Monsieur le ministre, vous aviez évoqué, lors de votre prise de fonction, la volonté du Gouvernement de concentrer ses efforts humains et matériels sur une meilleure intégration des familles issues de l’immigration de longue date. Or nous constatons votre volonté de renforcer tous les moyens de votre ministère dans la lutte contre l’immigration irrégulière, donc au détriment d’une politique volontariste d’accueil et d’intégration des étrangers en France.
La réalité que nous avons tous observée depuis dix-huit mois est ici concrétisée dans un budget qui accentue plus encore ce déséquilibre entre chasse aux étrangers irréguliers et délaissement total des étrangers en situation régulière.
Avec une chute globale de 14, 7 %, ce budget est l’expression d’un véritable mépris à l’égard des étrangers quant à leur accès aux droits, et parallèlement, d’un abandon de toute politique volontariste d’intégration des migrants légaux.
Ainsi, nous regrettons que le budget des reconduites à la frontière soit le seul poste de dépenses en hausse, alors que les autres actions, notamment à destination des étrangers installés sur le territoire, sont simplement laissées pour compte.
Avec une dotation en baisse de 50 %, le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » est, en effet, le parent pauvre de ce budget.
Pour la seule action n° 11 « Accueil, intégration des étrangers primo-arrivants et apprentissage de la langue française », nous constatons une chute vertigineuse des crédits, qui sont passés de 43, 4 millions d’euros, en 2008, à 15 millions d’euros seulement !
Contrairement à vos engagements, par ce budget, vous admettez renoncer à l’intégration des immigrés légaux.
Pourtant, lors de l’examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, vous précisiez, monsieur le ministre, que « pour réussir l’intégration, il faut d’abord maîtriser l’immigration ». Je vous réponds aujourd’hui que, pour « réussir l’intégration », il faut y mettre les moyens !
La maîtrise de l’immigration par une politique axée sur la frénésie du chiffre ne sert à rien si elle n’est pas accompagnée d’une politique volontariste en matière d’accueil et d’intégration des étrangers en France.
Or vous organisez l’autofinancement généralisé des politiques d’intégration par les migrants eux-mêmes.
À la difficulté que tout étranger éprouve pour se faire une place dans notre société, ô combien discriminatoire encore dans les domaines du travail et du logement, vous ajoutez des obstacles administratifs et juridiques à l’intégration.
Vous créez, avec ce budget, les conditions d’une abdication de l’étranger devant les obstacles insurmontables que vous dressez, de manière systématique, sur son parcours d’intégration.
Que dire de la réduction du budget de l’ANAEM, qui est passé de 43, 5 millions d’euros à 15 millions d’euros, alors qu’il s’agit pourtant d’un organisme pivot en matière d’aide à l’intégration des migrants légaux ?
Que dire aussi de la diminution du personnel, passant de 920 équivalents temps plein, en 2008, à 890 équivalents temps plein en 2009 ?
Alors que vous créez une nouvelle structure, l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, comment parvenez-vous à supprimer, dans le même temps, trente postes ?
Lors de son audition, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous a pourtant alertés sur les besoins de l’ANAEM, notamment en matière de formation au droit des étrangers de ses intervenants. Vous n’apportez aucune réponse satisfaisante sur ce point.
Monsieur le ministre, le sort réservé aux étrangers en situation irrégulière est encore plus navrant.
À la lecture des crédits du programme 303 « Immigration et asile », force est de constater que la lutte contre l’immigration illégale vous préoccupe plus que le respect des droits des étrangers en situation irrégulière ou des demandeurs d’asile.
En effet, les crédits attribués à l’action n° 2 de ce programme traduisent votre méfiance à l’égard des associations de soutien aux actions d’accompagnement des demandeurs d’asile.
Le financement des plateformes d’accueil et des associations œuvrant dans ce domaine a diminué de 45 %, passant de 5, 28 millions d’euros à 3 millions d’euros. Neuf fermetures de plateformes sont annoncées pour 2009, alors qu’il n’existe déjà plus d’interprète dans les centres de rétention administrative pour aider les demandeurs d’asile à rédiger leur demande d’asile ou leur recours à la commission des recours, documents qui doivent impérativement être libellés en français.
Monsieur le ministre, votre objectif de rationalisation des dépenses ne peut se traduire par une atteinte aux droits élémentaires des étrangers.
Nous refusons que, sous ce prétexte, vous portiez le coup de grâce à la prise en charge sociale des demandeurs d’asile et que vous limitiez leur chance de se voir accueillis et accompagnés dans le respect du droit international.
Nous refusons aussi que, sous ce même prétexte, vous démanteliez l’intervention de la CIMADE dans les centres de rétention. Cette association, dont l’expertise n’est plus à démontrer depuis 1985, exerce sa mission avec le souci permanent de l’effectivité de la protection des droits des étrangers.
Aujourd’hui, vous ouvrez à la concurrence le marché de l’assistance aux étrangers placés en centre de rétention, aux seules fins de déterminer quelle entité sera la moins chère, sans considération de la compétence, de l’expérience ou du caractère effectif de l’aide apportée. Autrement dit, vous nivelez par le bas la protection due aux étrangers.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que le Conseil d’État ait annulé le décret organisant le marché public de l’aide aux étrangers placés en centre de rétention.
Il est inconcevable de mettre en péril, par souci d’économie, les garanties fondamentales dont doivent bénéficier les étrangers, fussent-ils illégaux : ils n’en demeurent pas moins sujets de droits et, à ce titre, vous avez l’obligation de leur en garantir la protection effective. En effet, lorsque les droits fondamentaux d’un être humain sont niés, c’est la dignité même de la personne qui est niée !
Récemment, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a invité la France à « revoir de façon critique l’ensemble des conditions prévalant dans les centres de rétention administratifs et à les humaniser en concertation avec le nouveau Contrôleur général des lieux de privation de liberté ».
Ce dernier a lui aussi pointé du doigt les dysfonctionnements dans le local de rétention pour étrangers de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, allant jusqu’à parler d’« atteinte à la dignité humaine ».
Pendant ce temps, monsieur le ministre, vous nous proposez un budget qui sacrifie l’assistance sanitaire et sociale en centre de rétention administrative, en faisant passer la dotation de 8, 09 millions d’euros en 2008 à 5 millions d’euros pour 2009, soit une diminution des crédits de 50 %, dans un domaine qui touche au cœur même de la protection des étrangers : celui du respect de la dignité humaine.
Monsieur le ministre, respecter les droits fondamentaux, c’est respecter la dignité humaine.
Pendant ce temps, vous continuez de construire de nouveaux centres ou vous agrandissez ceux qui existent pour répondre au problème de la surpopulation, plutôt que de changer de politique. Ainsi, trois nouveaux bâtiments sont en train de voir le jour au Mesnil-Amelot, dont l’un sera consacré aux familles avec enfants mineurs. Pensez-vous sérieusement que la place des enfants soit dans les centres de rétention, à attendre que l’on décide de leur sort ? Ce ne sont pas de dangereux criminels, une assignation à résidence de la famille pourrait suffire !
Pendant ce temps, monsieur le ministre, vous redéfinissez les conditions d’intervention des associations dans les centres de rétention, en leur interdisant d’aider à la constitution de dossiers et en les cantonnant à un simple rôle d’information, autant dire à un rôle d’observateur impuissant.
Vous allez même jusqu’à leur interdire de communiquer sur les conditions de rétention.