Mais je voudrais vous dire aussi mes inquiétudes face à ce « tragique de répétition », pour reprendre l’expression de votre collègue Martin Hirsch. Je veux parler du traitement dont font l’objet les étrangers arrivés sur le sol français et confrontés à la difficile épreuve des « papiers ». Je ne saurais m’y habituer.
Monsieur le ministre, quand imposerez-vous un accueil humanisé – simplement humanisé ! – des étrangers s’égrenant en interminables files d’attente devant les préfectures ?
Quand imposerez-vous que soit accordé un regard bienveillant – seulement bienveillant ! –, et non pas de défiance systématique, à l’étranger qui se présente au guichet pour obtenir d’abord le renseignement auquel il a droit ?
Quand refuserez-vous que l’on vienne chercher au petit matin un couple pour le conduire en centre de rétention administrative après avoir confié son bébé de quelques mois à des voisins éberlués ?
Quand refuserez-vous que les sorties d’école soient le lieu et le temps propices pour l’interpellation d’étrangers en situation irrégulière ?
Certes, ils ne devraient pas être en situation irrégulière, et les 400 000 sans-papiers – chiffre d’ailleurs bien difficile à établir – ne devraient tout simplement pas être. Mais, interrogeons-nous : ne sommes-nous pas coupables, pour partie, de leur existence ? Quelles recommandations ont été données aux services chargés d’examiner les demandes d’admission sur le territoire français ? Principalement des consignes en termes d’objectifs quantitatifs, niant par là même toute prise en compte d’éléments individualisés.
Est-il raisonnablement possible de fixer un objectif national chiffré de reconduites à la frontière et d’expulsions ? Cela revient à décider, à la place de celui qui a compétence de par la loi pour prendre une telle décision, de ce que doit être la réponse pour être « politiquement correcte ». Et comme le zèle en la matière n’a pas de limite, les fonctionnaires sont zélés.
En résulte, monsieur le ministre, une accumulation, aujourd’hui dramatique, du nombre de recours gracieux, de recours devant les tribunaux encombrés du contentieux des étrangers, au point de justifier de la création d’un tribunal supplémentaire en Île-de-France.
Je voudrais ici témoigner du désarroi de responsables, à différents postes, que j’ai côtoyés et qui s’interrogent sur leur possibilité d’appliquer tout simplement la loi, équitablement, honnêtement.
L’application informatique AGDREF de gestion du droit d’entrée des étrangers a, depuis longtemps, démontré ses limites et la nécessité de le remplacer par un outil plus performant et compatible avec les données de la police et de la gendarmerie. L’application GREGOIRE devrait la remplacer. Pourriez-vous nous indiquer quand elle sera disponible et dans quelles conditions ?
Les centres de rétention administrative ont fait l’objet de constats, d’analyses, de rapports plus alarmants les uns que les autres. Je sais qu’ils font partie de vos préoccupations, mais je voudrais insister sur l’impérieuse nécessité qu’il y a à en faire des lieux « d’accueil » provisoire pour éviter que de lieux de rétention, ils ne deviennent, de fait, lieux de détention.
S’agissant du droit d’asile, une question dont je connais la complexité, je mesure les efforts réalisés pour réduire les délais de réponse, toujours trop longs, qui maintiennent dans des situations ubuesques des étrangers ballottés de non-réponse en non-réponse pour finir, avec le temps, à rejoindre le cortège des sans-papiers.
Au nombre des mesures positives qui ont été prises – il en existe tout de même quelques-unes ! –, j’ai relevé le contrat d’accueil et d’intégration.
Sur le principe, il me paraît être une très bonne chose, car l’accueil et l’intégration valent tant pour la personne accueillie que pour l’accueillant : chacun a des devoirs à l’égard de l’autre.
Toutefois, j’aurais aimé y découvrir un engagement mutuel, à la manière du parrain et de son filleul ou du tuteur et de son protégé, qui responsabilise de fait l’un et l’autre des acteurs. À la place, j’y ai trouvé la remise d’un diplôme après un quasi-examen de passage. Est-ce cela, la relation que l’on veut établir entre la France et un étranger qui, demain peut-être, demandera à devenir français ? Réduire l’intégration à une feuille de papier n’est pas digne du pays de Voltaire !
Même si j’ai parfaitement conscience de l’immense difficulté que représente la question de l’immigration en France, même si j’entends les arguments qui sont les vôtres, je m’opposerai de toutes mes forces, de toute mon énergie, à une politique qui ne donne pas tout son prix au respect de l’Homme.
C’est pourquoi je ne voterai pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » et, avec moi, une grande partie du groupe du RDSE, qui ne retrouve pas, dans votre politique, monsieur le ministre, le respect des valeurs républicaines auquel il est attaché depuis longtemps.