Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes du présent projet de loi. Elles ont été excellemment développées par le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui assure également aujourd'hui les fonctions de rapporteur.
La commission des affaires économiques a considéré qu'il serait utile de présenter un avis privilégiant une approche plus économique que juridique.
Lors de son audition devant notre commission, le 3 mai dernier, M. Christian Jacob, alors ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation, nous avait indiqué que 224 000 entreprises avaient été créées en 2004. La création et le développement des petites et moyennes entreprises ont d'ailleurs constitué l'objet d'un projet de loi, qui a été récemment examiné par le Sénat.
Le nombre de créations d'entreprises doit aussi être apprécié à l'aune de celui de leurs défaillances. Il serait superflu de n'agir que sur le volet des créations d'entreprises sans se préoccuper de leur survie, y compris sous l'angle du dernier recours que constituent les procédures collectives.
La question de la survie des entreprises nous interpelle plus que jamais dans un contexte de croissance ralentie. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler qu'une baisse de 1 % de la croissance économique entraîne une hausse des défaillances de l'ordre de 5 % et, en corollaire, une progression du nombre des licenciements, qui s'est ainsi élevé à 141 000 en 2003.
Chaque année, la France déplore environ 45 000 défaillances d'entreprises, c'est-à-dire 45 000 dépôts de bilan entraînant l'ouverture d'une procédure collective, avec des variations correspondant au niveau de l'activité économique.
Les années de croissance, le nombre des défaillances oscille entre 30 000 et 35 000 ; les années moins favorables, il peut approcher 50 000. A cet égard, l'année 2004, avec environ 48 000 dépôts de bilan, ne fut pas très favorable aux entreprises.
Quelles sont les entreprises qui déposent leur bilan ? Il s'agit, pour l'essentiel, des entreprises individuelles - la moitié du total - et des PME de moins de cinquante salariés. En 2004, par exemple, sur les 48 000 dépôts de bilan recensés, seuls 450 étaient imputables aux entreprises de plus de cinquante salariés.
Une proportion très importante d'entreprises connaît une défaillance dans les cinq premières années de son activité, soit, toujours pour l'année 2004, 25 000 dépôts de bilan sur 48 000. Par ailleurs, 10 000 entreprises défaillantes n'avaient que deux ans d'activité.
Les procédures de redressement existantes ne fonctionnent pas de façon satisfaisante. On le sait, la liquidation judiciaire constitue l'aboutissement de 80 % à 90 % des ouvertures de procédures collectives, et environ la moitié des procédures débouche sur une liquidation judiciaire immédiate - 22 000 en 2004 - parce que l'entreprise n'a, en fait, plus d'actifs.
L'idée force de la réforme part du constat que nos procédures interviennent trop tard, lorsque l'entreprise rencontre déjà des difficultés irréversibles.
La principale innovation du projet de loi consiste donc à instituer une procédure de redressement judiciaire anticipée, c'est-à-dire intervenant avant la cessation des paiements : je veux parler de la sauvegarde.
Le projet de loi tend à responsabiliser le chef d'entreprise. Lui seul pourra solliciter du tribunal l'ouverture d'une procédure de sauvegarde dans laquelle il restera aux commandes tout en bénéficiant de l'assistance éventuelle d'un administrateur judiciaire.
Pour améliorer le fonctionnement de nos procédures collectives et accroître les chances de redressement des entreprises en difficulté, la réforme se fonde sur un double pari : d'une part, alors qu'il est encore solvable, le chef d'entreprise n'hésitera pas à se mettre sous la protection du tribunal pour améliorer les chances de rétablir une situation financière délicate ; d'autre part, l'ouverture anticipée de la procédure collective sera de nature à enrayer l'aggravation des difficultés de l'entreprise avec, notamment, le gel du passif.
S'inspirant du droit américain - plus exactement du chapitre 11 du code américain de la faillite -, le projet de loi met en place, dans la procédure de sauvegarde comme dans celle du redressement, deux comités de créanciers - l'un représentant les banques, l'autre les principaux fournisseurs - afin de délibérer, selon des règles de majorité qualifiée, sur les propositions du débiteur.
Avant la cessation des paiements, le droit actuel prévoit des solutions judiciaires amiables. Il s'agit notamment de la procédure dite de règlement amiable, dans laquelle le président du tribunal de commerce désigne un conciliateur chargé de superviser la négociation d'un accord entre le débiteur et ses créanciers.
Dans ce cas de figure, différent de celui de la procédure collective, l'entreprise qui est confrontée à des difficultés passagères est mise en situation de pouvoir les surmonter dès lors que ses principaux créanciers sont prêts à consentir un effort.
Le projet de loi rebaptise le règlement amiable du nom de « conciliation ». Le conciliateur, choisi librement par le président du tribunal, est maintenu dans ses attributions actuelles avec pour objectif l'élaboration d'un plan de conciliation.
Le changement majeur tient au fait que la procédure de conciliation pourra être ouverte alors que le débiteur est déjà en cessation de paiement, à condition toutefois que la durée de cette cessation de paiement soit inférieure à quarante-cinq jours.
Le projet de loi entend ainsi donner de la souplesse à des procédures sans doute trop rigides, qui faisaient jusqu'à présent de la cessation des paiements la pierre angulaire du déclenchement des procédures collectives.
Il s'agit aussi de faire preuve de pragmatisme en prévoyant des solutions adaptées aux différentes situations, allant de la simple panne de trésorerie aux graves difficultés structurelles, qu'elles soient de nature commerciale ou financière.
Le projet de loi qui nous est soumis comporte cent quatre-vingt-dix-sept articles. La commission des affaires économiques en a examiné vingt-quatre, qui ont trait aux dispositions relatives à la conciliation et aux principales règles concernant la nouvelle procédure de sauvegarde.
La commission vous propose de donner sa chance à la réforme afin d'améliorer une situation largement insatisfaisante. Le projet ne bouleverse pas les règles du droit des procédures collectives ; il vise plus modestement à supprimer certaines rigidités en mettant de nouveaux outils à la disposition de dirigeants d'entreprises « responsabilisés ».
Les dix-huit amendements que la commission des affaires économiques vous proposera visent à compléter le texte sur un certain nombre de points qui lui sont apparus importants : la durée maximale de la période d'observation dans la procédure collective, l'assurance obligatoire des conciliateurs, le principe selon lequel, sauf décision spécialement motivée, un administrateur judiciaire assistera le débiteur en procédure collective, la suppression de la sanction de faillite personnelle pour le dirigeant d'entreprise négligent en matière de cessation des paiements, la possibilité pour les mandataires judiciaires de donner leur avis sur les plans de redressement, ou encore l'amélioration des contrôles sur les fonds détenus par les mandataires de justice.
La commission des affaires économiques a également souhaité que les artisans inscrits au répertoire des métiers puissent bénéficier d'une représentation spécifique, au même titre que les membres des professions libérales, au cours des diverses phases de la procédure collective : appel à l'audience d'un représentant de la chambre de métiers lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, saisine du ministère public aux fins du remplacement des organes de la procédure de sauvegarde, inventaire des biens du débiteur, désignation d'un représentant de la chambre de métiers et de l'artisanat comme contrôleur.
Les chambres de métiers sont des établissements publics administratifs de l'Etat qui contribuent, selon des modalités prévues dans le code de l'artisanat, à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises artisanales, et ce en liaison avec les services financiers de l'Etat, les organismes de recouvrement de cotisations sociales et toutes personnes publiques, morales ou privées concernées.
Elles représentent un secteur professionnel qui, au 1er janvier 2004, occupait 2, 364 millions de salariés au sein de 860 000 entreprises, soit une entreprise française sur trois. L'artisanat, c'est aussi 5 % du PIB et 47 % des apprentis formés.
Selon les informations communiquées par l'Assemblée permanente des chambres de métiers, environ les deux tiers des artisans sont inscrits à la fois au répertoire des métiers et au registre du commerce, soit parce qu'ils sont aussi commerçants, soit parce qu'ils exercent leur activité dans le cadre d'une personne morale, essentiellement des SARL artisanales, qui sont au nombre de 260 000. Par ailleurs, le tiers des quelque 860 000 entreprises artisanales n'est inscrit qu'au répertoire des métiers.
Je souhaite aussi attirer l'attention du Gouvernement sur l'intérêt que présenterait la mise en place de comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises, les CODEFI, réservés aux métiers de l'artisanat.
Les actuels CODEFI ont pour mission de détecter et de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises ainsi que d'accueillir et d'orienter toutes les entreprises en difficulté. Ils peuvent ainsi faciliter la réussite d'un plan de redressement, notamment en faisant accélérer le règlement des sommes dues à l'entreprise par l'administration, en accordant, à un taux avantageux, un prêt du fonds de développement économique et social - à hauteur de 150 000 euros maximum par dossier - ou encore en intervenant pour que des délais de règlement des dettes fiscales et sociales soient accordés à l'entreprise.
Une circulaire ministérielle de 1993 prévoit cependant que seules sont concernées les entreprises qui emploient au plus 250 salariés et qui appartiennent au secteur industriel. Il me paraît donc souhaitable de réfléchir à la création de CODEFI qui se consacreraient spécifiquement aux entreprises artisanales. Les chambres de métiers et de l'artisanat pourraient, à l'évidence, jouer un rôle au sein de ces nouveaux organismes.
Une réforme des procédures collectives orientée vers la prévention, afin d'assurer la pérennité des entreprises, est plus que justifiée au regard des enjeux économiques.
Il faut espérer que la nouvelle procédure de sauvegarde s'articulera heureusement avec la nouvelle procédure de conciliation, tout en laissant à la procédure de redressement judiciaire son rôle dans les cas plus graves.
La réussite de cette réforme reposera sur la juste appréhension des situations et sur le choix de la procédure la plus adaptée, en faisant prévaloir, lors de la phase préventive, souplesse, confidentialité et rapidité.