Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, du droit des entreprises en difficulté, je suis assurément un vieux compagnon de route ; je ne vous dirai pas depuis combien de temps ! Je l'ai appris, pratiqué, enseigné et, ensuite, ici même, modifié.
Dès le mois d'octobre 1981, une disposition nouvelle a permis la présence du ministère public dans les juridictions consulaires, plus précisément en matière de droit de la faillite.
En 1984, la loi relative à la prévention et au règlement amiable des entreprises a constitué une grande innovation.
En 1985, deux autres textes ont été votés : l'un, nécessaire, concernait l'organisation des mandataires de justice, notamment afin de dissocier la nouvelle situation de la situation antérieure ; l'autre fait justement l'objet de la discussion actuelle.
Pour que les choses soient claires, et parce que l'exposé des motifs dénaturait superbement cette loi, je rappellerai - mieux vaut en revenir aux sources ! - ce que j'avais alors déclaré en 1984 à l'Assemblée nationale. Vous étiez d'ailleurs présent, monsieur le garde des sceaux, et vous avez participé à la commission mixte paritaire. J'avais donc précisé ainsi ce que devait être l'esprit de la loi : « Je veux souligner, pour que mes propos soient sans équivoque, ce qu'est la finalité de notre projet. Elle est d'ordre économique. Le projet qui est soumis à l'Assemblée ne tend qu'à assurer la survie des entreprises viables, pour les raisons que j'ai évoquées, parce qu'elles sont source de richesse et d'échanges, parce qu'elles seules permettent le paiement des créanciers, même différé, et parce qu'elles sont créatrices d'emplois. »
Je crois que la finalité n'a pas changé, mais je devais faire ce rappel puisque l'exposé des motifs a été évoqué tout à l'heure. Reconnaissez que nous étions très loin de prôner l'interventionnisme à l'intérieur des entreprises.
La discussion de ces textes s'était achevée après deux lectures et une commission mixte paritaire, et je tiens à rendre hommage à deux de nos regrettés collègues, Jacques Thyraud et Marcel Rudloff. Ils ont joué un rôle important dans l'élaboration de ces textes, sur lesquels j'avais accepté de très nombreux amendements, émanant d'ailleurs des deux côtés de l'hémicycle. J'avais souligné à l'époque combien de telles dispositions représentaient une véritable innovation, alors qu'une époque de prospérité s'achevait. Nous sortions, hélas ! du droit de 1967, qui reflétait la situation économique des Trente Glorieuses.
J'avais donc émis le souhait que les parquets, les présidents de tribunaux de commerce, mais aussi mes successeurs veillent à ce qu'un rapport soit établi sur la mise en oeuvre d'une procédure aussi nouvelle. A mes yeux, en effet, une telle procédure souffrait déjà d'une trop grande complexité et il aurait fallu l'alléger. Nous y étions parvenus tous ensemble. Le bateau a pris la mer, et il fallait donc être prêt à prévoir d'éventuelles modifications.
J'ai attendu, longtemps. Il n'y a jamais eu de rapport des parquets, pas plus que des tribunaux de commerce. Mais, dix ans après, ce fut la loi de 1994.
A cet égard, je ferai une comparaison qui est loin d'être anodine dans le cadre de la réflexion globale sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.
En 1984, toujours lors de présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale, j'avais fourni une indication saisissante : « Les résultats sont là : dans 95 % des cas, les procédures se terminent aujourd'hui par une liquidation des biens ; dans 90 % des cas, les créanciers chirographaires ne perçoivent absolument rien du produit de la liquidation. »
Le législateur est donc intervenu de nouveau en 1994, afin de prendre en compte les intérêts de certains créanciers et d'améliorer la prévention. Immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi, en 1994, 42 964 liquidations ont été prononcées, soit 87 % du total des dépôts de bilan.
Pour évaluer l'influence de la loi de 1994, il faut observer la proportion de liquidations enregistrées les années suivantes : en 1995, celles-ci représentaient 85, 2 % ; en 1996, 85, 8 % ; en 1997, 87, 5 % ; en 1999, la proportion était toujours de 87, 5 %. Ainsi, la proportion désolante, que nous évoquons à chaque fois, s'est perpétuée de 1994 à 1999.
A ce moment-là, beaucoup a été fait, notamment, je tiens à le dire, par M. Hyest, qui a présenté un rapport au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation. Je le dis très simplement : si nous avions repris toutes les recommandations de ce rapport, si nous avions attendu pendant encore un an pour que la Cour de cassation transmette les siennes, le projet aurait pu alors être finalisé. Cela n'a pas été le cas, et la situation a perduré. Finalement, nous voici aujourd'hui devant le présent texte.
Je voudrais dissiper ce qui me paraît une erreur commune : à mon sens, nous avons tort de juger de l'efficacité ou non des procédures collectives par rapport au nombre de liquidations. Il faut en effet considérer la réalité économique. Certes, dans 90 % des cas, une procédure de liquidation judiciaire est ouverte. Cela étant, en 1984, je disais déjà qu'il ne fallait surtout pas pratiquer l'acharnement thérapeutique : il faut sauver uniquement les entreprises viables et s'y consacrer !
A l'heure actuelle, les créations d'entreprises sont très nombreuses. Et très souvent, les chiffres en témoignent, celles-ci sont sous-capitalisées, voire pas capitalisées du tout. Plus nous faciliterons, comme le gouvernement précédent n'a cessé de le recommander, les créations d'entreprises - et c'est légitime pour le dynamisme des affaires -, plus les entreprises sous-capitalisées disparaîtront si la conjoncture ne s'améliore pas.
Il s'agit donc d'une sorte de « fluidité » de l'époque et il n'y a pas lieu d'y remédier : les entreprises naissent et meurent. Simplement, je le répète, ne pratiquons pas l'acharnement thérapeutique !
Cette continuité prodigieuse témoigne d'un problème culturel, que M. Hyest a évoqué tout à l'heure. Considérant que le fait de déposer le bilan signifie qu'on est incapable, voire malhonnête, on fuit devant cette perspective, comme en témoigne César Birotteau, qui a été évoquétout à l'heure. La liquidation est en effet ressentie comme une stigmatisation.
A cet égard, tout allégement des sanctions pesant sur l'entrepreneur est bon, mais cela ne suffira sans doute pas à changer les mentalités.
En outre, une meilleure information est nécessaire. S'agissant des centres de prévention, un effort considérable doit être fait. En 1984, j'ai introduit, pour les grandes entreprises, la notion d' « appréciation trimestrielle », mais les petites et moyennes entreprises ne prennent pas suffisamment en compte la prévision. Nous remédierons à cette situation non pas en modifiant la loi, mais en multipliant les instruments d'analyse et en modifiant notre approche culturelle.
J'en viens au présent projet de loi. On a dit qu'il s'agissait non pas d'une révolution, mais d'une évolution. En 1985, pour des raisons qui étaient justifiées par un changement radical, à savoir le passage de la prospérité à la crise, avec un chômage pérenne depuis vingt-cinq ans, il fallait absolument tout transformer. Aujourd'hui, il s'agit d'une évolution. Je crains que cette évolution n'aille pas dans le sens de ce qui est souhaitable dans ce domaine.
Tout d'abord, il n'était pas indispensable de faire croire que l'on procédait à une grande réforme, alors que l'on changeait simplement l'étiquette sur la bouteille ! Nous aurions notamment pu conserver, en matière de procédure en amont, les termes « règlement amiable », puisque la procédure est uniquement modifiée. Mais s'il faut changer les dénominations, après tout, qu'importe ! Toutefois, n'en profitons pas pour prétendre que l'on entre dans une ère nouvelle. Le travail d'amélioration se poursuit, face à la situation économique difficile que nous connaissons.
Au regard des trois impératifs constants que constituent la survie de l'entreprise, le droit des créanciers si l'entreprise peut survivre ou si l'actif est suffisant, et le droit des salariés, le présent projet de loi constitue-t-il une avancée, en d'autres termes, apporte-t-il une plus grande sécurité ?
S'agissant du droit des procédures collectives, j'aurais souhaité que vous vous engagiez davantage, monsieur le garde des sceaux, dans trois directions, afin que nous puissions entrer dans une ère de simplification, de clarification et d'allégement.
Je n'ai pas le sentiment que vous ayez simplifié ce droit. Or Dieu sait s'il est complexe ! En effet, alors que nous avions jusqu'à présent quatre procédures, nous en aurons désormais cinq. Le mot « mandat » apparaît et la chose prend corps un peu plus. Le parquet est avisé ; je me demande pourquoi, puisqu'il importe d'assurer la confidentialité. Je pense toujours au choc que l'on peut ressentir devant l'entrée du tribunal de commerce. De plus, pourquoi ajouter la procédure de sauvegarde quand il aurait été si facile de l'éviter ?
Outre la complexité des procédures, nous perdons la bouée d'ancrage que représentait le concept très clair de cessation des paiements. Je disais tout à l'heure qu'il fallait simplifier et alléger. Mais, dans ce contexte, je vous le dis clairement, nous aurons du mal à conceptualiser les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde et, plus encore, à faire entrer une telle notion dans la jurisprudence. En dépit des efforts louables que nous avons accomplis, les difficultés subsisteront.
Par ailleurs, était-il souhaitable d'ajouter à la complication en rendant possible le règlement amiable jusqu'à quarante-cinq jours après la cessation des paiements ? Un redressement judiciaire anticipé n'aurait-il pas suffi à régler la question ?
L'effort aurait dû porter davantage sur la clarification et la simplification. Vous avez en effet instauré des innovations qui risquent d'aller à l'encontre de l'objectif poursuivi.
Moi qui suis partisan de la présence du ministère public lorsqu'il s'agit de la procédure après la cessation des paiements, je m'interroge quant à cette présence à l'audience d'homologation, qui devient alors une véritable audience.