Intervention de Robert Badinter

Réunion du 29 juin 2005 à 17h30
Sauvegarde des entreprises — Discussion générale

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Que je sache, nous ne sommes pas dans le domaine pénal, monsieur le rapporteur ! Si vous dites qu'il y a identité, plus personne n'utilisera la procédure de sauvegarde !

Cette organisation de l'audience « en amont », c'est-à-dire avant la cessation des paiements, ne me paraît pas aller dans le bon sens.

Je formulerai la même remarque en ce qui concerne une autre innovation : les deux comités de créanciers. Je pense véritablement que, là, vous prenez un risque, car les intérêts des différents créanciers risquent de s'opposer : l'intérêt de l'établissement de crédit, qui veut récupérer son argent, n'est pas du tout le même que celui du fournisseur, qui a tout intérêt à ce que l'affaire continue. Des conflits apparaîtront, qui ne seront pas faciles à résoudre !

En outre, dans le calcul de la majorité ou de la minorité, l'équilibre sera encore plus difficile à trouver, car ce sera le gros banquier ou le gros fournisseur qui sera maître du oui ou du non. Il faudra passer sous les fourches caudines.

Je redoute une telle dualité. Il aurait suffi de prévoir un comité de créanciers où chacun aurait agi selon son intérêt.

Je sais bien que cela figure dans le Chapter 11, mais, très franchement, cette référence me paraît singulière. Je crois en comprendre la raison ; je ne suis pas sûre qu'elle soit d'ordre interne. La seule justification que j'y trouverais, ce serait la réponse à l'odieuse campagne menée par certains juristes étrangers contre le droit français : il échappe trop aux droits des créanciers, à la liberté contractuelle des parties, etc.

Au demeurant, la référence au Chapter 11 me paraît superfétatoire. J'aurais préféré, monsieur le garde des sceaux, que vous fassiez un effort particulier pour accroître l'homogénéisation de notre droit avec les droits les plus proches. En d'autres termes, plutôt que de prendre pour référence le Chapter 11, il aurait été plus utile de s'orienter vers une européanisation du droit. Une grande majorité d'entre nous considère que le premier stade qui permettra de faire progresser le droit européen est l'harmonisation, qui doit précéder l'unification. Cette remarque, j'y insiste, est particulièrement vraie dans ce domaine. En effet, à l'heure actuelle, les affaires ont très souvent une dimension internationale. A cet égard, l'harmonisation des législations est une précaution nécessaire, vers laquelle nous nous dirigeons, mais sans lui donner l'accélération nécessaire.

Mon sentiment est que vous avez « relooké » la loi de 1985 : vous lui avez donné une apparence plus moderne, en apportant quelques innovations.

Nous allons présenter de très nombreux amendements ; nous verrons ce qu'il en adviendra. A mon sens, il s'agit, d'une certaine manière, d'une occasion perdue. J'aurais tant souhaité que ce droit soit enfin simplifié, allégé, plus compréhensible et, de ce fait, moins redouté.

S'agissant de l'équilibre entre les trois protagonistes que sont l'entrepreneur, le créancier et le salarié, j'observe tout d'abord un allégement, auquel je suis favorable, des sanctions qui pesaient sur l'entrepreneur. Je rappelle en effet qu'avant 1981 le droit en la matière était terrible : on avait même inventé une présomption de faute à l'encontre de l'entrepreneur qui avait un passif, ce qui était totalement délirant !

Si les créanciers trouvent dans la dualité une expression plus forte s'agissant de la procédure de sauvegarde - vous leur avez souvent fait la part belle ! -, je n'ai pas le sentiment que l'on se soit beaucoup préoccupé des droits des salariés.

Certes, pour les entrepreneurs, les cessations d'activité, les dépôts de bilan, les liquidations sont des épreuves, devant lesquelles ils ont d'ailleurs tendance à fuir. Pour les créanciers, tout dépend de l'état de l'entreprise ; cela s'inscrira sur la bottom line du bilan. Leur situation peut être difficile puisqu'ils sont confrontés à une perte, mais cette dernière s'impute sur les bénéfices. En revanche, pour les salariés d'un certain âge, notamment les femmes, qui ne retrouveront pas aisément un emploi, c'est un drame.

C'est pourquoi nous devons avant tout prendre en compte l'intérêt des salariés qui se retrouvent dans une situation où l'espérance de reclassement, et pas seulement le reclassement régional, est trop souvent illusoire. Au demeurant, Charles Gautier développera davantage cet aspect.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion