais.

Par là même, il ne s'agit pas non plus pour l'État de soumettre les opérateurs spatiaux à un contrôle exorbitant. Ce projet de loi vise simplement à permettre à la France de s'assurer que les opérateurs spatiaux, comme c'est le cas actuellement, conduisent leurs activités dans le respect des bonnes pratiques, avec compétence et vigilance.

C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, avec le texte qui vous est soumis aujourd'hui, loin de céder à l'une ou l'autre de ces tentations, propose bien au contraire de refonder le cadre juridique national sur le socle des responsabilités partagées de l'État et des opérateurs.

Il convient ainsi de tenir compte, tout d'abord, des responsabilités des opérateurs, puisque l'ensemble des opérations spatiales seront désormais soumises à autorisation.

Cette obligation nouvelle permettra de certifier que les demandeurs présentent toutes les garanties morales, financières et professionnelles qu'exige l'exercice des activités spatiales. Celles-ci requièrent en effet, chacun en conviendra, un très haut niveau de technicité, un sérieux et un professionnalisme indiscutables.

C'est pourquoi la délivrance de cette autorisation sera également subordonnée au constat d'une pleine conformité des systèmes et des procédures utilisées par les opérateurs avec une réglementation technique bien définie. Cette dernière sera rédigée non seulement en association avec le CNES, qui possède en la matière une expertise à nulle autre pareille, mais également, dans un esprit de dialogue et de concertation - je serai particulièrement vigilante sur ce point -, avec l'ensemble des opérateurs concernés, qui alimenteront la réflexion de leur riche expérience.

Il convient de tenir compte, ensuite, des responsabilités de l'État, car ce dernier sera tenu d'apporter sa garantie financière si, à l'occasion d'une opération autorisée, et alors qu'aucune faute n'a été commise, des dommages sont causés à des tiers.

Chaque fois que le montant des dommages causés dépassera le plafond fixé au moment de la délivrance de l'autorisation, cette garantie pourra être engagée : l'État continuera donc à se porter garant en cas d'accident particulièrement grave.

Rien n'est plus naturel, car il est des activités dont chacun de nous bénéficie tous les jours, mais dont les risques, certes exceptionnels, excèdent la garantie que peut apporter une personne privée : il revient donc à l'État de les assumer, afin de permettre aux opérations spatiales de se poursuivre et aux Français de continuer à profiter, à chaque instant, des multiples services que leur offrent, par exemple, les satellites de télécommunication en matière de téléphonie mobile ou d'audiovisuel.

Toutefois, si la France se doit de garantir les risques exceptionnels auxquels s'exposent ses opérateurs, elle n'a pas pour autant à le faire lorsque des risques plus minimes peuvent être couverts par une assurance dont les frais pourraient, sans difficulté, être supportés par une entreprise privée.

C'est pourquoi la garantie de l'État ne pourra entrer en jeu qu'une fois dépassé un certain plafond : la responsabilité de la puissance publique n'a en effet vocation à se substituer à celle des opérateurs que lorsque cette permutation est évidemment indispensable.

Avec le cadre juridique qui vous est soumis aujourd'hui, le partage des responsabilités sera donc clair : il reviendra à l'État de s'assurer que les opérations spatiales se déroulent dans des conditions de sécurité maximales et, le cas échéant, de se porter garant des dommages exceptionnels causés ; quant aux opérateurs, ils auront à respecter toutes les normes techniques et de sécurité nécessaires et à s'assurer pour couvrir la part des conséquences éventuelles de leurs activités qu'ils peuvent raisonnablement assumer.

Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, le cadre juridique qui vous est proposé n'est pas seulement clair, il est aussi attractif : la logique de partage des responsabilités net et transparent qui l'inspire permettra de faire de la France une véritable terre d'accueil pour les activités spatiales européennes, et, au-delà, pour toutes les opérations spatiales qui pourront être menées de par le monde.

En consolidant les règles d'engagement de la garantie de l'État, nous allons en effet donner aux opérateurs la sécurité et la clarté dont ils ont besoin pour exercer des activités qui, parce qu'elles sont exceptionnelles, comportent aussi des risques exceptionnels.

En France, tous les opérateurs du secteur pourront trouver l'environnement juridique stable et sécurisant sans lequel de telles activités ne pourraient se développer, et, avec elles, l'effort de recherche et développement ainsi que l'essor industriel qui l'accompagne toujours.

Grâce à la Guyane et au Centre spatial de Kourou, notre pays dispose d'un atout hors du commun. Désormais, nous allons en tirer le meilleur parti et faire de Kourou le port spatial européen, mis à la disposition de toutes les entreprises qui jalonnent notre continent.

Car telle est l'ambition qui anime ce projet de loi : non pas restreindre le développement des opérations spatiales, mais le favoriser, le vivifier, l'intensifier, en lui donnant des bases juridiques claires et solides. Cette ambition est également celle de votre commission, lorsqu'elle propose, par exemple, d'étendre le régime de la licence, prévu par le texte en matière de contrôle de conformité, à la délivrance des autorisations.

C'est pourquoi je veux vous le dire dès maintenant, monsieur le rapporteur, le Gouvernement soutiendra vos propositions en ce sens, afin de garantir la sécurité des opérations spatiales sans verser dans les travers d'une trop grande rigidité ou d'un trop grand formalisme.

Mais cette ambition que nous partageons tous, mesdames, messieurs les sénateurs, ne saurait être simplement une ambition française : elle doit bien au contraire, plus que jamais, devenir européenne, car, en ce domaine comme dans beaucoup d'autres, la France ne peut briller seule.

Plus que jamais, elle a besoin de ses partenaires européens, et c'est pour eux aussi, pour toutes les sociétés européennes, qu'elle s'apprête aujourd'hui à construire, si vous en décidez ainsi, un nouveau cadre juridique propice à un nouvel essor des politiques spatiales européennes.

C'est avec ses partenaires européens que la France se prépare à donner corps au traité de Lisbonne, qui ouvre la voie à une nouvelle étape de l'aventure spatiale européenne, plus ambitieuse encore. C'est pourquoi la France entend tirer pleinement parti de sa prochaine présidence de l'Union européenne, en mettant ces sujets au coeur de la nouvelle ambition européenne qui, depuis quelques mois, s'éveille dans tous les pays qui nous entourent.

Car, sur ce point aussi, l'Europe doit faire entendre sa voix singulière, une voix inspirée non pas par le désir d'une vaine gloire ou d'une domination militaire future, comme on en a trop souvent fait le reproche à la conquête spatiale, mais par le souci de mettre toutes les ressources des technologies de l'espace au service des hommes vivant sur cette Terre et au service de cette Terre elle-même. Que serait, en effet, la recherche sur les évolutions du climat sans les infinies possibilités ouvertes par les observations des satellites ?

Cette vision de l'aventure spatiale européenne, qui garde les yeux rivés vers le ciel sans un instant oublier la Terre, c'est elle aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous pouvez faire rayonner aujourd'hui.

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