Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand ont commencé les activités spatiales s'est posée la question de savoir quelles règles devraient être appliquées : le droit international classique, très respectueux des souverainetés des États, ou un droit nouveau, mieux adapté aux nécessités.
En fait, dès le début de la conquête spatiale, des règles spéciales ont été élaborées, essentiellement au sein de l'Organisation des Nations unies. Il fallait affirmer la liberté de circulation des satellites, ce qui fut fait dès 1963 par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU et par le traité fondateur sur l'espace de 1967.
Cette liberté de circulation et d'utilisation de l'espace eut comme contrepartie l'obligation pour l'État de contrôler ces activités et de répondre des dommages qu'elles pouvaient causer.
La diversification des interventions a rendu nécessaire l'élaboration d'autres règles concernant l'envoi de l'homme dans l'espace, les techniques de télédétection et, désormais, les télécommunications en général et la télévision en particulier, domaine en plein développement.
Si des textes existent au niveau européen - Conseil de l'Europe et Union européenne -, ils subissent aujourd'hui la forte pression de l'évolution des possibilités techniques. Nous sommes donc à l'aube du développement d'un droit qui doit fixer de nouvelles règles, notamment pour notre pays.
À ce jour, la France ne possède pas de législation spécifiquement dédiée aux opérations spatiales, c'est-à-dire aux activités qui ont pour objet de lancer et de guider, dans l'espace extra-atmosphérique, des objets qui permettront ensuite d'offrir au consommateur final un certain nombre de services.
Ce « vide législatif » constitue l'exception, et non la règle. On ne compte plus, en effet, les pays qui se sont dotés d'une loi spatiale nationale : les États-Unis dès 1984, la Russie en 1996 avec la loi fédérale sur les activités spatiales, mais également l'Allemagne, la Belgique, la Suède, le Chili, le Brésil ou encore l'Australie.
En tant que vice-président du groupe parlementaire sur l'espace, j'ai régulièrement entendu nos amis étrangers s'étonner de l'absence, en France, d'une législation spécifiquement dédiée aux opérations spatiales. Cela les étonnait d'autant plus que les pouvoirs publics n'ont jamais cessé de montrer leur intérêt pour ces activités.
Dès les débuts de la conquête spatiale, en effet, les pouvoirs publics ont pris la mesure de l'enjeu stratégique que représentait la maîtrise de l'espace et de l'intérêt commercial qui pouvait en être retiré par notre pays.
Les résultats de l'effort consenti depuis cette époque par la France en faveur des opérations spatiales, que ce soit dans un cadre national ou au sein de l'Agence spatiale européenne, sont indéniables.
À travers le Centre national d'études spatiales, la France a joué un rôle de premier plan dans le développement des lanceurs Ariane, qui ont réussi, dans un environnement commercial très concurrentiel, à faire reconnaître leur fiabilité et leurs qualités techniques.
On relèvera que la France met à la disposition de l'Agence spatiale européenne le centre spatial guyanais de Kourou - le « port de l'Europe », madame la ministre - et y assure, avec le concours du Centre national d'études spatiales, la sécurité des lancements qui s'y déroulent.
L'industrie spatiale européenne possède donc avec la France des liens particuliers dans le domaine des lanceurs comme dans celui des satellites. Au vu de cet engagement, il ne fait aucun doute que la France est une puissance spatiale de niveau mondial, comme les chiffres le confirment d'ailleurs : avec un budget spatial de 1, 8 milliard d'euros en 2005, la France se place au troisième rang mondial, derrière les États-Unis et la Russie ; quant au classement européen, elle y occupe la première place.
Face à une telle réussite, il est tentant de voir dans l'absence de loi spatiale française, plutôt qu'une originalité, une anomalie.
Cette situation peut pourtant s'expliquer. Jusqu'à une époque récente, l'État était, par l'intermédiaire du Centre national d'études spatiales, à la fois le premier actionnaire d'Arianespace, le maître d'oeuvre du lanceur Ariane et l'actionnaire de nombreuses entités créées pour commercialiser les utilisations des satellites ou des sondes envoyés dans l'espace extra-atmosphérique.
Dans cette configuration où l'État était en mesure d'exercer un contrôle de fait sur l'ensemble des activités spatiales développées sur son territoire ou avec son concours, il n'y avait rien de paradoxal à ce que l'adoption de règles de droit destinées à régir ces activités n'apparaisse pas comme une priorité.
Cette époque est aujourd'hui révolue : le secteur spatial s'est transformé en profondeur, et cela en quelques années.
C'est là sans doute la conséquence de l'ampleur considérable prise par l'exploitation commerciale de l'espace : l'explosion du marché des télécommunications et de la télévision par satellite s'est répercutée sur le marché des opérations spatiales et y a augmenté la demande.
L'État ne dispose plus aujourd'hui de la prise qu'il avait hier sur le secteur des opérations spatiales. Il lui faut désormais compter avec des acteurs qui lui échappent et des partenariats qui remettent en cause la place qu'il a longtemps occupée.
Dans ce contexte renouvelé, l'adoption de règles de droit destinées à régir les opérations spatiales devient une nécessité, autant pour les opérateurs spatiaux que pour l'État.
Pour les opérateurs, il est impératif de bénéficier d'un environnement où la sécurité juridique est garantie. C'est en effet l'une des conditions nécessaires pour déployer sereinement et dans la durée des activités économiques qui exigent des investissements considérables.
Les pouvoirs publics, qui doivent veiller à garantir l'attractivité du territoire français à l'heure où les entreprises mettent les systèmes juridiques en concurrence, ont eux aussi intérêt à encourager cette forme de sécurité.
Pour l'État, il est en outre indispensable de s'assurer la capacité de contrôler les opérations spatiales, alors même que ces dernières ont de plus en plus vocation à être exercées par des acteurs privés, dans le cadre d'activités commerciales et sur un marché concurrentiel.
Il y va, d'abord, du respect par la France des conventions internationales qu'elle a souscrites. À cet égard, l'article VI du traité du 27 janvier 1967 sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, dit traité de l'espace, signé et ratifié par la France, est formel : tout État, partie à ce traité, a « la responsabilité internationale des activités nationales dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes », et doit « veiller à ce que les activités nationales soient poursuivies conformément aux dispositions énoncées dans le présent Traité » ; à cette fin, « les activités des entités non gouvernementales dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, doivent faire l'objet d'une autorisation et d'une surveillance continue de la part de l'État approprié partie au Traité ».
L'exercice par l'État d'un contrôle sur les opérations spatiales s'impose également compte tenu à la fois des risques élevés que celles-ci font peser sur les biens et les personnes et du fait que les dommages éventuellement causés engagent, dans les conditions prévues par la convention du 29 mars 1972, la responsabilité internationale de la France dès lors qu'elle a la qualité d'État de lancement.
Ce contrôle se justifie, enfin, dans la mesure où la maîtrise des opérations spatiales représente un enjeu de sécurité nationale étant donné l'usage qui peut être fait des satellites d'observation ou de télécommunication.
Il s'agit, d'une part, de donner aux autorités françaises les moyens juridiques d'exercer un contrôle sur les opérations spatiales susceptibles d'engager la responsabilité internationale de la France, en mettant en place un régime d'autorisation préalable de ces opérations.
Il convient, d'autre part, de sécuriser, en lui donnant un fondement législatif, le régime de responsabilité qui résulte actuellement, avec les fragilités inhérentes au procédé employé, des conventions passées entre les différents acteurs du programme Ariane.
Ce régime consiste, en substance, à limiter la responsabilité de l'opérateur spatial à raison des dommages causés aux tiers à concurrence d'un plafond, avec obligation pour celui-ci de souscrire une assurance ou de fournir une garantie, et à accorder la garantie de l'État pour les dommages dont le montant excéderait ce plafond.
Aujourd'hui, un certain nombre de questions qui se posent en matière spatiale ne peuvent trouver de réponse que dans un cadre supranational.
Il en va ainsi de la question de la surveillance de l'espace extra-atmosphérique, c'est-à-dire du suivi des différents objets qui évoluent dans l'espace. Actuellement, seuls les États-Unis disposent, avec le North American Aerospace Defense Command, le NORAD, d'un outil adapté pour ce faire. Pourtant, la surveillance de l'espace est devenue une nécessité pour assurer la sécurité des lancements, compte tenu de l'augmentation du nombre d'objets qui se trouvent dans l'espace extra-atmosphérique, qu'il s'agisse d'objets en fonctionnement ou de débris spatiaux.
Désormais, se pose le problème de la « pollution » de l'espace. Dans les zones de l'espace les plus fréquentées, l'augmentation de la circulation et l'existence de très nombreux débris spatiaux deviennent en effet extrêmement préoccupants.
Se posera un jour la question de l'harmonisation du droit spatial applicable dans les différents États européens, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle, les obligations d'assurance ou de garantie incombant aux opérateurs spatiaux, ou encore les normes de construction applicables aux lanceurs et aux satellites.
Ces débats d'envergure européenne ne sauraient toutefois être abordés avant qu'une question plus politique ait été tranchée, celle de la répartition des compétences entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne en matière spatiale.
Ces deux organisations se distinguent au regard de plusieurs considérations d'ordre stratégique, économique ou social, ainsi que par leur mode de fonctionnement, intergouvernemental pour la première et communautaire pour la seconde, et par leur expérience dans le domaine spatial, bâtie sur plus de trente ans pour la première et encore récente pour la seconde.
Elles se rejoignent toutefois sur un point : la volonté de faire progresser l'Europe spatiale. L'Agence spatiale européenne l'a montré à travers les efforts qu'elle a consentis depuis sa création, notamment dans le cadre du programme Ariane. L'Union européenne le prouve aujourd'hui avec son engagement en faveur du programme de navigation par satellite Galileo.
Il s'agit là d'un choix politique, qui exige de prendre en compte, au-delà des contraintes juridiques, des considérations stratégiques, économiques et sociales.
Nous sommes aujourd'hui à l'aube d'un développement du droit qui devra fixer des règles nouvelles. Il est nécessaire d'adopter une véritable législation, spécifique à la France, première puissance européenne de l'espace, qui doit tenir compte désormais de l'ampleur considérable prise par l'exploitation commerciale de l'espace.
C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe UMP et moi-même voterons sans réserve ce projet de loi, ainsi que les amendements présentés par notre excellent rapporteur, M. Henri Revol.