Intervention de Denis Badré

Réunion du 1er décembre 2004 à 10h00
Loi de finances pour 2005 — Article 43

Photo de Denis BadréDenis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 43 du projet de loi de finances évalue à 16 570 millions d'euros le prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France pour 2005 au budget des Communauté européennes.

L'enjeu financier est important, puisque cela représente 6 % de nos recettes nettes fiscales.

Cette évaluation fixe le prélèvement pour 2005 à peu près au même niveau que celui qui avait été prévu, voilà un an, dans la loi de finances pour 2004. Tout va bien, me direz-vous ; cela n'évolue que très peu. Mais, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que la prévision d'exécution du prélèvement pour 2004 sera de 8 % inférieure à ce qui figurait dans le projet de loi de finances.

C'est une bonne chose s'agissant de l'exécution de notre loi de finances pour 2004, mais cela signifie que l'évaluation reste très imprécise, et c'est fâcheux. En 2004, le prélèvement a été surévalué de 1 milliard d'euros ; en 2003, il a été sous-évalué de 500 millions d'euros ; en 2002, il a été surévalué de 2 milliards d'euros. Il s'agit quand même de sommes importantes et cela doit nous faire réfléchir.

L'objet du débat est donc de savoir si nous sommes d'accord pour inscrire dans le projet de loi de finances pour 2005 une évaluation de 16 570 millions d'euros pour définir notre prélèvement. Si nous disons oui, nous sommes en règle ; si nous disons non, nous ouvrons une crise européenne, et c'est bien regrettable.

Nous sommes enfermés dans un débat complexe et je vais essayer de l'éclairer en allant un peu plus avant.

Le budget européen continue à ne pas être un vrai budget au sens de la démocratie, qui est fondée sur le principe du consentement à l'impôt. En effet, les recettes de ce budget sont votées par les Parlements nationaux - ce sont les cotisations que nous votons aujourd'hui - et les dépenses sont votées par le Parlement européen. Je ne vois pas très bien comment le citoyen européen peut s'y reconnaître ! L'Europe doit se doter d'un vrai budget pour que les Européens s'approprient l'Union européenne.

J'aurais aimé que la Convention traitât de cette question. Nous devrons y revenir très vite ! Pour progresser, il faut commencer par consolider l'acquis et par appliquer la Constitution telle qu'elle a été préparée. C'est essentiel pour l'avenir de l'Union européenne.

Le budget de l'Union européenne doit être lisible, sincère et contrôlable. A cet égard, le débat sur le plafond du pourcentage du PNB encadrant les contributions des Etats membres en est une illustration : il démontre que les pays continuent de faire passer les intérêts nationaux avant l'intérêt commun. Or l'intérêt commun est l'intérêt de chacun ; ce n'est pas l'intérêt d'une abstraction bruxelloise. Et c'est souvent un intérêt beaucoup plus fort que les intérêts nationaux particuliers.

Ne l'oublions jamais et relativisons ce débat sur la part du PNB qui nourrit le budget européen.

Je souhaite insister par ailleurs sur le caractère très anti-communautaire de la discussion sur le retour net. C'est l'aspect pervers de la structure et du principe de notre budget. Je vais développer ce point.

Tout d'abord, globalement, la question du retour net est biaisée, car nous comparons des choses qui ne sont pas comparables : 90 % des recettes du budget européen sont localisables - il s'agit des cotisations des Etat membres - alors que 75 % seulement des dépenses le sont, puisqu'un certain nombre d'entre elles ne sont pas affectées à un Etat membre. Il en est ainsi, par exemple, des crédits de politique extérieure.

Allons un peu plus loin dans cette analyse : dire que nous sommes contributeurs nets donne à penser que nous payons pour les autres et non pour l'Union européenne. Cela accrédite l'idée que l'Europe ne serait pas bonne pour nous, et c'est vraiment détestable : nous développons un sentiment antieuropéen que nous paierons un jour très cher.

Ce débat sous-estime le rôle des politiques extérieures : lorsque nous affectons des fonds structurels à des pays qui rejoignent l'Europe au titre de l'élargissement, ce sont souvent des entreprises de nos pays qui les mettent en oeuvre, ce qui n'est pas inintéressant pour nous.

Ce débat sous-estime le fait que les réseaux transeuropéens permettent de relier les différents Etats de l'Union : c'est profitable à tout le monde et pas seulement au pays où se construit un aéroport ou une gare.

Ce débat sous-estime le fait que la politique agricole commune est destinée non pas simplement aux agriculteurs français, mais à tous les consommateurs européens.

Ce débat sous-estime tous ces invisibles ! La libre circulation et l'harmonisation dans tous les domaines sont intéressantes pour l'ensemble des Européens.

Tout cela donne du poids à l'Europe, ce qui nous permet de parler plus fort, par exemple à L'Organisation mondiale du commerce, et il faudra le faire de plus en plus, avec des dossiers de mieux en mieux ficelés.

Surtout, les invisibles fondamentaux, ce sont la démocratie et la paix qui se développent sur notre continent. Cela n'a pas de prix !

Par conséquent, mettons fin à ce débat sur le retour net, qui est détestable. Il a été ouvert avec la règle I want my money back, mais nous risquons de continuer à le payer pendant longtemps et, tout d'abord, au travers du chèque britannique : cette affaire est de nouveau d'actualité avec la discussion sur les corrections généralisées des contributions des Etats membres.

L'enjeu n'est pas mineur : il s'agit de 5 100 millions d'euros - c'est la valeur du chèque britannique -, et la contribution de la France pour payer ces 5 100 millions d'euros à la Grande-Bretagne est de 1 400 millions d'euros. Je rappelle que le budget de l'écologie et du développement durable s'élève à 800 millions d'euros. Cela représente donc près de deux fois le montant dudit budget. Ce n'est pas du tout marginal !

Ce chèque va passer à 7 milliards d'euros dans deux ans. Cela vaut la peine qu'on s'y arrête, mais le sujet est complexe, car nous sommes enfermés dans le principe de l'unanimité : nous ne pouvons revenir sur ce point qu'avec l'accord des Britanniques.

La construction européenne ne pourra se poursuivre qu'en trouvant une issue par le haut, c'est-à-dire en obtenant un consensus politique sur la primauté à redonner à l'intérêt commun sur les intérêts nationaux. C'est l'idée que nous devons faire triompher dans le débat qui s'ouvre sur les perspectives financières. Ce débat sera capital pour fixer l'encadrement de nos budgets pour les années 2007 à 2013.

S'agissant de l'élargissement, lorsque l'Irlande a rejoint l'Union en 1973, son PIB était de l'ordre de 60 % du PIB moyen des Etats membres. Lorsque le Portugal a rejoint l'Union en 1985, son PIB s'élevait à 40 % du PIB des Etats membres. Les PIB des pays de l'Europe centrale et orientale qui ont adhéré à l'Union voilà maintenant huit mois sont plutôt à 20 %.

Les élargissements successifs posent donc de plus en plus de problèmes, parce que les écarts s'accroissent entre le niveau de développement des pays qui rejoignent l'Union et ceux des Etats membres. Par ailleurs, les nouveaux Etats membres sont de plus en plus nombreux et de plus en plus peuplés : dix pays, 80 millions d'habitants. C'est considérable !

Mais, là aussi, il ne faut pas se laisser enfermer dans l'idée que cela peut coûter cher. Cela coûte cher, mais cela rapporte gros !

Pour l'histoire, c'est incontournable. Nous devons construire notre continent. Par ailleurs, sur le plan économique, il est préférable de partager la croissance de ces pays, laquelle est beaucoup plus forte que la nôtre, et de les aider à se développer, ce qui leur permettra de rejoindre notre standard de développement et ce qui donnera du travail à nos entreprises. Ainsi, notre marché pourra s'élargir et l'espace de paix et de démocratie que nous construisons pourra être de plus en plus contagieux sur la planète.

Il n'y a pas photo ! Du reste, les Etats Unis ne se sont pas si mal trouvés du plan Marshall. Ils l'ont fait par solidarité, bien sûr, à l'égard des pays qui avaient été détruits, mais ils ont également fondé leur prospérité sur l'après-guerre et noué un certain nombre de liens politiques et économiques durables, tout à fait intéressants pour eux.

Il nous faut donc réussir l'élargissement.

S'agissant du budget lui-même, le Parlement européen l'a fixé à un peu plus de 117 milliards d'euros pour 2005, ce qui est supérieur aux 116 milliards d'euros arrêtés par le Conseil et inférieur aux 117 milliards d'euros prévus par la Commission à la fin du printemps.

Cela représente une progression de 5 % pour les crédits d'évaluation et de 10 % pour les crédits de paiement, ce qui est normal puisque ce budget sera le premier à prendre en compte l'élargissement.

L'année dernière, nous n'avions que sept mois d'élargissement. Quand on sait que la réforme de la politique agricole commune est mise en oeuvre complètement et que les fonds structurels connaissent progressivement un meilleur niveau de consommation, tout cela peut s'expliquer.

Notre base était un peu inflationniste et nous la conservons. Nous dérivons de façon explicable par rapport à une base qui l'est peut-être un peu moins et sur laquelle davantage de rigueur serait souhaitable.

Je formulerai quelques observations sectorielles sur la PAC, qui, je le répète, est à bout de souffle. Nous devrions avoir un vrai débat sur ce sujet.

A force de vouloir rapiécer la PAC, on perd de vue les principes sur lesquels elle reposait à l'origine. Si la PAC devait être réinventée aujourd'hui - il faudrait le faire pour traiter les problèmes des pays qui nous rejoignent -, elle le serait exactement comme elle a été conçue il y a cinquante ans chez nous.

La préférence communautaire est un excellent principe, principe politique et pas simplement d'administration technique. Il faut y revenir pour recréer une vraie PAC. A force de mettre rustines sur rustines sur une PAC qui n'en est plus une, on va droit dans le mur et cela nous coûte très cher. A force de voir la France arc-boutée sur la défense de cette PAC qui n'en est plus une, on paie très cher. Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé au Sommet de Berlin où l'on a payé très cher, notamment par l'augmentation du chèque britannique et par de nouvelles compensations, la survie, pendant quelques mois supplémentaires, d'une PAC qui doit être complètement revue.

J'aborderai maintenant la question des délocalisations, qui est au centre de toutes nos discussions depuis plusieurs jours.

J'ai dit lors de la discussion générale que nous ne pourrions traiter ce problème qu'en aidant les pays en voie développement, en construisant plus fortement et plus rapidement l'Union européenne, en harmonisant ce qui peut l'être, notamment les niveaux de prélèvements obligatoires de ces différents Etats, et en nous donnant les moyens d'être compétitifs par rapport à notre grand concurrent américain.

J'ai aussi affirmé que nous ne devrons notre salut qu'à l'Europe. Ainsi, nous trouverons notre place dans le monde et nous préparerons un avenir pour les Européens, qui accéderont sans difficultés à un emploi et pourront vivre dans des conditions leur convenant.

Un tel objectif exige que nous mettions très vite en place une politique européenne de formation favorisant l'innovation et permettant d'adapter nos compétences et notre économie. Tout cela repose sur une politique de progrès scientifiques.

Nous y parviendrons si nous sommes capables, à l'échelon européen, de transformer nos mentalités dans ce domaine, de favoriser toutes les synergies qui peuvent exister entre les budgets civils de recherche et de développement technologique, les BCRD - le nôtre et l'équivalent dans les autres Etats membres - et le programme-cadre de recherche et développement, le PCRD, de l'Union européenne. Il y a beaucoup à faire en ce domaine.

A l'échelon national, la question des pôles de compétitivité va dans le bon sens. Au niveau européen, il faudra développer cette façon de voir, construire une véritable politique scientifique européenne nous permettant de traiter à égalité avec les Américains et de faire en sorte que les meilleurs mathématiciens du monde après les Français - les Indiens -retrouvent leurs collègues français non pas à Boston, mais plutôt en France ou au moins en Europe.

En conclusion, nous devrions être admiratifs - je ne cesse de l'être moi-même - du chemin parcouru depuis cinquante ans. Mais il nous faut aussi être conscients que c'est en cherchant à construire plus d'Europe que nous arriverons à progresser.

Nous sommes au milieu du guet - peut-être même n'y sommes-nous pas encore parvenus -, mais nous devons avancer en étant lucides face à l'ampleur de la tâche et au parcours semé d'embûches.

Pour cela, il nous faut un budget plus rigoureux. Nous devons adopter à Bruxelles la même rigueur que celle que l'Union impose aux Etats membres à travers le pacte de stabilité, qui est parfaitement légitime. Mais c'est un autre débat.

Nous devons opérer un changement complet des structures budgétaires. A cet égard, je vous renvoie à mon rapport, qui formule un certain nombre de propositions. Pour ma part, je ne veux pas voir l'Union européenne s'essouffler. Je souhaite au contraire que, à l'occasion de son élargissement, elle retrouve un nouveau souffle dans la perspective de la définition d'un nouveau cadrage budgétaire pour les années à venir. Cela est possible si nous en avons la volonté ensemble et si la France joue son rôle dans la nécessaire relance de la construction européenne.

Mes chers collègues, si je vous demande de voter l'article 43 du projet de loi de finances, ce n'est pas parce que je nourris de grandes espérances concernant l'actualité de notre budget. Je souhaite simplement que nous puissions fonder notre ambition commune pour l'avenir de l'Europe sur une base qui existe.

Je vous incite donc à voter cet article 43 sans état d'âme, avec lucidité. J'ai essayé de vous démontrer tous les progrès qui restaient à faire. Nous ne pourrons pas les accomplir si nous commençons par ne pas voter cet article.

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