Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, la 179e fusée Ariane était lancée depuis la base spatiale de Kourou, en Guyane. À la fin du mois de janvier, le lanceur doit emporter l'engin le plus prometteur de l'Europe spatiale, l'ATV, ou Automated Transfer Vehicle, chargé de ravitailler la Station spatiale internationale en air, en fret ou en eau.
Le lanceur franco-européen domine depuis quelques années le marché des gros satellites commerciaux. Pas moins de 57 fusées sont actuellement en cours de montage pour faire face aux futures commandes.
La base spatiale de Kourou se trouve, elle aussi, en pleine croissance : à la suite de l'accord de coopération qui a été conclu, le 7 novembre 2003, entre la France et la Russie pour permettre l'exploitation du lanceur russe Soyouz à Kourou, un nouveau pas de tir géant pour Soyouz est en passe d'être achevé, qui devrait être opérationnel au début de 2009. Parallèlement, un troisième pas de tir est construit pour une fusée italienne Vega, qui emportera dès la fin 2008 de petites unités.
C'est donc une sorte d'aéroport spatial qui se crée en Guyane. Ce chantier est à la mesure des projets en cours : outre l'ATV, l'Europe spatiale travaille actuellement sur le système Galileo, sur le tourisme spatial, avec Astrium, ou encore sur le remplacement du télescope Hubble par le James Webb Space Telescope, que la Nasa a sous-traité à Arianespace.
Devant une telle réussite, il est tentant de voir dans l'absence de loi spatiale française une anomalie, une lacune qu'il est urgent de combler. Cette situation découle de la période durant laquelle l'État était, par l'intermédiaire du Centre national d'études spatiales, à la fois le premier actionnaire d'Arianespace, le maître d'oeuvre du lanceur Ariane et l'actionnaire de nombreuses entités créées pour commercialiser les utilisations potentielles des satellites ou des sondes envoyés dans l'espace extra-atmosphérique.
Dans cette configuration où l'État se trouvait en mesure d'exercer un contrôle de fait sur l'ensemble des activités spatiales développées sur son territoire, ou avec son concours, il n'y avait rien de paradoxal à ce que l'adoption de règles de droit en la matière n'apparaisse pas comme une priorité.
Toutefois, cette époque est aujourd'hui révolue : le secteur spatial s'est transformé, rapidement et en profondeur. C'est la conséquence de l'ampleur considérable prise par l'exploitation commerciale de l'espace : l'explosion du marché des télécommunications et de la télévision par satellite s'est répercutée sur le marché des opérations spatiales et y a augmenté la demande.
Confrontés à cette pression accrue, les industriels ont fusionné, ce qui a conduit à une dilution des participations, autrefois substantielles, que l'État détenait dans leur capital ; de nouveaux acteurs, sans lien financier avec l'État, se sont imposés sur le marché des opérations spatiales, comme la société Starsem, constituée en 1996 avec des capitaux français et russes afin d'effectuer des lancements à partir du cosmodrome de Baïkonour. L'État n'exerce donc plus aujourd'hui l'emprise qui était la sienne hier sur le secteur des opérations spatiales.
Du point de vue des opérateurs, il est impératif de bénéficier d'un environnement où la sécurité juridique est garantie. C'est là, en effet, l'une des conditions nécessaires du développement, dans la durée, des activités économiques qui exigent des investissements considérables.
Du point de vue de l'État, il est en outre indispensable de s'assurer la capacité de contrôler les opérations spatiales. Il y va, d'abord, du respect par la France des conventions internationales qu'elle a souscrites.
À cet égard, l'article VI du traité du 27 janvier 1967 sur l'espace, signé et ratifié par la France, est formel : tout État partie à ce traité a « la responsabilité internationale des activités nationales dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes » et doit « veiller à ce que les activités nationales soient poursuivies conformément aux dispositions énoncées dans le [...] Traité » ; à cette fin, « les activités des entités non gouvernementales dans l'espace extra-atmosphérique [...] doivent faire l'objet d'une autorisation et d'une surveillance continue de la part de l'État approprié partie au Traité ».
L'exercice par l'État d'un contrôle sur les opérations spatiales s'impose également compte tenu des risques élevés que celles-ci font peser sur les biens et les personnes, et parce que les dommages éventuellement causés engagent, dans les conditions prévues par la convention du 29 mars 1972, la responsabilité internationale de la France, dès lors que notre pays a la qualité d'État de lancement. Il se justifie, enfin, dans la mesure où la maîtrise des opérations spatiales représente un enjeu de sécurité nationale, en raison de l'usage qui peut être fait des satellites d'observation ou de télécommunication.
Le groupe UC-UDF est favorable à ce projet de loi, qui apporte des solutions effectives à ces problèmes.
Tout d'abord, ce texte accorde aux autorités françaises les moyens juridiques d'exercer un contrôle sur les opérations spatiales susceptibles d'engager la responsabilité internationale de la France, en mettant en place un régime d'autorisation préalable de ces opérations.
Surtout, en lui donnant un fondement législatif, ce texte sécurise le régime de responsabilité en limitant la responsabilité de l'opérateur spatial à raison des dommages causés aux tiers à concurrence d'un plafond, avec obligation pour l'opérateur de souscrire une assurance ou de fournir une garantie, et en accordant la garantie de l'État pour les dommages dont le montant excéderait ce plafond.
L'équilibre du texte semble donc assez cohérent. D'une part, le principe d'une indemnisation par l'État des dommages causés lors d'une opération spatiale menée depuis le territoire européen, essentiellement Kourou, au-delà d'un certain montant est de nature à garantir l'indemnisation effective des victimes et à rassurer les acteurs du monde spatial. D'autre part, cette possibilité est encadrée ; elle est en particulier conditionnée à l'obtention d'une autorisation administrative de l'opération étant à l'origine de l'incident et à l'information de l'État en cas de mise en cause de la responsabilité de l'opérateur.
J'observe par ailleurs que le montant des seuils permettant la mise en jeu de la responsabilité de l'État ne figure pas dans ce projet de loi. En effet, il s'agit du domaine exclusif des lois de finances. À cet égard, il serait souhaitable qu'au moment d'examiner ces seuils le Parlement bénéficie non seulement de modèles lui permettant d'évaluer la probabilité de survenue de tels incidents mais également d'informations sur la comptabilisation de ce risque par l'État.
Enfin, je souhaite insister sur trois points qui me semblent essentiels.
Premièrement, il est nécessaire de mieux exploiter la complémentarité des régions polaires avec les missions spatiales