Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 29 juin 2005 à 17h30
Sauvegarde des entreprises — Discussion générale

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à l'inverse de nombreuses disciplines, le droit des entreprises en difficulté est une matière qui a été peu modifiée depuis 1807, date à laquelle le code de commerce a organisé la liquidation des biens du débiteur et la répartition entre les créanciers.

Plus récemment, il faut rappeler les profondes réformes opérées par les lois de 1985 et de 1994. La loi du 25 janvier 1985 a donné la priorité à l'intérêt économique général, c'est-à-dire la survie de l'entreprise, sur les intérêts des créanciers. La loi du 10 juin 1994, quant à elle, a renforcé les mécanismes de prévention, restauré les droits des créanciers et simplifié les procédures.

Et depuis dix ans, plus rien ! Cette absence d'évolution et d'adaptation législative apparaît paradoxale dans un contexte économique qui a connu de profondes mutations au cours de la dernière décennie et qui se caractérise très largement par une formidable accélération de l'ouverture des marchés.

C'est pourquoi ce projet de loi - excellente initiative ! - a sa place dans le grand chantier du Gouvernement pour l'emploi. En effet, puisque la réforme de la sauvegarde des entreprises et du droit des entreprises en difficulté a pour objectif d'assurer la pérennité des entreprises, elle contribuera à préserver l'emploi.

Là aussi, il est des évidences que l'on oublie trop facilement : la bataille de l'emploi, celle de la création d'emplois comme celle de la préservation de l'emploi existant, passe d'abord et bien évidemment par l'entreprise et la production de richesses.

Ce projet de loi s'inscrit dans cette logique. Il reconnaît - et c'est essentiel - que la vie d'une entreprise est avant tout dépendante des impératifs du marché et soumise aux fluctuations d'une conjoncture. L'entreprise doit constamment s'adapter aux attentes de ses clients, prendre en compte les évolutions technologiques, trouver des sources de financement fiables et pérennes. S'adapter ou disparaître est un impératif pour tout entrepreneur !

Notre mission de législateur est de participer à cette adaptation. Il s'agit pour nous de mettre en place des outils législatifs cohérents avec le contexte économique. Pour cela, il faut une vraie connaissance de la réalité des entreprises.

S'il est important et légitime que nous nous penchions aujourd'hui sur la sauvegarde des entreprises en difficulté, l'emploi est un problème global et il est indispensable de ne pas attendre que les entreprises connaissent des problèmes. Il faut aussi améliorer les conditions de vie de l'entreprise en amont, avant que les difficultés soient insurmontables. Entreprise et emploi vont de pair. Il y a des solutions connues de tous et, pourtant, elles sont toujours attendues ; j'en citerai seulement deux.

Le premier exemple concerne les artisans : il s'agit de leur faciliter l'embauche d'un salarié, alors que, le plus souvent, on les en décourage. Combien d'artisans travaillent seuls et, cependant, souhaiteraient embaucher ? Or tout semble fait pour les en dissuader : revenus personnels plus faibles s'ils embauchent, élévation des charges et tracasseries administratives. La plupart d'entre eux passent plus de temps à gérer leurs relations avec l'Etat qu'avec les clients. A ce titre, ne faudrait-il pas réfléchir à une réelle simplification de la fiche de paye ? Malgré des réticences, peut-être ataviques, nous ferions bien de nous inspirer de la feuille de paye britannique.

Le second exemple porte sur les effets de seuil, qui sont de plus en plus évoqués depuis quelques semaines : les entreprises préfèrent rester à neuf salariés plutôt que de passer à dix, malgré une activité de production qui justifierait une telle augmentation. N'y a-t-il pas là des verrous à faire sauter ? Passer de neuf à dix salariés est en effet synonyme pour l'entreprise d'un accroissement de charges de l'ordre de 13 %, soit le salaire de l'employé sacrifié. A cet égard, les statistiques sont éloquentes : une entreprise sur deux a renoncé à embaucher un dixième salarié. Le gain net serait, au minimum, de 50 000 embauches, sur la base d'une embauche par entreprise employant neuf salariés.

Nous retrouvons d'ailleurs un effet de seuil identique lorsqu'il s'agit de passer de quarante-neuf à cinquante salariés. Or ces deux catégories d'entreprises - « moins de dix salariés » et « moins de cinquante salariés » - ne sont-elles pas totalement artificielles et archaïques ? Pourtant, elles ne sont pas sans effets pervers et, hélas ! bien réels, d'une part, sur l'activité de l'entreprise et son dynamisme et, d'autre part, sur l'emploi. La nécessité de disposer de seuils appropriés, compte tenu de la structure des entreprises françaises, doit nous conduire à modifier ces seuils en passant de dix à vingt salariés et de cinquante à deux cent cinquante salariés.

J'en reviens au socle de notre débat.

Quelle est la réalité des chiffres des entreprises en difficulté ? Aujourd'hui, 90 % des dépôts de bilan se soldent par une liquidation judiciaire. Seuls 5 % des redressements et des plans de continuation permettent de sauver les entreprises concernées. Selon une étude récente de l'INSEE, intitulée Une nouvelle vision de la pérennité des jeunes entreprises, le taux d'échec est de 52 % sur une période de cinq ans ; vous l'avez d'ailleurs vous-même souligné, monsieur le garde des sceaux. Plus précisément, 38 % de ces cessations d'activité résultent de causes purement économiques. Parmi ces 38 %, il y a 40 % de dépôts de bilan et 15 % de liquidations judiciaires. Un tel diagnostic ne peut donc inciter personne à créer son entreprise et à embaucher.

A partir de ce constat, le projet de loi comporte plusieurs points essentiels qui sont attendus par les acteurs de l'entreprise : la détection des difficultés au plus tôt ; la dédramatisation du recours aux procédures collectives ; l'impératif de confidentialité, pour qu'un chef d'entreprise n'hésite pas trop longtemps à engager la procédure ; la cession dans le règlement judiciaire, disposition qui a été rétablie par l'Assemblée nationale ; l'allégement des sanctions à l'encontre du chef d'entreprise, pour l'inciter à mettre en oeuvre une procédure de sauvegarde ; une meilleure définition des missions des mandataires, administrateurs et liquidateurs.

Je souhaite revenir plus en détail sur l'Association pour la garantie des salaires, l'AGS. Le projet de loi étend l'intervention de l'AGS à la nouvelle procédure de sauvegarde. Cette mesure pourrait avoir des conséquences très importantes.

L'AGS a connu un déficit important, qui a conduit à une augmentation temporaire des cotisations des entreprises, mais qui nécessiterait des réformes de fond. L'intervention de l'AGS en amont dans le financement des mesures de restructuration pendant la période de sauvegarde, prévue dans le projet de loi, comporte des risques considérables de dérives. Il sera en effet difficile d'empêcher certains débiteurs de déclencher une procédure de sauvegarde pour faire supporter par l'AGS les coûts liés aux opérations de restructuration et, notamment, les éventuels plans sociaux.

Il apparaît donc nécessaire de préciser le critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde et d'indiquer que la sauvegarde peut être demandée par un débiteur qui justifie de difficultés de nature à le conduire inévitablement à la cessation des paiements.

Lors de son audition devant la commission des lois du Sénat, le garde des sceaux de l'époque, Dominique Perben, a considéré que l'intervention de l'AGS au cours de la procédure de sauvegarde était un élément important du dispositif proposé, reconnaissant ainsi que certains aménagements devraient lui être apportés compte tenu de la situation particulière du débiteur.

En outre, il a estimé qu'une piste de réflexion pourrait consister en une définition plus précise du critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde et en la possibilité, pour l'AGS, de contester, le cas échéant, l'absence de trésorerie suffisante du débiteur lorsque l'avance de fonds lui est demandée. M. Perben a également fait part de son souci d'éviter que l'objet de la procédure de sauvegarde puisse être contourné par certains débiteurs cherchant à faire supporter par l'AGS les dépenses liées à l'ajustement de leur masse salariale.

Lors de l'examen du rapport en commission des lois, M. Hyest a présenté un amendement tendant à restreindre les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde, en précisant que cette dernière ne peut être ouverte que lorsque le débiteur justifie de difficultés « de nature à le conduire inévitablement à la cessation des paiements ». L'adverbe « inévitablement » a finalement été supprimé, mais la commission s'est réservé la faculté de compléter l'amendement ultérieurement, ce que nous souhaitons vivement.

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