Intervention de Pascal Clément

Réunion du 29 juin 2005 à 17h30
Sauvegarde des entreprises — Discussion générale

Pascal Clément, garde des sceaux :

A ce point, cela demeure exceptionnel !

... mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, vous le savez, est résolument engagé en faveur de l'emploi.

Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter constitue un moyen essentiel de renforcer l'action économique et sociale de notre pays.

Le droit français des procédures collectives est aujourd'hui obsolète et destructeur. Il est marqué à la fois par un manque de sécurité économique, un manque de sécurité pour l'emploi et un manque de sécurité juridique.

Manque de sécurité économique, tout d'abord. Toutes les dix minutes, notre pays enregistre une défaillance d'entreprises : entrepreneurs et salariés vivent ainsi dans la crainte du lendemain.

Manque de sécurité de l'emploi, ensuite. Chacun connaît la terrible réalité, à savoir la liquidation dans 90 % des cas, ce qui entraîne plus de 150 000 licenciements chaque année.

Manque de sécurité juridique, enfin, tant les procédures judiciaires actuelles sont lentes, complexes, souvent inefficaces, voire parfois contradictoires.

Il faut mettre un terme à ce gâchis humain et à ces désastres économiques.

Le projet de loi de sauvegarde des entreprises que je vous présente aujourd'hui vise à doter notre pays des instruments juridiques adaptés pour remédier à cette situation.

Ce texte a fait l'objet d'une élaboration largement concertée qui a duré près de deux ans, et ce travail a permis de dégager un consensus entre les acteurs économiques et sociaux quant à la nécessité d'une réforme porteuse d'une plus grande sécurité et d'une plus grande efficacité dans le traitement des difficultés des entreprises.

Le Parlement a également pris toute sa part dans cette élaboration, avant même le débat qui nous réunit aujourd'hui.

Vous avez ainsi remis le 5 décembre 2001, monsieur le président de la commission des lois, un rapport important élaboré au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, dont de nombreuses propositions vont être discutées dans les heures qui viennent.

Votre analyse selon laquelle il est essentiel d'introduire dans les procédures une gradation de nature à permettre un traitement sur mesure des difficultés des entreprises est au coeur de la nouvelle architecture juridique que met en place le présent projet de loi.

De même, dès 2002, la commission des lois de l'Assemblée nationale a décidé - sur mon initiative, qu'il me soit permis de le rappeler - la création d'une mission d'information sur le droit des sociétés.

Après des premiers travaux portant sur le thème de la gouvernance de l'entreprise, la mission a réfléchi au traitement des difficultés des entreprises.

Elle a dressé un constat d'inefficacité des procédures actuelles. Elle a également souligné la nécessité du changement d'état d'esprit des acteurs de la vie économique. En effet, il n'est pas admissible que ces procédures collectives inspirent de la crainte aux salariés ainsi qu'aux chefs d'entreprise : au lieu de les aider, de les appuyer, elles les font souvent fuir !

Le diagnostic étant posé, il convient d'apporter les remèdes nécessaires, dans un climat de confiance avec les représentants des entreprises, les représentants des salariés et les autres parties prenantes.

Il faut, d'une part, obtenir la confiance des chefs d'entreprise.

Aujourd'hui, l'ouverture des procédures collectives conduit dans une très large mesure à déposséder les entrepreneurs de leurs prérogatives et de leurs initiatives : les initiatives sont contraintes par une absence totale de choix et la menace de sanctions, le sort de l'entreprise est pris en main par la justice.

Au contraire, le texte que je vous présente reconnaît la capacité des chefs d'entreprise à décider de la meilleure procédure à suivre.

Il assouplit considérablement les contraintes issues de la cessation des paiements, notion qui demeure indispensable mais qui n'est plus le pivot du droit en la matière.

Il redonne confiance aux chefs d'entreprise, en leur garantissant que lorsqu'ils recourront, sans y être obligés, à la nouvelle procédure de sauvegarde, ils resteront maîtres de leur activité. Ils ne seront pas évincés de la direction de l'entreprise qu'ils ont souvent créée.

L'Assemblée nationale a accru cette capacité d'initiative et de choix en permettant au chef d'entreprise de décider s'il convient, à l'issue de la procédure de conciliation, soit de garder confidentiel l'accord qu'il vient de conclure avec ses créanciers - sans conséquence juridique erga omnes, évidemment -, soit d'en dévoiler l'existence pour privilégier l'opposabilité aux tiers.

Il a ainsi été rendu possible de concilier les conditions de la sécurité juridique et celles du secret des affaires. Il s'agit d'un réel progrès.

Cette confiance est ainsi réciproque. De la confiance du législateur à l'égard des dirigeants d'entreprise naîtra la confiance de ceux-ci à l'égard du droit rénové.

De nombreux chefs d'entreprise ruinés ainsi que leurs proches ont été choqués par les conditions sommaires dans lesquelles leurs biens professionnels ont été cédés au terme de procédures complexes et opaques.

Le texte vise à réformer, dans l'intérêt des entrepreneurs et de façon moderne et ambitieuse, les procédures de cession pour qu'elles soient transparentes et beaucoup plus souvent qu'aujourd'hui négociées.

La cession totale ou partielle de l'entreprise pourra intervenir à tout stade de la procédure, y compris, ainsi que l'a opportunément souhaité l'Assemblée nationale, en redressement judiciaire, ce qui laisse une chance de redressement à celui qui en détient le capital.

Dans l'intérêt des entreprises et de leurs créanciers, les nouvelles règles privilégient la compétence et la stricte neutralité des professionnels qui interviennent dans ces opérations : aux administrateurs judiciaires est dévolu le conseil aux entrepreneurs dans la recherche et la construction des solutions de redressement ; aux mandataires judiciaires la répartition des produits de cession d'actifs entre les créanciers et la défense de leurs intérêts selon la même rigueur, et ce quels qu'ils soient, salariés, fournisseurs ou banquiers.

Ce projet de loi s'appuie également sur la confiance des salariés.

Personne ne peut nier leur très grande fragilité au milieu des difficultés économiques qui rendent nécessaires les procédures collectives, trop souvent synonymes de cessation d'activité, toujours synonymes d'insuffisance de trésorerie.

C'est pourquoi il est essentiel que les salariés soient parfaitement informés de l'évolution de l'ensemble des procédures. Leur vie professionnelle et, en conséquence, la vie de leur famille en dépendent. Ils doivent pouvoir y faire entendre leur voix.

De ce fait, il est important que la nouvelle procédure de sauvegarde soit éligible au mécanisme de garantie des salaires par l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS.

Dans le même temps, personne n'a intérêt à voir cette procédure produire un effet contraire à son seul objet, qui est de permettre le maintien des emplois.

Personne n'a intérêt non plus à voir la procédure de sauvegarde détournée pour mettre à la charge de l'AGS des dépenses qui ne relèvent pas de la solidarité qu'elle institue.

Je sais qu'il existe des craintes que cela ne nuise à son équilibre financier. L'examen du texte par la Haute Assemblée devrait, je le souhaite, permettre de trouver, grâce aux amendements présentés par la commission, les moyens de les rassurer à ce sujet tout en préservant la sécurité des salariés.

Enfin, pour que les choses soient bien claires, il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de modifier le droit du licenciement dans le cadre de la procédure de sauvegarde.

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