Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 16 janvier 2008 à 15h00
Opérations spatiales — Adoption d'un projet de loi, amendements 22 8

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

...le CNES a été pourvu du statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial. Il s'est vu confier plusieurs missions de recherche d'intérêt national qui ont permis à la France d'assurer le lancement de satellites civils et nucléaires et de se maintenir dans la compétition mondiale.

Je pourrais d'ailleurs faire la même remarque concernant l'énergie et le parc nucléaires, qui datent exactement de la même époque - celle du gouvernement Messmer -, ce qui nous permet de détenir aujourd'hui cette fameuse rampe nucléaire que nous évoquerons lors de la discussion d'un prochain texte.

Avec l'appui d'un réseau de laboratoires et d'établissements techniques, notamment les trois centres techniques de Toulouse où sont élaborés les satellites, de Guyane, base de lancement française et européenne, et d'Évry où l'activité principale est de contribuer à la conception des lanceurs, le CNES dispose de compétences techniques indiscutables et mondialement reconnues d'ailleurs.

Mais il faut aussi s'interroger aujourd'hui sur le rôle qu'il pourra jouer à l'avenir, alors que la concurrence ne cesse de s'accroître et que des exigences nouvelles émergent.

Madame la ministre, comment préserver ce haut niveau de compétences en matière de recherche, dans le domaine technique et industriel, avec toutes les retombées que cela a sur l'ensemble de notre économie ?

Le CNES est-il encore en mesure de jouer un rôle moteur dans la politique spatiale française et d'être coeur de la compétition européenne et mondiale ?

Dispose-t-il de moyens suffisants ?

Je fais là miennes un certain nombre d'interrogations que mes collègues ont formulées avant moi.

Monsieur le rapporteur, dans le rapport intitulé Politique spatiale : l'audace ou le déclin - Comment faire de l'Europe le leader mondial de l'espace, que vous avez rédigé avec notre regretté collègue député Christian Cabal dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, vous souhaitiez que le CNES puisse « se livrer sans crainte à sa mission fondamentale, proposer aux pouvoirs publics une stratégie scientifique, technique et industrielle de l'espace, ambitieuse et innovante, et mettre en oeuvre les décisions prises, par le pouvoir politique », et qu'il se voie « habilité à proposer une gamme de projets de l'ambition la plus grande, susceptibles de faire de la France un acteur mondial de tout premier plan », c'est-à-dire que son rôle actuel soit conforté.

Vous estimiez à l'époque que la nouvelle loi en préparation sur le droit spatial, à savoir le texte que nous examinons aujourd'hui, devrait donner de nouvelles compétences au CNES pour la réglementation des activités spatiales - c'est bien ce qui se passe - et pour la certification, lesquelles exigeraient des crédits supplémentaires et donc, sans doute dans votre esprit à l'époque, une loi de programme. Or force est de souligner que les crédits accordés au titre de la loi de finances pour 2008 ne sont pas à la hauteur des besoins du CNES et risquent de compromettre les missions et le rayonnement international de ce dernier. Je ne reviendrai pas sur la dette à l'égard de l'ASE qu'a évoquée mon collègue Christian Gaudin.

Par ailleurs, je m'interroge sur certains des amendements présentés par la commission. Je souhaite que Mme la ministre m'éclaire notamment sur l'amendement n° 22, déposé à l'article 8, dont la rédaction actuelle nous convient tout à fait.

En effet, tel qu'il est actuellement rédigé, cet article prévoit un pouvoir nouveau, celui de donner à tout moment des instructions aux opérateurs en vue d'assurer la sécurité des personnes, des biens et de l'environnement en matière de lancement ou de maîtrise d'un objet spatial.

Il précise que ces instructions peuvent consister en la suspension, l'arrêt ou l'interdiction d'un lancement, voire la destruction d'un objet spatial.

Il confie cette nouvelle compétence à l'autorité administrative ou, sur délégation de celle-ci, au président du CNES ou aux agents habilités par ce dernier. On reconnaît ainsi la compétence et l'expertise technique du CNES en matière de lancement. Tel était bien le souhait du Conseil d'État qui avait réaffirmé dans son rapport intitulé Pour une politique juridique des activités spatiales, publié en 2006, la nécessité de maintenir le CNES comme le bras armé de l'État en matière de contrôle des opérations spatiales.

Sur ce point, le rapport du Conseil d'État précisait ceci : « il ne paraît pas souhaitable, comme cela est le cas pour la régulation d'autres secteurs économiques, comme les télécommunications ou l'énergie » - on pourrait toutefois en rediscuter -, « de confier cette fonction à une autorité administrative indépendante ». Force est de relever, en la matière, les aléas rencontrés par certaine haute autorité. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, on peut cependant se poser des questions sur l'indépendance susvisée !

Et le Conseil d'État d'ajouter que le ministère chargé de l'espace ne disposait pas de ressources et de compétences nécessaires pour assurer l'instruction technique des demandes et que, en l'état, seul le CNES possédait la compétence technique requise à cette fin, notamment au sein de sa direction de lanceur.

Or, la rédaction que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, ne risque-t-elle pas d'aboutir au démantèlement du CNES en confiant, d'un côté, le domaine régalien et l'expertise à une autorité indépendante et, de l'autre, la recherche au CNES ?

En séparant le domaine régalien de la recherche, ne risque-t-on pas, par la même occasion, de mettre à mal toute la capacité actuelle d'expertise du CNES, dont chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître la qualité ?

Ne va-t-on pas y perdre sur les deux tableaux ? Dans le domaine du régalien, la qualité de la régulation et du contrôle s'en fera ressentir. En matière de recherche, notre compétence pourrait s'amenuiser.

Le domaine spatial, comme l'a souligné le Conseil d'État, n'est pas comparable au secteur du nucléaire. La mise en place d'une autorité indépendante comme l'ASN, dont l'intérêt a d'ailleurs suscité de vifs débats au sein même de cette assemblée, est-elle souhaitable ?

Il est, par ailleurs, nécessaire d'assurer la continuité de l'action de l'État à travers celle du CNES. Dans un domaine où les risques sont élevés, l'on ne peut se contenter d'une délégation de compétence qui, relevant du domaine réglementaire, pourrait varier au cas par cas et selon le ministère de rattachement du domaine spatial.

Il faut, au contraire, que soit assurée une délégation permanente de compétence de la part de l'autorité administrative, afin d'assurer précisément cette continuité de l'action de l'État.

La délégation de compétence ne peut être soumise aux aléas du monde politique, des changements de gouvernement et des remaniements ministériels. Il en va du respect même du principe de continuité de l'État.

Enfin, le risque mis en évidence par le Conseil d'État de possibles conflits d'intérêt avec les activités qu'exerce le CNES, ce qui aurait pu remettre en cause la mission de ce dernier quant à la régulation des activités spatiales, a été écarté. Comme le recommandait le Conseil d'État, le CNES s'est progressivement désengagé de ses activités commerciales en les cédant à l'Agence des participations de l'État. J'espère d'ailleurs que tel est bien le cas actuellement, car un paragraphe du rapport de la commission a semé le doute dans mon esprit sur ce point. Mais s'il en est bien ainsi, l'indépendance et la neutralité du CNES ne sont manifestement plus contestables.

Nombre d'interrogations demeurent sur l'objet de l'amendement de la commission. J'y vois, à terme, un risque de démantèlement du CNES et donc d'affaiblissement de l'un des maillons essentiels de notre politique spatiale. Je demeure perplexe et j'attends les explications que vous voudrez bien nous donner tout à l'heure, monsieur le rapporteur, à l'occasion de la présentation dudit amendement, ainsi que celles de Mme la ministre.

Quoi qu'il en soit, je souhaite en cet instant avoir plus de détails sur les nombreux décrets prévus par le projet de loi et plus de temps pour les examiner.

Malgré un préjugé favorable à l'égard du projet de loi que vous nous soumettez, madame le ministre, j'apporterai à votre copie, par déformation professionnelle, l'appréciation suivante : « Peut mieux faire en matière d'information du Sénat ».

Par conséquent, en attendant la deuxième lecture, les membres du groupe socialiste s'abstiendront.

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